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ECAL : Digital Strategies in Genre-Defining Magazines

L’émergence de nouveaux acteurs, la dissolution des barrières géographiques, l’accès permanent, la gratuité des contenus, l’explosion de l’offre… : l’univers des médias a connu une (r)évolution sans précédent depuis l’avènement d’Internet. Ces différentes observations sont à l’origine du projet de recherche DSGDM (pour Digital Strategies in Genre-Defining Magazines), initié à l’ÉCAL dans le cadre du Master in Artistic Direction. Parmi divers objectifs, ce projet veut explorer des pistes en matière de stratégies éditoriales.

Dans un domaine particulièrement touché comme celui de la presse écrite, deux événements sont généralement cités lorsqu’il s’agit d’évoquer l’impact de l’édition numérique sur la presse traditionnelle. D’une part, en 2010, l’adoption immédiate par le public de l’eBook de Kindle et de l’iPad a démontré de manière spectaculaire la généralisation de nouvelles manières d’accéder et de consommer l’information. Pour de nombreuses maisons d’édition, cet engouement a d’emblée constitué une source d’espoir, les statistiques prouvant rapidement que les utilisateurs de ces appareils avaient tendance à acheter plus de contenus ; d’ailleurs le marché des ebooks est clairement le plus prometteur.

D’autre part, au début de l’année 2013, Newsweek a annoncé l’arrêt de son édition papier pour proposer un nouveau format « tout numérique ». Cette transition constituait le point culminant de l’agitation qui a frappé la presse généraliste depuis le milieu des années 2000. Fondé en 1933, la popularité de Newsweek dans le paysage médiatique américain semblait rendre cette institution inamovible. Or, à l’heure d’Internet, les médias traditionnels n’étaient plus les seuls dépositaires d’exclusivités et cette solution expéditive rendait visibles les limites de modèles éditoriaux inchangés depuis l’après-guerre. Désormais, Newsweek propose à nouveau une édition papier et cet épisode démontre surtout avec quelle rapidité les organes de presse ont été contraints de reformuler en profondeur leurs missions et leurs modèles d’organisation dans une période de temps très restreinte.

En mai 2015, les fuites d’un rapport réalisé par la Newsroom du New York Times présentent un état des lieux éclairant des défis, et des inquiétudes, qui talonnent encore les grands groupes de presse. Parmi les nombreuses recommandations de ce rapport foisonnant, on relève notamment la nécessité de préserver intactes l’éthique journalistique et la qualité des contenus, qui ont fait la réputation du journal, tout en se donnant la liberté d’expérimenter constamment de nouvelles directions. Car « il est important de signaler que la structure qui fonctionne aujourd’hui pour aujourd’hui ne sera pas adéquate demain. Certains de nos changements seront des grands succès, tandis que d’autres seront vite oubliés ». Bref, plutôt que de passer d’un régime à l’autre, les technologies numériques ont provoqué l’avènement de toute une gamme de stratégies éditoriales inédites qui, par tâtonnements, explorent les propriétés toujours plus hybridées et ubiquitaires de l’information.

Une nouvelle presse
De manière quelque peu paradoxale, la production de magazines indépendants a connu une croissance sans précédent à partir des années 2000. Toute une gamme de nouveaux titres, souvent très spécialisés et influents, ont ainsi bourgeonné aux quatre coins du globe. Art, design, gastronomie, automobile, tatouage ou sexualité, ils offrent un panorama de secteurs extrêmement variés. Surtout, ils profitent de la visibilité sans précédent d’Internet pour toucher un lectorat disséminé. Ce phénomène a même fait l’objet d’une exposition en 2013 au musée Haus der Kunst de Munich. Intitulée « Genre-defining Magazines 2000 to Now », l’objectif était d’offrir « une sélection de projets présentant des visions qui, chacune à leur manière, permettent de repenser le rôle du magazine en tant que médium, dans le nouveau paysage médiatique ».

Intitulés Sang Bleu, Fantastic Man, 032c, Butt, Toilet Paper ou The Gentlewoman, ces projets éditoriaux sont devenus des laboratoires pour expérimenter des stratégies éditoriales qui tirent profit de la convergence entre supports numériques et traditionnels. En effet, dans la plupart des cas, ces projets ont été pensés, promus et diffusé de manière indissociable de leur contrepartie numérique. Dépassant les points de vue manichéens, prônant le basculement irrémédiable d’un modèle à un autre, cette nouvelle presse rendait apparent les nombreux points de convergence qui lient immanquablement médias traditionnels et nouveaux médias.

L’essor de ces publications indépendantes à démontré qu’il était possible d’apporter des alternatives pérennes aux bouleversements touchant la presse écrite. Internet constitue une source inépuisable d’informations et on ne compte plus le nombre de projets qui reposent directement sur des collections d’images ou de textes trouvés en ligne ou progressivement collectées dans des blogs. Toute production éditoriale profite désormais de cette surabondance information pour se diversifier ; encore faut-il savoir par où commencer.

Développer des stratégies éditoriales
Ces différents constats sont à l’origine du projet de recherche DSGDM (Digital Strategies in Genre-Defining Magazines) initié à l’ÉCAL dans le cadre du Master en Art Direction. À partir d’analyses de cas, d’interviews et de workshops, l’objectif du projet visait notamment à identifier comment une stratégie éditoriale peut garder sa cohérence sur différents supports, et ce, en partant du principe que réseaux sociaux et journaux, blogs et magazines, tablettes et supports papier, avancent de façon concomitante. Contrairement à certaines idées reçues, ces univers s’inspirent et se consolident mutuellement.

Digital Strategies in Genre-Defining Magazine constituait une opportunité pour explorer, à partir de thèmes prédéfinis, des idées de plateformes numériques simples et innovantes à partir de savoir-faire « traditionnels ». Pendant plusieurs semaines, les étudiants, pour la plupart totalement novices en matière d’édition numérique, ont profité de l’expérience et des conseils de professionnels. Issu de la photographie de mode (comme Jason Evans), des arts numériques (Marc Kremers), du design graphique et de la typographie (Lorenz Brunner) ou d’un approche plus centrée sur le programme (Dan Michaelson), ils ont été choisis par rapport à leur approche audacieuse des médias numériques.

Par rapport au tout début du Web, « ce qu’il y a d’intéressant à l’heure actuelle, c’est que tout le monde a compris que le design est dicté par la facilité d’utilisation, explique Marc Kremers lorsqu’il s’agit de poser ses priorités. Les sites se sont très vite standardisés et tout le monde sait où trouver la barre des menus ». À ce titre, il ne trouve pas surprenant que certains éléments hérités des médias traditionnels survivent malgré leur supposée inadéquation aux formats numériques. C’est le cas par exemple des couvertures de magazines qui connaissent un étonnant regain d’intérêt aujourd’hui. Que ce soit les péripéties de Charlie Hebdo ou les rondeurs de Kim Kardashian, l’extraordinaire attention portée à ces images ont quelque chose d’anachronique. « Les couvertures restent des concentrés particuliers de la culture contemporaine », remarque Kremers et c’est pourquoi leur impact est d’autant plus fort actuellement.

Le parcours de Lorenz Brunner est caractéristique des professionnels qui ont abordé le design numérique par le biais de l’imprimé. Quand il s’est lancé dans la profession, les priorités se portaient encore sur le design des cartons d’invitations, des affiches, des cartes de visite, etc. Ce n’est qu’une fois que tout cela était finalisé quelqu’un lançait : « OK. Maintenant, on intègre tout ça dans un website ». Il a rapidement compris les potentialités d’Internet en termes de communication et, surtout, que cette prédominance de l’imprimé devenait lentement superflue. Au moment de l’essor du Web 2.0, il a ainsi progressivement repensé sa pratique à partir des plateformes numériques, en particulier des réseaux sociaux naissants. Il a ainsi très vite compris leurs potentialités, aussi bien en termes de présence médiatique que de perspectives créatives. L’identité visuelle réalisée pour la foire de livre Offprint constitue un parfait exemple, puisqu’il s’agissait de concentrer toute la communication en ligne. « Ce projet a été un tournant, précise Lorenz Brunner. Lorsqu’on conçoit un livre, on s’inscrit dans une tradition qui est restée quasi inchangée de plus de 500 ans. Il y a énormément de conventions. Dans les projets en ligne, je me sentais totalement libéré de telles contraintes ».

Le photographe Jason Evans fait également partie de cette catégorie d’expérimentateurs qui, à travers leurs travaux personnels ou leurs enseignements, tirent profit du potentiel narratif des plateformes numériques. À travers son workshop, il cherchait surtout à pousser les étudiants à s’engager émotionnellement dans leur projet, à les inciter « à sortir de leur zone de confort, (…) la seule manière pour créer des contenus riches de sens ». Evans défend le statut d’auteur : « La seule chose qui compte réellement lorsqu’on monte un site consiste à créer des contenus qui nous intéressent personnellement ». Selon lui, une bonne idée vaut mieux que toutes les compétences techniques. Cette démarche expérimentale et investie est à l’origine de différents projets artistiques radicaux développés par Evans durant plus d’une décade. Lancé en 2004, le site légendaire The Daily Nice (thedailynice.com) présente chaque jour une nouvelle image. De cette façon, Evans cherche à bousculer la réduction de notre attention en matière de consommation d’image en ligne, en insistant sur la rareté et le caractère unique de toute expérience esthétique.

Dans un autre registre, Dan Michaelson est connu pour ses différents projets institutionnels, en particulier pour le Whitney Museum de New York, ou pour ses applications ingénieuses et ludiques pour iPhone : « Lorsque nous présentons un projet à des clients, le langage visuel ou les couleurs nous importent peu. Ce qui compte avant tout c’est la fonctionnalité, notre style vient toujours en second lieu ». Selon lui, il est essentiel de comprendre comment fonctionne le back-end, d’être capable de visualiser comment les données se répartissent et se comportent avant d’être visibles à l’écran, de se faire « une carte mentale » de l’architecture à la base d’un projet. Dans le cadre du workshop proposé à l’ÉCAL, le but consistait à créer différents modules susceptibles de présenter une collection d’images réalisées par les étudiants lors d’un séjour à New York. Le résultat se présente comme une collection de modules individuels, agencés selon une grille codifiée, qui propose différents points de vue sur la ville. Par rapport aux évolution futures, il constate que « les designers sont désormais mieux équipés pour s’adapter aux changements que les générations précédentes ; l’idée d’évolution technologique est désormais un aspect tellement prédominant de notre culture qu’il ne s’agit plus d’un phénomène étrange qui nous prend par surprise ».

Qu’il s’agissent de construire une architecture rigoureuse, de suivre ses émotions ou de transposer ces savoir-faire d’un régime à un autre, les différentes questions posées à travers la recherche DSGDM se résument peut-être dans cette remarque de Marc Kremers : « C’est le moment de retrouver un peu l’esprit du début, quand on laissait place à l’expérimentation et aux approches personnelles. Il faudrait retrouver cette attitude un peu punk ».

http://digital-strategies.ma-ad.ch/
http://marckremers.com/
http://www.laurenzbrunner.com/
http://www.linkedbyair.net/
http://www.jasonevans.info/
http://www.hausderkunst.de/

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