Il y a quatre ans déjà, Gianni Motti, Italien de Genève qui, avec d’autres artistes étrangers vivant en Suisse, représentait la Suisse « multiethnique » à Venise, y annonçait la vente par sa galerie à Art Basel, qui suit toujours l’ouverture vénitienne, d’un savon. Un simple savon, mais qu’il affirmait fabriqué avec la graisse de Berlusconi récupérée dans une clinique tessinoise où le cavaliere s’était fait lifter.
Cette année, Fabrice Gygi a investi l’église San Stae, un des lieux d’exposition helvétiques à Venise. Il y a installé d’énormes armoires métalliques., lieux de stockage pour conjurer la crise sans doute, mais aussi espaces verrouillés et froids emblématiques de nos peurs. Une grille est d’ailleurs posée, tel un caillebotis protecteur, sur la tombe qui occupe le centre de l’église. Une autre installation semble dialoguer avec celle du Suisse. Celle de Claude Lévèque au pavillon français. L’artiste a par ailleurs choisi Christian Bernard pour commissaire d’exposition. Le directeur du Mamco de Genève lui a en quelque sorte servi de coach pendant toute la période de recherche. Et Claude Lévèque a ainsi abouti a un parcours derrière de hauts barreaux, dont la froideur et l’enfermement sont compensés par les paillettes tapissant les murs, les drapeaux qui flottent, le bruit d’un bateau qui part… Entre nostalgie d’une fête finie et volonté de ne pas réduire l’espace ¬aux barreaux. L’installation s’appelle « Le Grand Soir »…
La belle église baroque comme le gentil pavillon français sont des lieux plutôt éloignés des univers de Fabrice Gygi (qui a eu une grande exposition au Mamco) et Claude Lévèque, qui n’ont ni l’un ni l’autre rien de dandys de l’art. Le Français, plus encore que le Genevois, dissimule derrière des allures rustaudes une créativité sensible, une capacité à imaginer des espaces, des installations, dans lesquelles le spectateur se sent réellement affecté par ce qu’il vit. Leurs deux interventions sont politiques en ce sens qu’elles sont inspirées par la réalité sociétale du moment. Elles en offrent une vision déconcertante et nécessaire, tout comme le savon vendu par Giani Motti il y a quatre ans. Car Venise n’est pas l’Italie, mais Berlusconi non plus.