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Made by Many à Londres : Le marketing maigre

Lancée en 2007 par quatre amis de longue date, Made by Many s’est détournée des procédures de marketing traditionnel en s’inspirant de certains modèles de start-up. Décoiffant !

C’est en s’inspirant de la méthode Agile ou du « Lean start-up », que les 4 de Made by Many ont développé une approche extrêmement réactive pour maximiser le temps et les idées. Une efficacité qui leur permet de proposer des plateformes particulièrement symbiotiques avec les besoins des consommateurs, tout en réduisant les gaspillages. Rencontre avec Tim Malbon pour évoquer les diverses prescriptions de ce programme minceur en matière de marketing.

Pouvez-vous revenir sur les origines de Made by Many ?
Il nous est arrivé ponctuellement de travailler ensemble tout au long de ces 10 dernières années. À partir de 2007, nous avons commencé à avoir de plus en plus de demandes pour des projets web extrêmement originaux et cela nous a permis de nous construire une solide réputation dans la ville. C’est à partir de là que nous avons entrevu une réelle opportunité de nous spécialiser dans ce secteur.
Dans un premier temps, l’agence BBH nous a proposé de travailler dans leurs locaux contre des heures de consulting. Et en l’espace de trois années, nous sommes passés de 4 à 20 personnes. Nous nous sommes étendus jusqu’à occuper la bibliothèque. C’était une très bonne expérience, même si nous fonctionnions de manière totalement différente. Il y a quelque mois, nous avons décidé de prendre un peu de distance en nous relocalisant dans une ancienne usine au bord du canal à Angel.

Made by Many a concrètement débuté au moment où le web social explosait…
Jusqu’alors nous évoluions dans le secteur le moins glamour du Web, nous nous étions spécialisés dans des programmes très techniques pour des journaux, pour la bourse, etc. En 2007, Internet a subit une profonde mutation. Facebook s’était imposé et les comportements des usagers se sont modifiés. Même les applications les plus austères devaient devenir sociales et nous avons immédiatement compris qu’il y avait de belles opportunités à saisir.
La technologie agit constamment comme une force disruptive dans les sphères culturelles et médiatiques et l’univers dans lequel nous évoluons à l’heure actuelle implique des pratiques totalement inédites. On ne peut plus « acheter » l’attention des gens comme on le faisait avec les médias traditionnels. Désormais, il faut susciter de l’intérêt sans pour autant impliquer des investissements médias importants.

Les règles du jeu ont-elles complètement changé ?
Oui, car bien qu’il s’agisse de construire une relation rapprochée entre une marque et le public, notre objectif est de transformer les individus afin qu’ils deviennent de meilleurs consommateurs. Ce qui nous distingue, c’est que nous atteignons ces objectifs en fabriquant des produits de grande qualité ; à l’heure actuelle, 95% de nos revenus sont financés par la vente de nos propres produits. C’est le cas par exemple de l’application Holler Gram, une plate-forme permettant d’envoyer et de montrer des messages qui rencontre un franc succès.

Votre collaboration avec Skype constitue un exemple significatif de votre approche. Qu’en est-il ?
Il y a environ une année, après avoir observé que de nombreux enseignants utilisaient Skype pour faire des cours à distance, cette entreprise nous a contactés. Elle cherchait un moyen pour promouvoir et encourager ce type de pratiques. Nous leur avons d’emblée expliqué que s’ils optaient pour une formule de marketing traditionnelle, ils finiraient certainement avec un microsite, des vidéos d’explication, un compte Twitter et une campagne promotionnelle. Cela aurait engendré un pic rapide en termes de visites, mais l’intérêt aurait progressivement diminué car une fois la campagne terminée, il n’y aurait plus de raisons de retourner sur ces liens.

Nous leur avons alors expliqué qu’ils auraient tout à gagner à développer de nouvelles fonctionnalités. Lorsqu’on est un professeur, le principal problème n’est pas: « Je veux que l’on m’explique comment utiliser Skype pour améliorer mon enseignement » mais plutôt « J’aimerais pouvoir rencontrer d’autres professeurs me ressemblant, avec lesquels je pourrais échanger des conseils et des connaissances ».
A partir de cette idée, nous leur avons proposé de créer un produit susceptible de rendre Skype encore plus performant afin d’inciter les membres du corps enseignant à revenir plus régulièrement, tout en suscitant la curiosité d’utilisateurs potentiels.
La solution consiste à fournir un service permettant de rentrer en contact plus facilement les uns avec les autres. Le marketing des enseignants permet ainsi d’améliorer l’offre générale de Skype. En partant de ce constat, nous avons réfléchi à la mise en place d’une solution permettant à ces personnes de se réunir pour entamer des projets ou partager des ressources. Cette approche est valable pour d’autres projets. Nous disposons d’une base de 20’000 personnes prêtes à s’engager dans un millier de projets. Il y a une quantité considérable de valeur ajoutée produite à travers cette réalisation, à tel point que Tony Bates, le chef de l’exécutif de Skype, souhaite désormais connecter un million de professeurs par l’entremise de cette plateforme. Je pense que cela donne un aperçu de notre manière non orthodoxe d’envisager le marketing. Il s’agit d’une équation à travers laquelle les diverses valeurs sont réparties différemment. La même approche peut être adaptée à de nombreuses formes de marché, tout en restant largement meilleur marché qu’une campagne de marketing traditionnel.

Dans le même esprit, vous avez également fait une proposition originale au Telegraph pour dynamiser la section mode de leur site Internet…
Malgré un trafic très important, ces pages étaient extrêmement ennuyeuses, et on ne distinguait pas les pages Sports de celle du Business. L’autre objectif du quotidien était également de vendre plus de bannières. Nous avons rapidement opté pour un environnement numérique luxueux, calqué sur l’univers des magazines glossy, où il est également possible d’acheter des vêtements. Une fois de plus, l’idée est d’ajouter un service générant des revenus parallèlement à l’activité principale.
Dans ce cas précis, il existe une solide équipe de contributeurs qui écrivent des contenus éditoriaux très prisés à propos de la mode. Pourquoi ne pas permettre aux lecteurs d’acheter des habits sélectionnés directement par ces mêmes journalistes ? Ceci en prenant 100% des profits sur la vente puisqu’il n’y a pas d’autres formes d’association avec des magasins. Le site devient en quelque sorte une boutique orientée par des contenus éditoriaux.
A l’heure actuelle, les gens aiment lire à propos des choses qu’ils vont acheter et les journaux se situent dans une position particulièrement avantageuse pour répondre à ce souhait. Toute l’idée repose sur la petite couche qu’on peut rajouter pour augmenter la valeur d’un produit ou d’un service.
Les bénéfices que le Telegraph a engendrés grâce à ce nouveau service ont été énormes. C’est une excellente manière de créer du profit en inventant de nouveaux secteurs de revenus. Nous ne sommes pas très loin du modèle adopté par les startups ; celles-ci sont d’ailleurs de plus en plus tournées vers des contenus éditoriaux.

A ce propos, pouvez-vous préciser quelle a été l’influence du modèle start-up dans votre approche ?
Nous avons d’emblée considéré que ce mode de fonctionnement était une bonne manière de perfectionner notre univers numérique. Tout le monde doit être capable de porter plusieurs casquettes, d’être rapide, de réaliser constamment des choses concrètes. C’est en quelque sorte l’inverse des agences traditionnelles qui fonctionnent souvent très lentement, dans des univers aseptisés, sans jamais réussir à atteindre les mêmes résultats avec 10 fois plus d’employés.
Nous nous intéressons également à tout ce qui touche la philosophie « lean » : il s’agit de diverses techniques permettant de diminuer le gaspillage tout en intégrant de manière très réactive les commentaires effectués par les consommateurs. Dans cette logique, nous parvenons pratiquement à imaginer, dessiner, construire, tester simultanément tout ce que nous produisons. Nous réalisons toutes ces phases de manière concomitante. Il nous a fallu du temps pour atteindre ce stade de maîtrise. Chez Made by Many, plus nous travaillons vite et plus la qualité de ce que nous proposons augmente.

Vous avez un mode de travail très visuel… En quoi les collages et les prototypes carton peuvent-ils vous aider ?
Responsables du marketing, chefs exécutifs, techniciens, clients, graphistes, informaticiens, etc. : nous sommes constamment confrontés à un groupe de personnes très varié lorsqu’on élabore un projet et, en règle générale, tout le monde à une vision totalement différente de ce dernier. Il est donc important de créer à chaque fois un langage commun à l’aide de croquis et d’ébauches. La grande qualité des croquis tient au fait qu’ils sont rapidement réalisés et que tout le monde peut les comprendre car ils synthétisent une pensée. Cela réduit le gaspillage, le temps et les efforts que l’on fournit sur un projet. On en revient toujours à la même idée de réduire le temps investi pour produire un artefact à partir duquel il sera possible de fournir le plus d’informations possible. Nous fourmillons d’idées que nous n’aurons jamais la possibilité de réaliser. A nous de les rassembler sous une bannière commune, de les matérialiser.
Notre approche et notre stratégie consistent à faire des choses, et non à rester assis à nous gratter le menton. Nous nous remettons constamment en question. A ce propos, l’agence 37signal a également eu une influence essentielle sur notre approche. Ils construisaient également des applications et se sont totalement réinventés lorsqu’ils ont compris dans quelle mesure le web était en train de se transformer. Leur livre « Getting Real » est empli de conseils qui sont devenus incontournables.

En lançant 50/50, vous avez également prouvé votre implication en matière d’œuvres humanitaires. Quels sont les enjeux actuels dans ce domaine ?
Il y a actuellement un véritable engouement dans l’univers des agences pour faire des actions qui aient une véritable dimension morale, pour limiter au maximum les gaspillages et contribuer à des actions salutaires. De plus, à l’instar des journaux, les organismes humanitaires profitent également des nouvelles perspectives offertes par le web pour effectuer des collectes de fonds. La situation actuelle pousse de plus en plus d’individus à agir directement, à ne pas simplement compter sur les organismes de charité privés ou publics. C’est un très bon moment pour ouvrir des alternatives, pour s’impliquer de manière plus active. C’est dans cet esprit que nous avons proposé de lancer 50 projets en 50 jours. L’opération a débuté en octobre, lors de la Journée mondiale de l’alimentation, et nous espérons ainsi récolter 1 million de Livres Sterling pour remédier à la famine qui ravage actuellement l’Afrique de l’Ouest. Nous ne savons pas si nous allons atteindre cet objectif, mais la première phase a déjà réussi puisque toutes les agences sollicitées ont fait des propositions. Nous allons maintenant nous concentrer sur les idées les plus fructueuses.

Comment envisagez-vous l’évolution de votre profession durant les 5 prochaines années ?
Lorsque je regarde le chemin parcouru ces 5 dernières années, je suis surpris du nombre de choses qui a changé et cela ne cessera de s’accélérer. Durant cette période, l’iPhone a été lancé… et désormais nous avons l’impression qu’il a toujours été présent dans nos vies !
La tendance qui semble toujours plus marquée est certainement notre amour immodéré pour les images télédiffusées en haute définition. Nous voulons tous pouvoir visionner des vidéos sur notre téléphone, nous adorons Skype et il y a de fortes chances pour que nos expériences des réseaux sociaux soient profondément bouleversées.
Facebook et Twitter ressemblent encore à des tableaux d’affichage et l’on peut facilement imaginer une évolution plus proche de la télévision que de l’Internet. Pour le reste, tout reste ouvert. La télévision connectée va-t-elle connaître un boom en 2012 ? Une tablette révolutionnaire cinq fois moins chère que l’iPad va-t-elle être lancée ? L’accès Internet sera-t-il partout gratuit ? Comment se positionner pour anticiper les prochains changements ? A l’heure actuelle, il faut reconnaître qu’absolument personne n’est capable de prédire ce qu’il va se passer.

Propos recueillis par Joël Vacheron

www.madebymany.com

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