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Journalistes, et quoi encore ?

Chardon_Elisabeth.gifPendant le festival, sur les terrasses d’Avignon, à l’heure du petit noir matinal comme au moment de l’apéro, impossible de rester un moment sans que la table ne se couvre peu à peu de publicités pour les spectacles du « off ». Ce sont les acteurs, les metteurs en scène eux-mêmes qui les ont posées, venant, les uns après les autres, dans une harangue pour l’ensemble de la terrasse, ou avec quelques mots en tête-à-tête à votre table, vanter l’originalité, la force, l’humour de leur production. Chaque jour, les troupes démarchent ainsi dans la cité, paradant parfois dans de lourds costumes inappropriés à la canicule, offrant un ou deux échantillons du spectacle, distribuant les flyers. Il s’agit de marquer les esprits, de charmer, d’éveiller la curiosité d’un public sollicité par quelque 700 spectacles en trois semaines. Et chacun d’essayer de trouver une formule originale pour se distinguer. Comme ces comédiens et circassiens qui écrivaient à la craie sur les trottoirs de la ville le nom de leur spectacle, «La Guerre des boutons», à la manière des jeunes héros du livre de Pergaud, y ajoutant juste quelques notes de fanfare.

A voir tous ces comédiens chargés de la publicité de leurs pièces, je n’ai pu m’empêcher de penser à l’agacement que je peux parfois ressentir face à l’évolution du métier de journaliste. Ces jours de déprime, je soupire : «bientôt on nous demandera aussi d’aller vendre les journaux à la criée !»

Je veux parler de cette façon dont on transforme les journalistes en hommes et en femmes à tout faire, tant bien que mal. J’ai justement eu un regain d’agacement pendant ces vacances, en disposant d’un peu plus de temps pour lire les journaux sur les terrasses. Mes yeux se heurtaient immanquablement à toutes les inélégances typographiques qui polluent les pages des quotidiens depuis qu’il appartient aux journalistes de mettre eux-mêmes en pages leurs articles. Mauvaises césures de mots, lignes orphelines en haut et en bas des colonnes, italiques ne correspondant pas au caractère de base…. Les rédacteurs sont formés à la va-vite pour remplir des tâches auxquelles ils rechignent parce que, peu ou prou, celles-ci empiètent sur le temps qu’ils aimeraient consacrer à voir, rencontrer, interroger, analyser, écrire…

J’en vois déjà certains me traiter de grinche, me reprocher mon manque d’enthousiasme face à l’aisance offerte par les nouvelles technologies. Ceux-ci pensent-ils réellement que dans les écoles de graphisme, dans les écoles de photographie, de cinéma, on apprend seulement à manipuler quelques machines ? Ne réalisent-ils pas la somme d’expérience, de savoir-faire et de réflexion qui sont également insufflées des mois et des années durant aux élèves ? Il n’est pas sans conséquence de vouloir transformer les journalistes en lithographes, polygraphes, photographes, cameramen… Ainsi, mon intérêt pour ces métiers me procure un vrai plaisir à y être introduite. Et un réel désenchantement à devoir les pratiquer à la petite semaine. Aux dépens de ceux qui savent vraiment.

elisabeth@cominmag.ch

Journaliste culturel, responsable de Sortir le guide culturel du Temps.

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