Bien qu’il ne s’agisse pas d’une organisation sans profit (une partie de la société appartenant d’ailleurs à eBay), Craigslist affiche une certaine nonchalance en matière de rentabilité. L’actuel CEO, Jim Buckmaster, a même été quelquefois décrit comme un anticapitaliste. Il se défend de ses accusations en avouant simplement que Craigslist étant « une affaire solide, il a été possible de décider très tôt de ne pas chercher à devenir indignement riche ». Ce positionnement résolument désintéressé constitue un facteur déterminant pour la légitimité du site et a contribué à maintenir le caractère exceptionnellement convivial de cette plateforme. Craig Newmark avoue qu’il continue à faire du service-client durant ses heures de bureau.
À bien des égards, cet état d’esprit perpétue la philosophie qui guidait les premiers échanges qui se sont tissés vers le milieu des années 80 sur le réseau WELL. Ce protoweb social est largement peuplé de geeks de tous poils, généralement rescapés des diverses expériences communautaires qui ont pris place dans la baie tout au long des années 70. On y rencontre le légendaire Stewart Brand, les fondateurs de l’EFF ou encore Howard Rheingold qui a largement participé à populariser la métaphore des communautés virtuelles avec la sortie de son ouvrage homonyme en 1993. Selon lui, il s’agissait de lieux dans le cyberespace où des personnes peuvent entamer des conversations comme elles pourraient le faire dans un café, chez le coiffeur ou dans une salle d’attente. Évoquant ces nouvelles formes de socialités, Rheingold remarquait que les communautés virtuelles permettaient d’accéder directement à l’endroit où s’opéraient des discussions sur un projet précis. Ainsi, « il est toujours possible de rencontrer des personnes qui partagent les mêmes passions ou les mêmes intérêts que vous. Dans cet esprit, le topic s’apparente à une adresse : il est possible de simplement prendre son téléphone pour entrer en contact avec un amateur de vins californien ou le propriétaire d’une voiture de collection ».
En invitant des usagers à entrer en contact en fonction d’intérêts communs, c’est sans conteste cette même philosophie d’affinités électives que Craigslist continue à insuffler sur le web. Design spartiate, gratuité et activisme communautaire, la persistance de cette vision originelle propose une oasis d’idéalisme vaguement désuet. Récemment Craig Newmark, qui avoue être un nerd irrécupérable, à lancé un nouveau projet intitulé craigconnects dont la devise est: « Connecting the World for the Common Good ».
Joël Vacheron
http://geo.craigslist.org/iso/ch