Chronique rédigée par Jean-François Fournon
Qu’espérais-je en ouvrant « Espérément« , le dernier livre de Jean-Marie Dru ?
Tout n’a-t-il pas déjà été dit sur la disruption par son créateur dans des livres sortis dans les années 1990, 2000 et même 2010. Dru avait expliqué patiemment et dans le détail les trois piliers de sa méthode : une convention à identifier et à dépasser par une idée disruptive au service d’une vision. Cela avait très bien fonctionné pour des budgets de son agence parisienne BBDP (du nom des 4 fondateurs Boulet, Dru, Dupuy, Petit) comme Tag Heuer, Rodier, Virgin Mégastore ou encore UAP. Cela avait encore fonctionné à une autre échelle quand BBDP, asphyxié financièrement par une politique d’acquisitions trop ambitieuse avait été racheté par Omnicom et fusionné avec TBWA.
Dru avait pris la tête du réseau américain et son bâton de pèlerin pour aller prêcher la bonne parole disruptive. Il avait été convaincant et son discours avait bien pris, en particulier en Afrique du Sud où des Disruption Days organisés avec des clients avaient permis de sortir de belles idées et de grandes campagnes.
On s’était surtout aperçu que de grandes agences du réseau, comme Chiat Day à Los Angeles, pratiquaient déjà la disruption quand elles concevaient des campagnes aussi mythiques que « 1984 » pour Apple. D’accord, on avait réécrit un peu l’histoire et apposé à postériori l’étiquette disruptive à des marques qui n’en connaissaient pas encore l’existence.
Qu’importe !
La fin justifie les moyens et aujourd’hui, si vous consultez le site Web du groupe TBWA, vous tombez en page d’accueil sur le slogan « the Disruption Company ». Belle longévité et belle reconnaissance pour un concept qui a plus de 30 ans et dans un métier où les modes se démodent à vitesse grand V. C’est là finalement à mon sens le grand mérite d’Espérement de Jean-Marie Dru : nous rappeler qu’il fut l’un des rares à essayer de théoriser un métier qui se fait encore aujourd’hui beaucoup de manière empirique.
Avant Dru, il y eut des grands noms dans la pub, des Bleustein-Blanchet, des Philippe Michel, des publicitaires brillants, audacieux, charismatiques. Qu’ont-ils laissé ? Des mémoires de lion pour le fondateur de Publicis et un petit recueil de réflexions sur son métier pour le M de CLM/BBDO, pas grand-chose même si les campagnes sorties de leurs agences respectives font les beaux jours des livres consacrés à l’histoire de la pub.
Rien en tout cas qui puisse se mesurer aux écrits de Dru et à sa méthode. Le seul autre publicitaire auquel je pense et qui a un peu théorisé sur le métier, c’est notre Jacques Séguéla national. Avec sa Star Stratégie des années 80, il tenait lui aussi quelque chose qui s’est un peu perdu avec le rachat de son agence devenue Euro-RSCG puis Havas… Dommage.
Pour en revenir à Dru, je vois un autre intérêt à son ouvrage, celui de nous rappeler que la publicité est une histoire d’idée qui ne commence pas dans le bureau des créatifs mais dans celui de toutes les personnes impliquées dans l’élaboration du brief. Une idée dans le brief pour aider les créatifs à avoir des idées, voilà une bonne idée.
Espérément de Jean-Marie Dru est publié chez Pearson