Un jeune retraité, Paul Steiger, ancien rédacteur en chef du Wall Street Journal (c’est l’Américano-suisse Marcus Brauchli qui lui a succédé), dirigera cette rédaction composée de 24 journalistes d’investigation. L’homme sait choisir ses équipes: sous sa direction, entre 1991 et 2007, pas moins de 16 journalistes du Wall Street ont reçu le Pullitzer.
Quel rapport entre l’humanitaire, le mécénat et cette agence? Et bien, ces journalistes seront payés grâce à une organisation à but non lucratif appelée ProPublica, sous-titrée « journalisme dans l’intérêt public » et financée par les plus grandes fondations philanthropiques américaines.
ProPublica annonce que l’agence, qui ouvrira au printemps 2008, ne s’intéressera qu’à des histoires vraiment importantes, comportant une « force morale ». Et explique que le projet est né du constat que de plus en plus de journaux, pour des questions de temps et de rentabilité, ne peuvent plus s’offrir – ni offrir à leurs lecteurs – de journalisme d’investigation, alors même que cette forme d’enquête est nécessaire à la démocratie. Chercher, plutôt que de réécrire des dépêches, ça prend en effet du temps…
Dans la plus belle tradition du journalisme américain, celle qu’on voit briller dans des films exaltants depuis des décennies, dans ses bureaux de Manhattan, cette équipe de journalistes travaillera indépendamment des groupes de pression. Elle « dénoncera les pratiques inappropriées, les soumettra à l’opprobre publique et insistera jusqu’à ce qu’un changement advienne ». Et ces héros de la morale offriront leurs articles aux médias qu’ils trouveront les plus appropriés pour parvenir à leur fin.
Il reste à voir ce qui, selon l’agence, méritera l’opprobre publique. De toute façon, même si l’on est insatisfait de leurs choix, on peut espérer que leur travail stimulera d’autres journalistes. A moins que les médias attendent désormais que les enquêtes de ProPublica tombent toutes crues et gratuites dans leurs escarcelles et se passent définitivement d’enquêteurs.
A moins qu’ils estiment que ce n’est pas ce qu’attendent leurs lecteurs. Ou leurs annonceurs. Cela apparaît aujourd’hui comme une originalité de voir des philanthropes payer des journalistes. Mais cette originalité est toute relative si l’on prend un peu de distance par rapport aux grandes aventures médiatiques à travers le monde, dont les financiers n’ont pas toujours été des investisseurs mais aussi justement des passionnés de liberté et de démocratie. Et si l’on revient à la comparaison de départ avec le monde culturel, qui a toujours eu ses mécènes et ses sponsors, et qui n’entretient pas les mêmes rapports avec les uns et les autres, il n’y a qu’un pas pour se poser la question du financement du journalisme par la publicité. Qui le franchit?