La chronique de Gilles Dumont, partner, Creatives
L’autre jour, je me promenais sur ma machine à insights préférée (LinkedIn) quand « L’affaire du retrait d’affiche » m’a inspiré cette chronique, qui aurait aussi pu s’intituler: Une bouche, des goûts et quelques débris.
Table des matières
Une bouche…
L’affaire commence avec une bouche. Pulpeuse à souhait, aux lèvres charnues et couvertes d’un épais rouge vermeil (plus précisément: C:0, M:94, Y:98, K:08). Imprimée sur une affiche F12 blueback puis placardée sous les fenêtres de l’administration communale lausannoise… avant d’être arrachée. Non pas par un•e activiste XR (pour une fois!) mais par la Ville, en vertu d’un article de loi interdisant les publicités sexistes dont deux critères ont été bafoués: « l’absence de lien naturel entre [la femme] et le produit vanté » et « une représentation purement décorative qui utilise [la femme] comme aguiche ».
Je ne reviendrai pas ici sur le bien-fondé de cette loi ni sur la légitimité de ce retrait d’affiche: ce n’est pas là où je veux mener cette chronique qui s’apparente plutôt aux questionnements d’un homme nouveau en chantier, avec ses réussites et ses ratés. Je ne blâmerai pas non plus l’agence qui a signé ce « méfait ». Car ce « faut pas », j’aurai pu le commettre jusqu’à ce 8 juin et ses appels qui sont enfin arrivés jusqu’à mes oreilles. Ou jusqu’à cette fois où j’ai constaté, en parlant à mes filles, avoir des difficultés à accorder les adjectifs au féminin? Ou jusqu’à ce business lunch où j’ai halluciné devant le comportement de mon client envers la serveuse (Le client est roi, certes, mais parfois il est aussi le roi des cons)? Ou jusqu’à ce mandat pour le Bureau de l’égalité entre femmes et hommes du canton de Vaud où j’ai pu mesurer les progrès restant à faire pour atteindre une communication plus égalitaire en terme de respect? Ou jusqu’à demain, car je ne suis pas à l’abri d’une erreur. Bref, il n’est jamais trop tard pour apprendre, même lorsqu’il s’agit des règles les plus basiques de bon sens.
Des goûts…
Sur LinkedIn donc, je mets la main sur une poignée de commentaires autour de cette affaire. Et là c’est le drame: la plupart des commentaires sont plus lourds qu’un Bigard anisé dans une chorale mormone à jeun. À court d’arguments sur un sujet si angoissant, une horde de boomers (j’ai vérifié) experts (au masculin: j’ai vérifié aussi) se donne du mâle pour nous convaincre avec gravité de l’incapacité d’une Ville « gauchiasse » (sic) à laisser se perpétuer le monde d’avant; le tout enrobé d’un répertoire réactionnaire enrichi de truthbombs empruntées aux « argumenteurs » de la crise sanitaire. Et comme vous l’aurez deviné, ça passe à côté du sujet. Car une réalité (qui dérange?) est ignorée: le monde change.
…et quelques débris
Aujourd’hui, une partie croissante du monde veut être considérée pour ce qu’elle est et non pour ce que des siècles de clichés de genre ont façonné de son image. Si la demande est là, la casquette « économique » des publicitaires serait idiote de l’ignorer.
Pour paraphraser Séguéla, si effectivement « c’était mieux avant » alors aujourd’hui est moins pire (donc meilleur) que demain. Je pense surtout que ces nouveaux paradigmes sont synonymes d’opportunités pour une branche engluée elle aussi de clichés et de casseroles (faites un tour sur @balancetonagency), qui est plus que jamais amenée à se réinventer. Et si on faisait le tri entre ce qui est bon à garder du monde d’avant et ce qui encombrera les évolutions positives du monde d’après? Comme le sexisme, par exemple 🙂
Le sexisme, je connais, j’ai baigné dedans, comme vous. Depuis petit, je le côtoie au quotidien. Dans les paroles, les actes de ceux qui m’entourent. Dans la pub, les films, et même les livres. Dans les chansons paillardes. J’avoue que de temps en temps, à petites doses et depuis mon confort masculin, il m’a fait rire. Mais à force, il devient lourd. Et me dérange. Alors, souhaite-t-on à nos têtes blondes (oups encore une expression qui mériterait d’être révisée!) de chasser-croiser toute leur vie cette bête du passé?
On en parle?
Communiquer devient de plus en plus complexe. Parfois, on marche sur des œufs. Jusqu’où faisons-nous des compromis en élaborant des campagnes? On connaît l’adage « à ne vouloir déplaire à personne on ne plait à personne ». Je suis partagé entre l’ancien « moi » qui surfe volontiers sur ces terrains glissants et le nouveau qui tente de faire attention aux ressentis de chacun•e.
Ressenti: le mot est posé. C’est là toute la particularité du sexisme: il est subjectif. Car c’est le vécu et le ressenti de la « victime » de sexisme qui primera sur toute autre considération. Et comme personne ne peut se mettre dans les sneakers de cette personne, il ne nous reste qu’à faire preuve d’empathie et chercher à anticiper en quoi une accroche indélicate pourrait créer de la souffrance… Je vois plutôt ça comme un challenge: aborder les sujets qui fâchent avec finesse, ou chercher d’autres ressorts (plus modernes) à exploiter.
Hier et d’aujourd’hui
Si la pub est le reflet de la société, faisons-en des belles ondes dans lesquelles se mirer! Certaines agences s’y mettent plus ou moins timidement, d’autres se positionnent carrément sur le sujet (coucou Minuit Une!).
La publicité qu’on m’a enseignée faisait la part belle aux stéréotypes (« le chemin le plus court pour créer l’adhésion »). Quinze ans plus tard, je découvre que le vrai chemin, c’est l’émotion. Laquelle peut très bien être générée sans l’usage de stéréotypes ou de clichés.