Uber, Airbnb, Facebook… la nouvelle économie a généré des entreprises qui ne produisent rien, mais dont le modèle d’affaires est fondé sur l’intermédiation au sein de communautés d’intérêt. Ces succès font pâlir d’envie les entreprises nées avant le 2.0, qui s’échinent à copier ce nouveau modèle tout en gardant leurs règles de fonctionnement. Un pari judicieux ? Mais comment repartir de zéro lorsque l’on n’est pas une start-up ? Telles sont les questions qui ont été débattues lors de la conférence M2C, un rendez-vous prisé par les marketeurs.
4 ETUDES DE CAS
1. Secteur bancaire : TIAA CREF, la différenciation est aussi une stratégie
Jaime Punishill est un spécialiste du digital qui travaille pour TIAA CREF, une compagnie américaine d’assurances qui possède son propre fonds de placement. Plus de trois millions de personnes y sont assurées, ainsi que 15.000 institutions éducatives, médicales ou non gouvernementales. « Nous sommes très loin du modèle de la banque universelle ou de la banque d’affaires. Ainsi, pour mener à bien la refonte du site, nous avons dû nous appuyer sur les valeurs de notre institution et les habitudes de notre clientèle, qui n’a aucune raison de nous visiter online quotidiennement. »
L’efficacité, la facilité et l’émotion sont les trois piliers de toute communication numérique. L’expérience promise au client doit non seulement lui être bénéfique mais elle doit être immédiatement perçue comme utile, donc être simple à comprendre. « Or, les entreprises ont l’art de tout compliquer, surtout lorsqu’elles traitent de sujets aussi sérieux que l’argent. Notre plus grand défi était de devenir une marque générant de l’engagement alors que notre mission est d’être une marque transactionnelle. »
Par où commencer ?
Par une analyse fine des canaux utilisés par les clients. « Nous nous sommes rendu compte que 76% de nos affiliés consultent notre site via leur ordinateur, contre 9% via leur mobile et 8% depuis une tablette. Encore mieux, 45% entrent en contact avec notre institution par téléphone, 29% par mail, 20% par la poste. Aujourd’hui, le taux de satisfaction de notre site est de 47%. »
Dans un tel contexte, ouvrir un compte sur les principaux réseaux sociaux n’aurait eu que peu d’impact. Au vu des données précédentes, le principal canal de communication est le site. « Nous avons par conséquent mis toutes nos forces et moyens à sa refonte. Et nous nous sommes appuyés sur nos valeurs pour reformuler notre proposition. Ainsi, nous avons associé l’efficacité à la confiance, la facilité à la simplicité et l’émotion à l’intégrité. Il en est résulté un site qui correspond aux attentes de notre public et qui nous différencie des autres établissements bancaires et financiers. »
Conclusion : Le client est toujours roi. Cette maxime vaut plus que jamais sur le web. Si vos clients consultent principalement votre site, proposez une version qui réponde à leur attente. Raison de plus pour que vous collaboriez de manière active avec votre agence web. Personne mieux que vous ne connaît le profil et les attentes de vos clients. Participez à la création du contenu des pages du site. Ce travail est certes astreignant mais il vous incombe. Rappelez-vous que tous les changements qui auront lieu après le lancement du site ne feront qu’alourdir votre facture.
2. Presse : Forbes, les marques prennent le contrôle du site
Comme pour tous les médias de presse écrite, le développement du digital a contraint le magazine Forbes à revoir son modèle d’affaires. Comme l’a expliqué Charles Yardley, Managing Director International, cette mutation est la résultante de trois chocs auxquels tous les médias ont été confrontés entre 2010 et 2015 : les publications online, les réseaux sociaux et l’avènement du mobile. Le résultat est sans appel : les revenus publicitaires du magazine ont chuté et le site n’a pu rattraper cette perte. Que faire ? « Nous avons tout remis à plat et avons réfléchi à la mission du journalisme : informer, observer, collecter et interpréter les données. Or, en tant que média B2B, les marques qui communiquent au travers de notre marque ont la même démarche à propos du contenu qu’elles souhaitent partager avec leur public. »
Forbes est la première marque média B2B en termes d’influence sur LinkedIn ; elle est également celle qui à la plus forte audience mobile ; sa présence sur les réseaux sociaux est extrêmement forte grâce aux nombreux experts qui contribuent en tant que chroniqueurs sur le site et qui ensuite aident à la propagation de leurs contenus, au sein de leur propre réseau. Partant de ce constat, l’éditeur a décidé de tout remettre à plat. « Le meilleur média numérique est organique, construit à partir du sol, pas boulonné ou soudé sur le côté de quelque chose de vieux », a déclaré Lewis D’vorkin, Chief Product Officer de Forbes.
Un constat qui a amené à la conclusion suivante : les journalistes interviewent des spécialistes qui travaillent pour des marques, ces spécialistes écrivent aussi en tant qu’experts, alors pourquoi ne pourraient-ils pas également écrire des articles ? Et c’est ainsi que l’idée de proposer aux marques un accès au CMS du site et de pouvoir contribuer des posts à leur guise et convenance s’est imposée. « La mise en page est identique, a expliqué Charles Yardley, ce qui change c’est que le contributeur non journaliste n’a pas droit à sa photographie. Il doit signer avec le logo de son entreprise. »
Et pour accompagner ce bouleversement, la newsroom a été adaptée. Si le contenu original reste au centre de tout l’écosystème, le « Native » arrive désormais en seconde place.
Choquant ? Du côté de Forbes, on préfère le mot « rentable ». Et de reprendre les paroles du Chief Product Officer : « Avec le développement du native advertising, ou du content marketing, la tradition centenaire du journalisme est mise à mal. Ces nouvelles méthodes agitent les lignes des puristes pendant que les employés cherchent des solutions pour payer leurs factures. »
Conclusion : On a poussé ici la digitalisation à l’extrême, au risque de se perdre. Le public sera-t-il d’accord de payer pour du contenu écrit par les marques ? Ce contenu qui est devenu une ressource pour l’éditeur, lequel ne tardera pas à estimer que ces professionnels sont plus pointus que ses propres journalistes, qui au final lui coûtent plus qu’ils ne rapportent. Ce cas est extrême, mais il est révélateur des faux pas que l’on peut commettre lorsque l’on garde une structure ancienne et que l’on cherche à tout prix à l’adapter à la nouvelle. N’aurait-il pas mieux valu créer un site « Forbes by brands » où tous ces contenus de marques auraient pu être répertoriés, ce qui n’aurait pas pollué le site original ? Désormais le ver est dans le fruit et le paradis est définitivement perdu…
3. Industrie : Philips a amélioré sa visibilité sur le e-commerce
Marek Sandrock, Senior E-Trade Marketing Manager DACH, a commencé sa présentation en paraphrasant Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon : « On ne fait pas de l’argent parce qu’on vend des biens, mais parce que l’on aide le public à prendre les meilleures décisions d’achat ». Partant de ce constat, la société Philips, qui propose de nombreux produits, s’est rendu compte que non seulement les habitudes d’achat avaient changé mais que la multiplication des canaux off et online ne tiennent pas compte de la vie de ces produits. Le lancement d’un produit est toujours accompagné d’une campagne de promotion (publicité, RP) secondée par des actions sur les réseaux sociaux, jusqu’à ce que le produit arrive à maturité et que l’on commence la phase de promotion et son lot d’opérations ponctuelles. Or, les marques négligent trop souvent le lieu de vente lorsqu’il est virtuel. « En Allemagne, a expliqué Marek Sandrock, lorsqu’un consommateur est à la recherche d’un appareil électronique, il consulte les sites de e-commerce : Google (46%), Amazon (46%) et Ebay (22%). 30,5% des ventes se réalisent désormais en ligne. »
Un constat qui a poussé Philips à repenser toute sa stratégie de communication, sur ces réseaux comme sur la partie e-commerce de son site. « Nous avons commencé à créer des magasins sur nos pages. La présentation d’un produit doit être plus globale. Sur la page d’un biberon, on doit pouvoir voir des tétines, un réchauffe biberon, un Smart-Babyphone, des mixers, etc. » Finalement, le e-commerce devient également un support publicitaire, à la manière de ce qui se fait sur le point de vente réel.
La recette magique : une information adaptée au bon public, des contenus enrichis, de l’émotion au travers de vidéos de démonstration, des guides-produit et une déclinaison adaptée à la version mobile du e-commerçant.
Conclusion : c’est tellement évident qu’on se demande pourquoi Philips a tant attendu ! La réponse fuse : « Toute la question est de savoir si l’on va vers le numérique ou si il vient à nous. Être présent sur tous les outils ne signifie pas que l’on ait transformé son entreprise. On ne doit pas oublier quel est notre but. Pour Philips, c’est de créer des produits innovants et de les vendre. Le web est un canal de vente supplémentaire, rien de plus. »
4. Automobile : Opel, la perception ne change rien à l’appétence !
En 1972, la part de marché de la marque Opel était en Europe de 20,5%. Aujourd’hui, elle est tombée à 6,8%. Alors que tous ses concurrents allemands ont réussi à séduire les consommateurs du monde entier, le public reste réticent à cette marque. Des tests avec des voitures banalisées le prouvent – son image ne correspond pas à la qualité de ses produits. Et des décennies de campagnes de publicité n’y ont rien changé. L’an dernier, une nouvelle stratégie en communication a été tentée auprès du public allemand. Au lieu de parler des derniers modèles, une campagne de teasing (publicité et réseaux sociaux) a préparé le terrain en abordant la question des préjugés avec pour mot clé UmparkenImKopf.de. A la révélation « Ist Opel noch so, wie sie denken ? Schauen Sie doch mal nach ! », un spot mettait en situation ceux qui osaient, ou non, mettre leur clé de voiture avec l’effigie de la marque en public. Le buzz était lancé et la marque est devenue un Trend Topic. En terme de reconnaissance de marque, le score, qui était à 5,66 en 2013, est remonté à 5,75% en 2014. Un léger frétillement qui s’est retrouvé à l’identique dans les ventes. En ira-t-il de même en 2015 sans un tel soutien de communication ?
Conclusion : Aucun réseau social ou aucune publicité ne sauvera une marque qui est mal positionnée. La question qu’aurait dû poser cette marque, au lieu de partir sur la question des préjugés, est : pourquoi ne nous aimez-vous pas ? Elle aurait certainement pu comprendre pourquoi un automobiliste préfère Nissan, Toyota ou Volkswagen à Opel. On voit qu’ici la marque préfère mourir à petit feu plutôt que d’imaginer un changement de modèle radical. Or, c’est lorsque l’on n’a quasiment plus rien à perdre que l’on peut imaginer une mutation en profondeur et s’inspirer des succès de Uber, Blablacar ou Mobility.
[ASIDE]La deuxième jeunesse du marketing
Une étude menée par The Economist Group s’est intéressée au travail mené par les équipes marketing. Parmi les professionnels ayant répondu à ce sondage, non seulement 80% estiment qu’ils allaient devoir modifier leur manière de faire leur travail mais 29% considèrent qu’il était urgent de changer au plus vite. Cette urgence s’explique par la nouvelle place que va prendre le marketing dans la vie des entreprises.
Les 5 points du renouveau
1) D’une source de coûts, le département marketing va se transformer – grâce aux outils numériques – en source de revenus.
2) L’expérience utilisateur va être contrôlée et gérée par les équipes marketing dans les 3 à 5 ans.
3) L’engagement des consommateurs va dépendre de la bonne connexion entre besoins, contenus et prix. Le Big Data va permettre de créer des opérations en temps réel qui transformeront la communication en service.
4) Un changement d’outils est en cours. D’ici à 5 ans, le e-marketing ne ressemblera plus au marketing actuel.
5) La gestion des données va devenir la clé. Le Chief Marketing Officer va céder la place au Chief Digital Officer. Son profil ressemblera plus à celui d’un mathématicien qu’à celui d’un vendeur. Une nouvelle ère s’ouvre…