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Albin Christen : Un art vivant et intemporel

Depuis une vingtaine d’année, les travaux d’Albin Christen développent un langage visuel poétique qui raconte des histoires nourries par les cultures populaires du monde entier. Après avoir fait son chemin dans l’univers de la communication et de l’édition, il entre aujourd’hui en galerie.

L’artiste et illustrateur nous reçoit très simplement dans son appartement lausannois. Autour de lui, ses dernières toiles, qui racontent encore et toujours son amour des légendes, des voyages. Un rien de Kandinsky dans le trait et la composition ? « J’ai une passion pour le Russe, dont je vais régulièrement admirer les Improvisations au Kunsthaus de Zurich. » Loin des mondanités, les musées ont toujours été pour lui un espace de protection, de communion.

Indépendant dans l’âme
A l’aube de la quarantaine, Albin Christen compte déjà une vingtaine d’années d’expérience dans les métiers de la communication. Après une formation de typographe dans une petite imprimerie de Morges, cet homme qui apprécie tout particulièrement son rôle d’enseignant à l’Eracom enchaîne avec un apprentissage de graphiste dans une agence lausannoise. Le dessin ? « Au début, il me servait surtout à draguer les filles. » Mais pas seulement. Il a dix-neuf ans quand la Placette et Publicitas, deux clients de l’agence, sont séduits par le style pop très coloré du jeune apprenti. A vingt-et-un ans seulement, il décide de s’installer comme indépendant. Grâce à un mandat régulier d’illustration pour la rubrique économique de l’Hebdo, ses factures sont payées. C’est l’essentiel, car ce qui compte, c’est l’aventure. Keith Haring, Ben, les nouveaux réalistes, mais aussi Werner Jeker et Pierre Neumann figurent parmi les modèles de ce jeune poète des formes et des couleurs, qui tente de concilier l’énergie exploratrice de la figuration libre et la rigueur savamment contrôlée du graphisme helvétique. « Cette dialectique entre le dionysiaque et l’apollinien, c’est peut-être déjà ce que les fougueux dadaïstes étaient venus chercher à Zurich la protestante », plaisante l’artiste.

En passant par l’affiche…
C’est par un coup de bluff qu’à vingt-cinq ans, ce Vaudois pourtant timide décroche son mandat le plus prestigieux à ce jour : l’affiche du Montreux Jazz 2000. « Au lendemain d’un concert, j’ai vu Claude Nobs et Michael Stipes de REM sur une terrasse. J’avais un book sur moi et j’ai foncé. » Dans la foulée, Swatch lui demande de customiser une montre pour la Saint-Valentin. Ensuite, retour à un certain anonymat travaillé par un questionnement constant sur le bon statut à adopter : illustrateur, artiste ? Il y a cinq ans, optant pour la seconde option, il voit se clarifier le profil de ses client : les acteurs culturels, en particulier les arts de la scène. Le théâtre du Crochetan, à Monthey, lui demande des dessins inspirés de ses spectacles, notamment ceux d’Omar Porras. « Un univers où je me reconnais, dont le délire est toujours contenu, appuyé sur un texte. » Grâce à ses rares indices temporels, l’art d’Albin Christen a toujours pu migrer sur d’innombrables supports. Récemment, l’école et service de location de kayaks Paddle Center lui demande des dessins pour customiser sa fourgonnette, puis les utilise pour des t-shirts. Avec le temps, les couleurs débridées ont fait place à des tons plus travaillés, plus subtils. Quant aux motifs, l’artiste n’a cessé de développer un bestiaire où les personnages ont souvent de grands yeux (une influence des masques populaires) et des visages en demi-lunes, et côtoient des oiseaux fantastiques, des poissons volants ou encore des rennes qui ne sont pas toujours ceux du Père Noël. Son processus créatif ? « J’ai eu longtemps tendance à rattacher un mot à une image. Aujourd’hui, j’essaie d’ouvrir mon horizon en procédant davantage par élimination que par expansion. » Les atmosphères y ont gagné en profondeur et les aspects conceptuels ont pris une importance accrue. « J’essaie par exemple de créer la surprise par des changements de dimensions – grands oiseaux et petites maisons ; grands drapeaux et petites personnes – ou en mettant un personnage à l’envers afin d’évoquer la mort. J’essaie de perturber, de tordre mon vocabulaire de base pour le faire aller plus loin. » Récemment, une rencontre sur Facebook avec l’écrivaine haïtienne Stéphane Martelly, qui vit à Montréal, a donné naissance à un très beau livre pour enfants en noir et blanc. L’univers visuel rappelle les papiers découpés, mais également les arts premiers avec notamment le motif de la spirale. Le mandat idéal ? « Quand le client comprend mon travail et finit par se l’approprier. » Il y a quelques années, une collaboration avec un architecte pour le cinéma Rex d’Aubonne l’a bien illustré. « Un cinéma où, enfant, j’ai vu tous mes premiers films. Mes dessins sont devenus des bandes de tapisserie. Une commande qui liait l’enfance, le côté ludique et le cinéma. »

…vers de nouveaux horizons
La galerie LAC de Vevey présente aujourd’hui un choix de travaux d’Albin Christen. Consécration ? Plutôt une nouvelle aventure, dans la mesure où c’est l’artiste qui fait son entrée. Jusqu’à présent, seules quelques éditions de cartes postales illustrées, proposées notamment par le Mudac, avaient mis en évidence ce travail pour lui-même. A terme, on l’imaginerait cependant poursuivre sa conquête de nouveaux univers : des fresques dans l’espace public ? La mode, le luxe ? Il y a quelques années, un projet de carré Hermès avait été abandonné de peu. Dans les années 1980, les artistes de la figuration libre, notamment Ben et les frères di Rosa, s’étaient aventurés avec succès sur le terrain du merchandising : t-shirts, sacs, trousses d’école… Le Bauhaus, institution de référence pour Albin Christen, prônait la réunion de l’art et de l’artisanat. Le monde a-t-il donc tellement changé qu’avec Internet et la multiplication des écrans, les arts populaires ne puissent plus insuffler un peu de poésie dans les rues ? Pas sûr. Partout dans le monde, les artistes du graffiti gagnent du terrain et droit de cité jusque dans l’univers très fermé des ventes aux enchères. Aujourd’hui à la croisée des chemins, les peintures et dessins d’Albin Christen ont tout pour insuffler un peu de rêve à nos rues, à un monde en devenir qui ne saurait, pour se réaliser pleinement, négliger la poésie.

Galerie LAC de Vevey www.lacvevey.ch, jusqu’au au dimanche 12 octobre 2014

Huber Gauthier

Journaliste culturel, écrit notamment pour le Kunst-Bulletin et Artpresss

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