Depuis fin août 2014, les journaux télévisés de la RTS, le 12H45 et le 19H30, sont réalisés en haute définition (HD). Cette évolution technologique a impliqué la rénovation complète du studio 8. Au-delà de la modification de la régie, du décor et de l’éclairage, c’est toute la trame narrative de la grand-messe des news qu’il a fallu repenser suite à l’intégration d’un mur d’images permettant d’accueillir des infographies comme des vidéo-conférences. En tant que responsable de ce projet et rédacteur en chef de l’actualité TV, Bernard Rappaz a été au cœur de ces réflexions. Une bonne occasion de lui consacrer cette grande interview.
– L’actualité est un levier important pour la RTS. Le 19.30 est l’émission qui remporte le plus fort taux d’audience. Quelle est sa part de marché ?
Avec près de 60% de parts de marché, ce rendez-vous est effectivement la colonne vertébrale de la chaîne.
– L’idée de faire basculer l’actualité en HD répondait-elle à une nécessité technologique, ou simplement à l’envie d’offrir une meilleure qualité pour toucher une audience jeune plus sensible à la qualité des images ?
La télévision n’en est pas à sa première révolution technologique. La HD s’inscrit dans la même lignée que l’introduction hier de la couleur, puis du format 16/9 et demain de la 3D et du 4K. Il faut donc la voir comme une étape. En tant que diffuseur, nous devons pouvoir offrir à notre public des images de qualité. C’est un élément important qui nous permet de garder nos téléspectateurs et de séduire les jeunes en leur faisant découvrir un « spectacle informatif ».
D’où l’importance de mettre au goût du jour une régie qui avait 13 ans d’âge. Désormais, nous pouvons accompagner nos sujets par des infographies et des images projetées sur un mur d’écrans, faire des interviews par Skype depuis le plateau ou reprendre des vidéos postées sur YouTube. Un dispositif que la plupart des chaînes sont en train d’adopter.
– Une technologie en remplaçant toujours une autre, dans combien de temps la HD sera-t-elle détrônée par le 4K ou la 3D ?
Si j’avais une boule de cristal ! Nous avons fait le pari de la haute définition car l’actualité est consultée aujourd’hui sur des écrans HD, des ordinateurs à écran Retina et des smartphones. Notre ambition est d’offrir la même qualité d’images pour tous ces écrans.
Tout ceci représente un coût important. Le passage à la HD de la régie a coûté CHF 1,9 million de francs. Un investissement qui sera amorti sur dix ans. Raison pour laquelle seuls les décors seront changés durant cette décennie.
Quant à la 4K ou la 3D, ni le taux d’équipement des téléviseurs, ni les expériences de programmes réalisées dans ces normes ne permettent encore de conclure laquelle va s’imposer.
-La forme ayant toujours un impact sur le fond, qu’est-ce qui a changé ?
Jusqu’à présent, nos rendez-vous d’actualité avaient toujours la même structure : un journaliste présentateur, une dizaine de sujets et un invité. Notre approche était très fragmentée, on passait d’un sujet à un autre pendant 30 minutes.
Avec notre nouveau dispositif, notre ambition est de construire une histoire qui comprend différents modes narratifs. Désormais ce sont les interstices (des données statistiques, un commentaire, etc.) qui donnent du sens à nos reportages. Cet enrichissement de l’image a permis de créer de nouvelles rubriques.
-Pourquoi introduire une nouvelle écriture ?
C’est la manière d’accumuler du savoir qui a changé. Le web fonctionne comme un cerveau universel. Les Digital Natives ont compris que les chemins de l’information sont plus importants que le stockage de données. Résultat, ce public, qui approche désormais de la trentaine, se retrouve perdu face à des sujets qui impliquent des notions historiques, économiques ou politiques sur de longues durées. Pour les intéresser, nous devons contextualiser nos sujets au travers notamment d’infographies et d’archives.
-Pourtant l’âge moyen du public du téléjournal est de 54 ans. Ce nouveau « storytelling » vous a-t-il fait perdre ces téléspectateurs ?
Au contraire, les résultats d’audience sont très bons. Le nouvel accompagnement de nos sujets fait écho à la complexification des sujets liés à l’actualité. Nous avons fidélisé et gagné des téléspectateurs tant en diffusion linéaire qu’en rattrapage.
Mais tout changement engendre des critiques. Nous nous attendions à ce que l’on se plaigne de la HD, qui nécessite un temps d’adaptation, et bizarrement c’est la couleur blanche du plateau qui a le plus interpellé. Un choix qui s’explique uniquement parce que ces murs doivent également accueillir d’autres émissions : Couleurs locales, TTC, Pardonnez-moi, Journées de votation, la météo. L’habillage s’en trouve ainsi facilité.
-La généralisation de la délinéarisation annonce-t-elle la fin de la grand-messe de l’actualité ?
Nos audiences nous prouvent le contraire. Les deux consultations coexistent et le rendez-vous à heure fixe reste plébiscitée. Le mode de diffusion n’est donc pas déterminant. Ce qui plaît c’est le programme en lui-même. Si ce rendez-vous n’existait pas, il faudrait l’inventer ! En 30 minutes, on vous donne l’assurance de vous montrer ce qui s’est passé dans la journée dans le monde. Le public ne s’en lasse pas.
-SF et la RTS ont découpé ce rendez-vous de manière différente. Outre-Sarine, le travail de contextualisation est confié à l’émission 10vor10, le téléjournal étant plus court et factuel. Sur la RTS, ces deux approches ont été combinées. Une question culturelle ?
C’est un choix programmatique qui nous est propre. Nous avons toujours opté pour un téléjournal proposant un mélange d’informations et de reportages. Et nous consacrons 30 à 40% de nos sujets à l’international, ce qui est unique dans un paysage télévisuel où la tendance est aux informations locales moins chères à produire. Autre particularité, nous programmons tous les soirs de l’actualité de 19h à 21h (Couleurs locales, le 19.30 et un magazine) là où les chaînes concurrentes diffusent des jeux ou des talk shows. Nous ne pourrions pas le faire si le public ne nous suivait pas.
Comment avez-vous intégré vos équipes web ?
Nous avons testé plusieurs modèles : l’indépendance totale, puis la collaboration avec la rédaction TV ; aujourd’hui nous essayons une voie intermédiaire. Les équipes dédiées à la surveillance des plateformes connectées sont au cœur de la rédaction et viennent en appui aux journalistes TV et radio, mais chacun fait son travail. Imaginer que l’on puisse être opérationnel off et online est illusoire car on perd en pertinence. C’est un problème d’allocation des ressources et non de priorité d’une plateforme par rapport à une autre. Notre public est partout et nous devons le suivre. Nous restons agnostiques en ce qui concerne les plateformes mais nous devons privilégier l’efficacité.
-Les infographistes TV : un métier qui existait ?
Non. Nous avons dû trouver des graphistes. Au final, nous en avons intégré trois dans la cellule infographie qui est sous la responsabilité de l’équipe de Nouvo. Aujourd’hui, ils ont leur place au sein de la régie et assistent à la séance de rédaction de 10h. Ils participent tout au long de la journée à la construction du journal. C’est un nouveau métier et nous apprenons avec eux.