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Whole Earth Catalogue : Google en format papier

Le discours prononcé lors de la rentrée universitaire de Stanford en 2005 a de fortes chances de rester dans l’histoire comme l’ultime sermon de Steve Jobs. Parmi les nombreuses références qui traversent cette allocution, le passage final ne manquait pas d’attirer l’attention. « Dans ma jeunesse, il y avait une publication incroyable intitulée Whole Earth Catalog, qui était une des bibles de ma génération. … C’était pendant les années 60, avant l’ordinateur personnel et la PAO, tout était fait avec des machines à écrire, des ciseaux et des polaroids. C’était un peu comme Google en format papier, 35 ans avant l’existence de Google. C’était une revue idéaliste débordant d’outils épatants et de notions géniales ». Connaissant le degré d’exigence du big boss d’Apple, cet éloge ne manque pas d’interpeller. Cette simple allusion a d’ailleurs largement participé à raviver l’intérêt pour ce projet éditorial qui a posé de manière décisive les jalons de la cyberculture.

L’épopée du Whole Earth Catalogue débute vers la fin des années 60, lorsqu’un nombre de plus en plus important de personnes quitte les villes pour fonder des communautés dans des zones reculées des États-Unis. Stewart Brand, un jeune idéaliste touche-à-tout, cherche un moyen pour permettre à ces hippies d’accéder aux différents accessoires nécessaires à leurs activités quotidiennes. Vêtements, manuels de jardinage ou livres sur la théorie de l’information, le catalogue regroupait un fatras hétéroclite d’articles qui reflétait la sensibilité contre-culturelle de cette période. A ce titre, Brand avait envisagé très tôt les potentialités des ordinateurs et le catalogue présente une radioscopie originale des premiers signaux de la Silicon Valley. Robert Albrecht, un des éditeurs du magazine, est d’ailleurs l’un des fondateur du Homebrew Computer Club. C’est dans le cadre de ce rendez-vous hebdomadaire de passionnés d’informatique que Steve Wozniak et Steve Jobs vont se rencontrer en 1975.

Vers le milieu des années 80, le Whole Earth Catalogue est à l’origine des premières communautés virtuelles, grâce au Whole Earth’Lectronic Link (Well). The Well, qui fonctionnait comme une forme de forums de discussion, a très rapidement connu une large médiatisation et cette visibilité a permis à de nombreux contributeurs de devenir des porte-paroles particulièrement influents tout au long des années 90. C’est le cas en particulier d’Howard Rheingold, auteur du classique The Virtual Community, de John Perry Barlow, à l’origine de l’Electronic Frontier Foundation et conseiller d’Al Gore, ou encore de Kevin Kelly, cofondateur de magazine Wired. Quant à Steward Brand, il n’a pas mis longtemps avant de réviser ses élans utopiques hippies. Dans un numéro spécial du Time paru en 1995, il déclarait: « Oubliez les protestations contre la guerre, Woodstock et même les longs cheveux. Le véritable héritage des années soixante, c’est la révolution informatique ». De plus, il a développé un modèle original de réseautage en parvenant à regrouper des individus et des secteurs d’activités traditionnellement tenus séparés. En facilitant le lien entre la philosophie new age, les premiers hackers et les industries, il est devenu une forme de modèle entrepreneurial pour les startups qui vont gonfler la bulle Internet.

Joël Vacheron

Tous les numéros du Whole Earth Catalog sont accessibles en ligne : http://www.wholeearth.com/

Une excellente recherche aborde ces questions :
Fred Turner, From Counterculture to Cyberculture: Stewart Brand, the Whole Earth Network, and the Rise of Digital Utopianism, 2006

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