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Dominique Hiltbrunner : L’homme pressé !

abgetaucht-dominique-hiltbrunner-Interview de Dominique Hiltbrunner, éditeur MediaCity
L’an passé, il a redressé le journal économique Agefi, a pris une participation auprès de l’éditeur MediaCity (Lausanne), a acheté à Tamedia la Revue Automobile et Schweizer Bauer, tout en s’occupant de la refonte de deux autres magazines. Ainsi, en 2011, l’ancien petit éditeur bâlois Dominique Hiltbrunner a défrayé à plusieurs reprises la chronique médiatique. Cominmag a interviewé cet entrepreneur de 34 ans qui réalise aujourd’hui un CA de près de CHF 30 millions avec une centaine de collaborateurs.

Dominique Hiltbrunner, quels adjectifs utiliseriez-vous pour qualifier votre caractère ?
Difficile à dire. Je dirais que je suis en tout cas dynamique, parfois un peu colérique, clair et direct, conscient de la qualité et des coûts – un visionnaire…

… quelqu’un qui ne tient pas en place ?
Exactement. À Lausanne, je suis responsable des deux entreprises, Agefi et MediaCity. À Berne, je m’occupe de la Revue Automobile et du Schweizer Bauer, à Bâle du Spatz et à Zurich de Women in Business et de Blickpunkt:KMU. Mon bureau se trouve donc dans le train me permettant de rallier ces quatre sites.

Il y a un an vous occupiez les fonctions de directeur et de membre du conseil d’administration de l’Agefi, poste que vous venez d’abandonner. Pourquoi ?
J’ai été recruté pour redresser l’entreprise. L’Agefi avait connu deux ou trois ans de difficultés relatives avec un recul de son chiffre d’affaires de presque 18%. Pendant trois mois, j’ai analysé la situation et commencé la restructuration de l’entreprise en février 2011. À partir de cette date, j’en ai été le directeur. La restructuration a duré près de dix mois, 2011 se soldant par un bénéfice de CHF 50 000, pour un chiffre d’affaires de CHF 7 millions. J’ai donc accompli ma mission. De nouvelles structures ont été créées et Martin Schaedel a été nommé directeur intérimaire. Membre actif du conseil d’administration, je contrôle les processus, ce qui est désormais suffisant.

Avez-vous dû licencier du personnel ?
Oui, six emplois dans la rédaction. Mais l’entreprise a encore près de 23 collaborateurs à temps plein parce que j’ai mis en place une équipe de vente ayant beaucoup de punch. L’objectif était non seulement de réduire les coûts mais aussi de générer de nouvelles recettes.

Quelle a été votre recette ?
Nous avons créé une offre appelée « All you can place » qui est certainement unique en Suisse : pour CHF 99 000, un client peut passer autant d’annonces qu’il veut, pendant six mois, dans l’Agefi. Mais comme les grandes marques ont un calendrier de campagnes bien précis, elles ne se mettent pas à passer soudainement quatre fois plus d’annonces, mais peut-être une dizaine au lieu de cinq. Quoi qu’il en soit, l’offre a fait l’effet d’une bombe.

En janvier 2011, la statistique d’annonces de la REMP référençait 1,4 page d’annonces par numéro pour l’Agefi. Où en est le journal aujourd’hui ?
À l’heure actuelle, nous avons près de trois pages par numéro et une dizaine de clients « All you can place », notamment des marques d’horlogerie et des banques pouvant réserver quotidiennement des annonces si elles le veulent.

L’Agefi est un petit quotidien aux tarifs d’abonnement les plus élevés de toute la Suisse. Or, il a perdu l’an dernier pratiquement la moitié de ses lecteurs.
Effectivement, il s’agit du plus petit quotidien ayant le public cible le plus restreint : à savoir les 10 000 employés de banque de la place bancaire genevoise – et personne d’autre ! Nous n’avons aucun problème pour les cibler, l’abonnement pourrait même être encore plus cher. Car nous sommes un titre de B2B.

Pourquoi avez-vous été recruté ?
Je connaissais quelques-uns des actionnaires. Et comme j’avais déjà redressé d’autres entreprises de médias en Suisse alémanique, on m’a appelé. Cela a représenté un nouveau défi car j’avais uniquement travaillé dans le secteur magazines : j’ai créé de toutes pièces Women in Business et aidé Immobilien Business à retrouver son envergure.

Êtes-vous désormais l’un des associés chez l’Agefi ?
Non. Mais si la chose devient possible, je suis intéressé.

Je pense que l’occasion s’est présentée fin février : jusqu’à cette date, le président du conseil d’administration Alain Duménil détenait une option lui permettant d’acheter la seconde moitié des parts, lui qui en possède déjà 51% ?
Il peut effectivement acheter les 49 % du groupe Genolier. Mais je ne sais pas s’il a déjà utilisé cette option.

Avec l’Agefi, vous avez fondé l’entreprise commune MediaCity qui édite plusieurs titres.
Oui, il s’agit de Capital Santé, un produit d’édition d’entreprise du groupe Genolier, du supplément Art de vivre Agefi-Life et de Profil Femme, titre féminin lui aussi consacré à l’art de vivre. Nous comptons repositionner ce dernier et avons changé l’équipe rédactionnelle qui faisait trop dans la culture. Désormais, nous nous focalisons plutôt sur l’art de vivre et le luxe. Actuellement, Agefi Life paraît encore sept fois par an et nous comptons en élargir la parution à neuf ou dix numéros.

Mais pourquoi cette scission ?
Auparavant, la production d’Agefi et de ces magazines était commune. Mais comme les journalistes du secteur Art de vivre fonctionnent tout à fait différemment, les problèmes étaient récurrents. Nous avons donc dissocié la production et la vente : nous voulions un environnement purement économique pour Agefi et, pour MediaCity, nous avons mis en place un univers Art de vivre au-dessus de Lausanne.

Vous êtes éditeur depuis 2003, date à laquelle vous avez repris le Business Guide de Robert Gloor, votre mentor. Et depuis ?
Dans ce contexte, « mentor » n’est pas correct (il rit). J’ai été son salarié pendant deux ans puis je me suis mis à mon compte en 1999 en devenant conseiller d’édition. Gloor était l’un de mes clients. J’ai réalisé avec lui des projets internationaux, par exemple la version anglaise du Business Guide que nous avons mis sur les rails avec la Promotion économique. Mais nous avons dû l’abandonner en raison d’un désaccord – pour parler diplomatiquement – avec Gloor lorsque j’ai voulu racheter le Business Guide.

En avril, vous vous êtes d’ailleurs retrouvé au tribunal avec Gloor.
Oui. On m’a reproché, à l’époque, d’avoir porté atteinte à cette entreprise en faillite pour un montant de CHF 400’000. Le Tribunal Correctionnel de Bâle a, en première instance, a réduit le montant de ces dommages contestables à CHF 230’000, mais m’a condamné à une peine conditionnelle pour gestion frauduleuse et falsifications multiples de documents. Je compte bien entendu faire appel de cette décision, ma réputation en tant qu’éditeur étant en jeu.

Récemment encore, vous ne possédiez que de petits magazines. Mais depuis un an, vous êtes exclusivement intéressé par les titres à gros tirages. Pourquoi ?
Un petit éditeur se doit d’être modeste. Mais au fil du temps, nous avons pu nous lancer dans de plus gros tirages, avec notamment Blickpunkt:KMU (70 000 exemplaires) ou Spatz (250 000 exemplaires).

Mais comment se fait-il que vous ayez pu acheter cinq (!) grands titres en seulement 16 mois. Avez-vous fait un gros héritage ?
Non, pas du tout. J’ai financé ces acquisitions par des emprunts bancaires.

Les banques vous ont tout simplement prêté de l’argent ?
Mes partenaires bancaires ont toujours fait des expériences positives avec moi. J’ai toujours honoré les crédits comme il se doit, me montrant ainsi digne de confiance. Et n’oublions pas que la réussite entrepreneuriale compte aussi pour gagner leur confiance.

Parmi vos produits médias, quel est celui capable aujourd’hui de tourner absolument sans crédit bancaire ?
Il faut poser la question dans l’autre sens : quels sont les produits profitant encore d’un crédit bancaire ? Il s’agit uniquement de la Revue Automobile et du Schweizer Bauer.

Tous les autres se financent eux-mêmes ?
… et sont rentables, parfaitement. Je suis un petit entrepreneur, pour moi chaque produit doit avoir épongé ses dettes dès la première année et générer 15% de bénéfices dès la seconde. Des objectifs on ne peut plus clairs !

Selon quels critères choisissez-vous de nouveaux titres de presse ?
En fait, je n’exploite pas des produits imprimés mais des marques médias. J’étudie le rayonnement d’une marque dans un secteur précis et ce qu’on pourrait en faire, qu’il s’agisse d’un produit imprimé ou en ligne. S’il possède un potentiel de développement, alors c’est une marque qui me convient.

Edipresse a récemment vendu le titre Terre et Nature à W. Gassmann AG (Bienne). Pourquoi n’avez-vous pas saisi l’occasion, ce titre vous aurait certainement intéressé comme pendant au Schweizer Bauer ?
J’étais effectivement très intéressé et j’ai soumis une offre mais Gassmann a été plus généreux. Mais je vais bientôt le rencontrer pour parler d’une coopération.

Avez-vous de nouveaux projets pour les prochains mois ?
Non. Pour 2012, l’objectif est de stabiliser le groupe et de le consolider, le Schweizer Bauer arrivant en juin. Mais si je tombe sur une offre intéressante, je ne pourrai quand même pas refuser, c’est évident.

Markus Knöpfli

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