L’actualité plaidait par trois fois pour le choix de Filippo Lombardi pour la grande interview du mois.
Les récentes interventions cantonales et fédérales pour tenter de limiter la publicité dans l’espace public pour certaines catégories de produit ou supports ont interpelé l’Association Schweizer Werbung, dont ce conseiller d’État PDC assume la présidence.
Egalement acteur médiatique avec notamment Tele Ticino, Filippo Lombardi a fait partie de la fronde anti-Mediapulse des télévisions régionales avant de finir par adopter cette nouvelle méthode de mesure de l’audience télévisée.
Enfin, CEO du groupe média tessinois Timedia-Holding, Filippo Lombardi connaît bien le marché publicitaire de son canton et nous parle de son contrat avec un Publicitas désormais en mains allemandes.
Les interdictions publicitaires sont de nouveau à l’ordre du jour. Quelle est la position de Schweizer Werbung (SW) ?
SW a toujours prôné le principe suivant : il doit être possible de communiquer librement sur ce qui peut se vendre et s’acheter librement – avec quelques exceptions que nous acceptons progressivement et qui sont réglementées par la loi. Il existe par exemple une interdiction portant sur les alcools distillés – dans tout le pays et sur tous les supports publicitaires. Mais de façon générale, les interdictions publicitaires servent d’alibi. Ce qui est encore plus grave, c’est quand un certain support est désavantagé (dans l’initiative zurichoise il s’agit des installations sportives et des maillots de l’équipe), ou quand l’interdiction ne concerne que certains cantons, voire certaines communes.
En mai, le Conseil national a approuvé une loi interdisant la « publicité agressive en faveur des petits crédits »…
Attention, le Conseil national ne se contente pas d’interdire la publicité mais empêche les jeunes d’accéder trop facilement à ces crédits. C’est la bonne méthode. Et il n’interdit pas la publicité en général mais seulement la publicité agressive – à la filière de définir ce que signifie ici « agressive ». Et le Conseil fédéral n’intervient que si la profession ne trouve pas de consensus. Une démarche que SW soutient aussi indirectement, la Commission Suisse pour la Loyauté (CSL), dans laquelle nous sommes impliqués, devant servir de tribunal arbitral pour les litiges à venir.
Ce n’est rien d’autre que de la poudre aux yeux, cela n’empêche pas la publicité « agressive ». Dans le meilleur des cas, la CSL se contentera d’émettre a posteriori quelques critiques sans nommer ni l’annonceur, ni l’agence – et elle ne peut prendre aucune sanction.
Pourtant la profession respecte largement les décisions prises par la CSL. Et il est de l’intérêt de tous de ne pas trop restreindre les libertés économiques. Je suppose donc que le Conseil des États approuvera lui aussi le projet. L’interdiction de la publicité agressive serait alors ancrée dans la loi et le Conseil fédéral pourrait donc tout à fait définir des sanctions si la situation ne s’améliore pas.
Enfin, le Conseil fédéral a également mis en consultation de nouvelles interdictions de publicité pour l’industrie du tabac, notamment l’interdiction de publicité pour le tabac sur Internet. Cela vous dérange ?
Attendons de voir comment il veut imposer une telle interdiction sur la Toile… ce serait une première mondiale. Effectivement, cette démarche me déplaît. La situation serait différente si l’on interdisait totalement la vente du tabac, comme celle de l’héroïne ou de la cocaïne. Mais c’est justement le contraire puisqu’on envisage même d’assouplir l’interdiction du cannabis.
SW a pour devise la lutte contre les interdictions de publicité. Et les exemples prouvent bien que vous ne risquez pas de chômer.
Effectivement, l’histoire est loin de se conclure. Mais en tant que démocrate, je dois l’accepter.
Comment SW travaille-t-elle concrètement contre les interdictions publicitaires ?
Nous ne cessons de démontrer aux acteurs politiques et à l’opinion publique que les interdits ne sont guère utiles mais portent atteinte au droit constitutionnel, entraînant une flopée de nouvelles interdictions. Et nous demandons aux associations et aux entreprises de respecter les principes de l’autorégulation afin d’éviter ces interdictions. Prenons l’exemple des petits crédits : pendant longtemps il existait dans la filière un code de conduite interdisant la publicité agressive. Certains instituts ne l’ont plus respecté, ce qui entraîné l’interdiction. Enfin nous apportons un soutien financier à la CSL qui est l’organe autorégulateur de notre profession.
SW a demandé à l’Université de Genève d’analyser en particulier l’impact économique des interdictions de publicité. Quel en est le résultat ?
L’étude a d’abord révélé que le secteur de la publicité pèse environ CHF 7,2 milliards par an – de la création et de la production à la diffusion. Ce qui représente près de 22 000 emplois, avec salaires, cotisations sociales et impôts à la clé. La publicité joue également un rôle important dans le financement des médias.
Et quel est l’impact d’éventuelles interdictions de publicité ?
Elles minimisent le volume de commandes. L’étude montre qu’elles généreraient une réaction en chaîne parfaitement linéaire, un recul de 10% des dépenses entraînant une diminution de 10% du nombre d’emplois dans la publicité et de 10% des impôts. Ce qui exerce des retombées directes sur notre économie nationale.
À qui cette étude s’adressait-elle en premier lieu ?
Aux acteurs politiques et aux institutions. Et il faut aussi constamment rappeler à l’économie le rôle crucial joué par la publicité.
Que peut-on vraiment reprocher à la publicité, qui sert souvent de bouc émissaire en matière de problèmes sociaux ?
Il est évident que le secteur de la publicité n’est pas parfait, mais il ne s’agit pas d’erreurs de principe. Car la publicité rend les choses tangibles et les explique. Si l’on veut une société transparente, il vaut donc mieux ne pas lui imposer de limites.
L’évolution des technologies fait perdre du terrain aux formes de publicité classiques. Les annonceurs commencent à privilégier les données fournies par les moteurs de recherches, les opérateurs téléphoniques ou les fournisseurs de télévision numérique. Quelle est la position de SW à ce sujet ?
Effectivement cette tendance est indéniable. Nous assistons simultanément à un report de la publicité classique vers le sponsoring, la publicité directe, l’événementiel ou les activités d’accueil lors de manifestations événementielles. Les entreprises souhaitant une approche directe de leurs clients se montrent très dépensières. Toutes ces formes relèvent elles aussi de la communication commerciale sans être pour autant prises en compte par les statisticiens. La communication commerciale conserve de toute façon sa pertinence, et c’est ce qui compte pour SW.
La protection des données entre en jeu dès que la publicité est basée sur des données : les entreprises sachant toujours où je suis, ce que je cherche et les émissions télévisées que j’aime, elles peuvent m’interpeller personnellement et spontanément. Ce qui a généré un nouveau mouvement de résistance : Balthasar Glättli (conseiller national PS) a agité les esprits en récapitulant toutes les informations collectées par les sociétés à son sujet.
Je ne sais pas pourquoi mon collègue Glättli a l’impression d’être traqué. Nous utilisons tous volontairement un natel pour communiquer, lui aussi ; nous sommes en permanence sur Facebook ou Twitter et publions des photos. Aujourd’hui, on évalue différemment l’importance de la sphère privée – une situation dont le secteur économique tient logiquement compte.
Certains membres de votre association – les annonceurs par exemple – sont sans doute intéressés par un assouplissement des directives de protection des données.
Et il y en a d’autres qui ne veulent pas en entendre parler pour que les formes classiques soient maintenues (il rit). Quel que soit le secteur d’activités, il existe toujours diverses formes d’intérêts.
Quoi qu’il en soit, les interdictions de publicité ne devraient bientôt plus intéresser les annonceurs dont le principal problème sera l’accès aux données des consommateurs.
Au sein de SW, il n’a encore jamais été question d’assouplir la législation sur la protection des données. En ce qui concerne d’éventuelles interdictions de publicité, elles seraient aussi applicables pour les natels. On ne peut pas faire de la publicité dans le secteur mobile de la publicité pour un produit interdit ailleurs.
Dans le passé, la Suisse romande n’a pratiquement jamais participé aux activités de SW. Vous êtes maintenant président de SW depuis quatre ans. En tant que latin, avez-vous plus d’atomes crochus avec les Romands ?
Le changement le plus significatif des quatre dernières années est certainement le rapprochement entre SW et Publicité Suisse (PS). Nous avons maintenant la même identité visuelle tout en demeurant deux associations indépendantes. D’autres négociations sont prévues dans les mois à venir. Je suis convaincu que l’intégration peut aller encore plus loin.
La fusion est-elle l’objectif final ?
Les démarches institutionnelles ou statutaires en résultant n’ont pas encore été définies. Nous sommes plus intéressés par l’efficience du travail et par l’impact vers l’extérieur que par la forme de l’organisation.
C’est aussi une question de ressources – financières et en termes de personnel.
C’est évident. Mais le plus important, c’est d’unir nos efforts pour optimiser notre travail qui profite au secteur économique. L’étude portant sur l’impact économique de la publicité en est un bon exemple. D’abord limitée à la Suisse romande, elle a ensuite été élargie à l’ensemble du territoire.
Vous êtes non seulement homme politique et président de SW mais aussi le CEO du plus grand groupe média tessinois, Timedia-Holding.
Oui, nous contrôlons Tele Ticino, Radio 3i, TicinOnline et Timedia-Marketing, et possédons par ailleurs 49 % du Corriere del Ticino et du Giornale del Popolo. Il s’agit pour ainsi dire d’un empire en miniature.
En Suisse du nord-ouest, votre collègue Peter Wanner a été surnommé un Berlusconi en miniature…
…et je suis un Wanner en miniature… (en riant)
Où en est le marché de la publicité et des médias au Tessin ?
Comme dans le reste de la Suisse, le recul est sensible, surtout dans les activités de presse. Même si Internet progresse, cette évolution ne permet pas de compenser les pertes. Le secteur télévisé stagne alors que la radio progresse sans pour autant arriver à décoller.
Que pensez-vous des paywall sur le web ?
Nous les pratiquons déjà : une partie des articles peut être consultée gratuitement puis la lecture devient payante. Mais seule une minorité des utilisateurs s’est abonnée, la majorité allant voir ailleurs.
Publicitas est reprise par une société allemande. Vos journaux restent-ils quand même sous la régie P ?
Les contrats n’ont pas encore expiré. Et aucun changement n’a été annoncé concernant le travail de Publicitas. Nous nous attendons en fait à un nouveau dynamisme car à l’heure actuelle, même une coopération sous régie ne garantit pas pour autant d’énormes budgets publicitaires.
Avez-vous une solution de remplacement ?
Nous en avons une depuis longtemps – car avec la société Timedia-Marketing, nous avons intensifié nos activités sur le marché publicitaire et nous sommes maintenant en mesure d’acquérir des commandes de publicité nationale, le cas échéant sans contrat avec Publicitas.
En 2013, Tele Ticino et d’autres télévisions privées ont mis un terme à leur participation à la recherche TV de Mediapulse.
Une décision judicieuse ?
Entre-temps, Tele Ticino a réintégré le système Mediapulse.
Le premier à retourner au bercail ? Pourquoi l’avoir quitté ?
Par solidarité avec les chaînes de Suisse alémanique et de Romandie, confrontées au problème suivant : le nombre d’appareils de mesure étant peu élevé dans les petits secteurs de concession, on ne dispose pas de données fiables.
Pourquoi être revenu ?
En Suisse italienne, comme nous avons proportionnellement plus d’appareils que dans les autres zones linguistiques, nous souffrons moins des faiblesses du système.