C’est sur un air d’IPO que la 63e édition du Festival international de la créativité Cannes Lions s’est tenue du 18 au 25 juin sur la Riviera française. Les quelques 15 000 professionnels présents ont eu le choix de participer à trois événements différents : Cannes Lions Entertainement, Health et Innovation.
A-t-on voulu rendre la mariée trop belle ? Cet avis était largement partagé en salle de presse, ainsi que parmi des habitués du Cannes Lions. Trop de monde, trop de conférences, trop de lieux d’expériences de réalité augmentée et… peu de nouveautés ou de créativité. Bref, un air de déjà vu ! La raison d’une telle surenchère : le groupe Ascential, également propriétaire de l’Eurobest, Dubai Lynx et Spikes Asia, a opté pour une entrée en bourse.
Cannes Lions est un événement rentable. Les chiffres publiés dans les documents liés au projet d’IPO révèlent qu’en 2014, le festival a généré un chiffre d’affaires de 59 millions de dollars sur une semaine et que la croissance est régulièrement de deux chiffres par an. On a également appris que Health avait permis d’engranger à lui seul 1,9 million de dollars en 2015. Et que la création d’Innovation, l’an dernier, répondait à la nécessité d’attirer un public plus digital peu intéressé par la publicité classique. Mais pour passer à une autre échelle, il faut plus de moyens.
Le rebranding de la partie publicitaire en « Cannes Lions Entertainment » laisse entrevoir une tendance que d’aucuns déplorent déjà : l’hollywoodisation de ce concours publicitaire, où l’on mise désormais plus sur les VIP que sur les professionnels de la branche pour augmenter le taux de fréquentation. On peut également imaginer que d’autres mini-salons soient créés ces prochaines années.
De quoi inquiéter la ville de Cannes qui craint une délocalisation du festival, les infrastructures hôtelières (et AirBnB n’y changera rien) étant largement dépassées. Une catastrophe pour les commerçants et les chauffeurs de taxis qui précisent que seuls Cannes Lions et le MIP ramènent du chiffre d’affaires. « Le festival de cinéma c’est différent : il n’y a que des journalistes et des touristes de passage qui ne consomment rien. Sans parler des stars à qui l’on offre le gite et le couvert ! »
Les thèmes de 2016
A l’instar du festival, les intervenants qui se sont succédés sur les différentes scènes n’ont eu que le mot « repositionnement » à la bouche. Un discours surprenant de la part des représentants de plateformes comme Spotify ou AirBnB, qui ont mis l’accent sur le besoin de mieux appréhender les contraintes du marché après avoir répondu aux attentes du public. Même type de remise en question du côté des agences. La présentation de R/GA en ouverture de Cannes Innovation résumait parfaitement l’accélération des défis auxquelles ces dernières ont dû faire face depuis une cinquantaine d’années. Lorsque Bob Greenberg a créé son agence dans les années 60, la télévision était la nouveauté pour les publicitaires. Au début des années 70, les premiers logiciels d’assistance vidéo ont commencé à changer la manière de produire les spots télévisés. En 1995, les débuts du Net l’ont contraint à transformer R/GA en une agence interactive. En 2004, l’iPhone a ouvert l’ère digitale et, depuis 2013, avec l’Internet des objets, de nouveaux profils encore plus technologiques ont été recrutés. « Aujourd’hui, 60% de nos mandats sont de communication, 30% de création de produits et 10% de transformation de business. » Qu’en sera-t-il à l’avenir ? « Avec l’accumulation de données et la transformation des algorithmes, nous allons entrer dans l’ère du Conversation Commerce. Un mélange de créativité, de storytelling et de datas. »
Idem du côté du réseau Dentsu qui est venu présenter six projets soutenus par leur accélérateur : Jibo, un système de reconnaissance vocale à la forme de robot ; Cue, un kit médical connecté à un réseau de médecins ; Exo, des barres protéinées faites à base de criquets ; Nextbit, un smartphone Android avec un cloud intégré ; Agolo, une plateforme qui permet de créer des résumés de news contextualisés et en temps réel ; Victorious, une plateforme permettant aux fans de mieux suivre les personnes qui les inspirent. Comme l’a expliqué Yasuharu Saski, Head of Digital Creative and Executive Creative Director Dentsu Inc., « l’époque où les agences anticipaient les tendances de consommation est révolue. Désormais, nous devons devenir les acteurs de l’ecosystème en étant une force de proposition et non uniquement en tant que prestataires. »
Une nécessité selon Stefan Bardega, Chief Digital Officer de ZenithOptimedia, qui est venu parler de l’ère des robots. « L’évolution des algorithmes de plus en plus intuitifs et autonomes (Learn Machine) va avoir des conséquences énormes sur nos métiers. L’augmentation de l’efficacité des logiciels va permettre de faire baisser les coûts de production (fabrication de vidéos ou de texte, stockage d’information, création d’applications, etc.) de telle sorte que les marges des agences vont finir par être réduites à néant. Sans parler d’une multitude d’emplois qui vont simplement disparaître car le coût d’un humain sera trop élevé. Ce n’est plus une tendance mais une réalité qui nous concerne désormais tous. »
Et de la réalité à la Réalité Augmentée (RA), il n’y a qu’un pas que Samsung (très présent dans ce Festival) et Unilever ont franchi avec force. Du côté du constructeur coréen, on a misé sur des expériences ludiques avec des chaises sensorielles dignes d’un parc d’attraction. De l’autre, la multinationale anglo-néerlandaise a tenu à présenter le magasin de l’avenir avec des hologrammes et écrans dynamiques. Quant à la RA, elle est ici surtout utilisée comme un outil de recherche, afin de mieux comprendre l’univers des différents groupes de consommateurs, notamment la génération Z. Quant aux 50 startups, soutenues par The Unilever Foundry, elles étaient réparties en cinq sections : « Future of Retail », « Brand & Content Innovation », « Data, Insights & Personnalisation », « Social Impact » et « Engaging Millenials ». On est bien loin de la seule R&D concernant des produits.
Force est de constater que désormais les agences comme les marques chassent des solutions de service – et sur les mêmes terres. C’est peut-être là la seule vraie nouveauté….