Chronique rédigée par Jean Meneveau, partner Colombus Consulting
Face au développement de l’IA, la question de la réglementation se pose depuis quelque temps. En Europe, le DSA (Digital Service Act) entré en vigueur en août 2023, a marqué les esprits en rendant les GAFAM responsables de leur contenu en ligne. Cette législation de l’Union européenne exige une transparence accrue, des délais stricts pour la modération et des mesures préventives, visant à créer un environnement numérique plus sûr.
Plus récemment, le 5 février 2024, l’Union européenne a marqué un autre tournant historique en adoptant à l’unanimité l’Intelligence Artificielle Act (IA Act), faisant d’elle le premier continent à établir une législation spécifique encadrant l’utilisation de l’intelligence artificielle. Cette avancée significative n’a pas été sans obstacles, avec des négociations laborieuses impliquant la résistance de certains membres, et pas des moindres comme la France et l’Allemagne. Cependant, l’accord trouvé souligne l’engagement collectif envers la régulation et la gestion des risques liés à l’IA.
L’IA Act repose sur des principes simples de gestion des risques, visant à interdire les applications à haut risque. Ce cadre réglementaire vise à établir des normes strictes pour garantir la mise en application des systèmes d’intelligence artificielle. Une mesure audacieuse qui soulève des questions essentielles quant à son impact sur l’innovation et le développement de l’IA.
Certains détracteurs avancent que la régulation stricte pourrait entraver l’innovation, freinant le lancement de projets d’intelligence artificielle audacieux et novateurs. De grandes entreprises se sont largement exprimés dans ce sens en Europe : Airbus, Dassault Systèmes, Orange, Renault… Cependant, une perspective alternative considère l’IA Act comme une opportunité unique. Les IA conformes à ces normes strictes seraient perçues comme plus sûres et éthiques, renforçant ainsi la confiance des utilisateurs et des marchés.
Alors qu’en est-il en Suisse ?
On apprend que le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) devait livrer fin mars un projet visant à imposer des règles à ces acteurs transnationaux … finalement ce dossier serait repoussé à cet automne. On peut donc s’attendre à un délai de plusieurs années avant que la Suisse applique une législation spécifique.
La Suisse semble donc adopter une position attentiste face à vos avancées européennes. Cette réserve soulève la question fondamentale : est-ce un risque ou une opportunité pour les pays qui hésitent à se conformer à des législations novatrices ?
Un parallèle peut être tracé avec le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), une initiative européenne novatrice en 2018 qui a posé les principes de la protection des données personnelles. Bien que sa mise en œuvre ait initialement soulevé des préoccupations, elle a sensibilisé les marchés aux risques inhérents à la négligence de la protection des données. De manière similaire, l’IA Act pourrait jouer un rôle crucial dans la sensibilisation aux enjeux éthiques liés à l’intelligence artificielle.
En conclusion, l’adoption unanime de l’IA Act en Europe représente une avancée majeure vers la régulation responsable de l’intelligence artificielle. La Suisse, tout en restant en retrait, se trouve à la croisée des chemins entre les risques potentiels et les opportunités découlant de cette nouvelle législation. L’avenir dira si cette décision historique de l’Union Européenne est le catalyseur d’une ère nouvelle, éthique et sécurisée de l’intelligence artificielle.