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#InterviewCominmag à Claire-Lise Rimaz : « Qu’est-ce que le leadership suisse ? « 

Anne-Lise Rimaz, directrice romande de l’Association suisse des cadres, vous publiez une étude sur le leadership en Suisse. Quelle est la genèse de ce projet ? 
En 2018, l’Association suisse des cadres ASC a fêté ses 125 ans d’existence. Plutôt que de faire une rétrospective, elle a fait le choix de porter son regard sur l’avenir de la conduite en Suisse. C’est dans cette optique que le projet « Leadership – the Swiss Way » a été conçu. Il propose ainsi une série de portraits de 24 personnalités, connues et inconnues, de l’économie, la politique, la société, la culture et le sport. Sur la base des déclarations ressortant des portraits de ces personnalités dirigeantes, la Haute Ecole Kalaidos, en collaboration avec l’ASC, a mené un sondage pour mettre en évidence ce qui distingue la Suisse des autres pays en terme de conduite.

6 valeurs cardinales suisses sont mises en avant. Lesquelles sont-elles ? 
Les qualités du travail de conduite en Suisse peuvent être synthétisées en six catégories clés : démocratie, ouverture, d’égal à égal, confiance, modestie et qualité.

Démocratie: En politique suisse, les solutions sont élaborées en partant de la base (de bas en haut), en commun et orientées consensus. Cette culture imprègne aussi les entreprises en Suisse. Ses valeurs traditionnelles telles que la concordance et le principe de collégialité dépassent largement la politique et sont intégrées dans les entreprises.

Ouverture: L’économie dans notre pays profite de la culture, typiquement suisse, d’ouverture envers d’autres opinions, cultures, religions et nationalités. Les personnes questionnées pensent que l’origine de cette ouverture repose sur la tradition multiculturelle et multireligieuse de la Suisse. Cultiver ce dialogue interculturel fait intégralement partie de l’ADN helvétique. La Suisse réussit d’ailleurs régulièrement à réunir les opinions politiques divergentes pour amener une discussion ouverte qui offre des solutions durables et satisfaisantes pour chaque partie dans un esprit de concordance et de capacité à faire des compromis.

D’égal à égal: Les dirigeants se comportent de manière familière non seulement entre eux mais aussi avec les collaborateurs. A travers tous les niveaux hiérarchiques, le tutoiement est chose courante et pas uniquement un signal superficiel. En Suisse, on ne se côtoie pas de manière autoritaire, mais plutôt orientée sur la communauté et le respect.

Confiance: Les relations entre les cadres suisses et leurs collaborateurs se basent sur la confiance mutuelle. Celle-ci est non seulement considérée comme une force typiquement suisse marquant la culture dans les entreprises mais également le vivre ensemble. Lors de quelques discussions, des craintes ont été exprimées, selon lesquelles la culture de la confiance sera à l’avenir sous pression, pour des raisons de protection et de méfiance.

Modestie: En général, les dirigeants suisses font preuve de modestie et ne se mettent pas en scène. Alors que dans d’autres pays, il est usuel de démontrer son propre statut par une certaine distance, dans les entreprises suisses, il est parfois difficile de distinguer le chef des employés. Même si la retenue démonstrative est favorable au consensus, elle peut aussi être interprétée comme manque de volonté commune ou de confiance en soi.

Qualité: La Suisse est ponctuelle, précise et fiable – en matière de conduite aussi. La longue fructueuse tradition de l’industrie suisse est justement expliquée par ces qualificatifs. Pour continuer à faire face à la concurrence mondiale, la focalisation sur ces qualités « anciennes » pourrait représenter un obstacle. Surtout si la flexibilité est étouffée dans l’oeuf freinant ainsi l’esprit d’innovation.

Nous nous retrouvons tous dans ces valeurs. De quoi nous rassurer collectivement, or cette haute école a également mené un sondage pour mettre en évidence ce qui distingue la Suisse des autres pays et là, le tableau n’est plus aussi positif. Nous sommes moins bons dans l’encouragement à l’innovation, dans l’horizontalisation des rapports professionnels et surtout dans notre « self-estime ». Que doit-on en conclure ? 
Qu’il y a une différence entre les compétences sociales et techniques. Si ces dernières peuvent s’acquérir, les premières doivent être enseignées dès le plus jeune âge. L’école joue un grand rôle dans la valorisation des individus. Or, en Suisse le système éducatif met toujours en avant la faute plutôt que la valorisation de l’effort. Le monde de l’entreprise de demain va être plus collaboratif que compétitif, plus flexible que rigide, il est important que toute la société se prépare à ces changements de paradigme.

Donc l’entrepreneur du XXIe siècle ne sera pas suisse…
Si nous sommes en tête des classements de l’innovation c’est en grande partie grâce au dépôt de nombreux brevets. Nous avons la chance de pouvoir disposer d’un système de formation secondaire, dual et continu de très grande qualité. Mais force est de constater que les cadres à partir d’un certain âge arrêtent de se former. Les défis technologiques qui se présentent à nous ne nous laissent plus de répit. Nous devons nous adapter et continuer, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, à transformer nos forces en valeurs.

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