Ce mois d’avril 2014 restera dans les anales de la communication suisse. Le 2, PubliGroupe annonce la vente de Publicitas. Le 11, Ringier acquiert le journal Le Temps en rachetant les 49% de Tamedia. Le 17, Tamedia fait une offre publique d’achat pour l’acquisition de PubliGroupe. Le 25, c’est au tour de Swisscom, déjà propriétaire de 50% de local.ch, de faire une offre publique d’achat à PubliGroupe pour le rachat des 50% restants. Nul doute que la Comco va avoir du travail sur la planche ces prochaines semaines, car sans son approbation tous ces acteurs média peuvent dire adieu à ces promesses d’achats et de ventes…
Une attente qui nous laisse le temps d’analyser ces mouvements capitalistiques et médiatiques. Que signifient-ils ?
Le Temps : une vente en six mois
Depuis le 8 octobre 2013, date de l’annonce par Tamedia et Ringier de la mise en vente du quotidien Le Temps, tout a été fait pour médiatiser cette vente. C’est par un communiqué de presse que cette opération a été annoncée, puis de nombreux repreneurs n’ont pas hésité à déclarer leur intérêt publiquement : la direction du titre, L’Agefi, le Cercle des amis du Temps, etc. La longueur du processus (six mois) a également finit par altérer l’image d’un titre au statut de « Quality Paper » qui ne méritait pas un tel traitement. Car au final, une seule question importe : que faut-il investir pour assurer la pérennité de ce titre ? Si l’on lit entre les lignes, le groupe Ringier aurait versé de 8 à 10 millions de francs. Daniel Pillard, directeur de Ringier Romandie, assure « que ce titre ne perd pas d’argent si l’on tient compte des revenus des suppléments ». Or, ce segment de presse coûte très cher à réaliser, car il nécessite du personnel qualifié et en nombre. Et les résultats du titre ne sont pas au beau fixe. Le lectorat print n’a cessé de s’éroder en passant de 121’000 lecteurs (Mach Basic 2000) à 90’000 lecteurs (Mach3 2014-1) ; sur le web, les performances ne sont pas la hausse. Net-Metrix-Audit annonce 333’000 Unique Clients mensuels ; si l’on traduit en Unique User (Net-Metrix-Profile) – une base plus logique pour un journal -, on en dénombre 20’000 par jour. Ce que Total Audience 1.3 affine en démontrant que 3’000 internautes du Temps sont en fait des doubles utilisateurs (print + web), ce qui revient à dire que l’audience quotidienne exclusivement web s’élève à 17’000 internautes.
Le message de Michael Ringier n’est pas entré dans ces subtilités statistiques. « La Suisse sans la Suisse romande n’est pas la Suisse. » Ce rachat est par conséquent une affaire de cœur. À Daniel Pillard de rendre l’opération rentable. On peut imaginer qu’une fois l’accord de la Comco avalisé, l’intégration du titre va commencer à grande vitesse. Sa commercialisation sera pilotée depuis Zurich, comme pour les autres titres de Ringier Romandie, et la direction sera basée à Lausanne où la rédaction pourrait bien être déplacée. Des synergies avec L’Hebdo (une rédaction qui est passée de 45 à 15 journalistes) sont évidentes, notamment en ce qui concerne les suppléments (luxe, golf, équitation, horlogerie) qui pourront être encartés dans ces deux titres. Les sites web qui pourraient également être réunis, avec une rédaction gérant le contenu de l’actualité chaude et l’autre de la froide. Un rapprochement qui générerait une masse critique justifiant un paywall.
Publigroupe : digital toute !
La concomitance des événements pourrait laisser croire que Tamedia ne pouvant racheter Le Temps aurait alors jeté son dévolu sur PubliGroupe. Or, il n’en est rien ! Tamedia a-t-il jamais souhaité acquérir un nouveau titre en Suisse romande, alors que ses résultats 2013 annoncent une baisse de 3,3% dans le secteur du print régional ? Il semblerait qu’une discussion très tendue ait eu lieu la nuit du 10 avril entre Tamedia et Ringier. L’enjeu était-il le rachat du Temps ou une lutte pour ne pas laisser un titre dans les mains d’un concurrent ? Car avec une croissance de 62,3% dans le digital, Tamedia n’a d’yeux aujourd’hui que pour des investissements dans le web. Or, il se trouvait que PubliGroupe venait justement de trouver un acquéreur pour Publicitas. Après avoir approché divers acteurs média en Suisse, qui ont tous refusé de reprendre cette division, PubliGroupe avait fini par vendre ce qui fut son joyau à Aurelius, une société financière munichoise. Exit la division Media Sales qui n’en finissait pas de plomber les résultats du groupe.
Ainsi allégée, la vieille régie suisse redevenait une fringante jeune fille avec pour principal attrait la division Search & Find (115,5 millions de francs de revenus en 2013), à l’intérieur de laquelle on trouve 49% de Zanox et 50% de local.ch. Annuaire, plateforme d’affiliation et demain plateforme SSP de DSP, difficile de ne pas envisager un raid d’autant que les dirigeants de PubliGroupe donnent l’impression de ne pas avoir de cap précis. S’il y avait un moment pour agir avec une offre d’achat c’était bien celui-ci. Swisscom l’a également bien compris en demandant le reste de local.ch. Car le géant de la téléphonie ne souhaite pas partager les revenus du très juteux du marché du B2B qu’il est en train de développer sur local.ch avec search.ch, l’annuaire de Tamedia. Sommé de toutes part, PubliGroupe prend note de toutes ces attaques et promet d’y répondre au plus vite. Mais n’est-ce pas trop tard ? La partie de Monopoly est loin d’être finie…