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Une agence, un jour : KKLD* / Berlin

Une large avenue calme à l’Est de Kreuzberg ; le N° 66 donne sur une cour intérieure. Deux fumeurs postés à l’entrée d’un immeuble résidentiel indiquent tacitement la direction à prendre.  A peine sorti de l’ascenseur, l’atmosphère change rapidement de tonalité. Même si Berlin est connu pour ses bâtiments aux surfaces généreuses, les locaux discrets et imposants de KKLD* ne manquent pas d’impressionner.  Avec sa quarantaine de collaborateurs, et sa récente intégration au groupe Commarco, l’agence dispose de l’infrastructure adéquate pour continuer à se développer. Les deux co-fondateurs, Alexander Diehl et Stephan Lämmermann, accompagné par leur nouveau Chief Operating Officer Dominik Thesing, reviennent sur les dynamiques urbaines qui ont transformé Berlin depuis le début du XXIe siècle.

Vous n’êtes pas originaires de la ville. Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à venir vous installer à Berlin ?
J’ai (Alexandre Diehl) une formation de musicien et je me suis retrouvé dans l’univers des médias un peu par hasard à partir de 2003. A cette époque, je travaillais comme Directeur Créatif à Francfort et c’est là que Stephan m’a rejoint. Nous avons rapidement été contraints d’employer des auxiliaires, mais, en regard de nos budgets, il était difficile de trouver des gens qualifiés dans le sud de l’Allemagne. C’est en grande partie ce qui nous a poussés à chercher du côté de Berlin. Les conséquences du crash des dot.com se faisaient encore sentir et beaucoup de créatifs étaient restés sur le carreau. La ville était très agréable à vivre et il ne nous a pas fallu très longtemps pour nous décider à nous y installer. Nous avons tout d’abord ouvert une petite agence à Mitte et nos collaborateurs étaient très reconnaissants de ne plus avoir à se déplacer pour décrocher des mandats. Au milieu des années 2000, c’était encore une zone très bon marché, plutôt délabrée, et on imaginait mal que cela puisse devenir une sorte de Soho berlinois. Dès ce moment, tout a été très vite. Nous nous sommes retrouvés avec une vingtaine d’employés et c’est pour cette raison que nous avons été contraints de déménager dans ces bureaux plus spacieux il y a trois ans. Ce quartier peut sembler à première vue résidentiel, mais en fait ce n’est pas le cas. Berlin dispose de nombreuses couches, ce qui la distingue des autres villes en Allemagne où tout est construit autour d’un centre d’affaires et de zones périphériques résidentielles. Ici, on trouve désormais partout un équilibre entre bureaux, appartements et magasins. La ville est plus que jamais composée de plusieurs centres, tous aussi dynamiques les uns que les autres.

Ce changement semble très rapide, quels ont été les moments charnières de cette transformation ?
Entre 2001 et 2004, Berlin était en quelque sorte en mode « veille ». Un élément important dans la ville a toujours été la musique et, pendant toutes ces années, il y a eu beaucoup d’initiatives expérimentales en matière de club culture. Cela a largement motivé des créatifs de toute l’Europe à venir s’installer et le mouvement s’est manifestement amplifié à partir de 2006, suite à la Coupe du Monde de Football. Depuis cette période, les personnes s’installant à Berlin viennent des quatre coins du globe et il ne s’agit plus uniquement d’artistes. On trouve également beaucoup de scientifiques, car la ville connaît un développement important en matière de recherche. Dès lors, Berlin est devenu une alternative à Londres ou à New York et nous avons rapidement vu que des clients recherchaient cette « touche berlinoise ». Ici, tout est recyclé, bon marché, spontané, pas très élégant : c’est tout l’inverse de villes comme Genève. En 2009, le NYT a publié un article dans lequel il compare l’évolution de Berlin à celle de Brooklyn, notamment Williamsburg. Depuis cette période, des hipsters sont venus des quatre coins du monde. Cela a été amplifié par le fait que cette période correspondait à la crise financière qui touchait l’Europe et beaucoup de créatifs sont venus pour profiter des conditions de vie bon marché. Tout cela a contribué à créer le profil cosmopolite de la ville. Chinois, Canadiens, Italiens, Suisses, Espagnols, etc. ; sur les 45 employés de notre studio, la moitié n’est pas d’origine allemande. L’anglais est donc la langue la plus parlée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est exactement à cette période que nous avons commencé à être contactés par des clients internationaux comme Richemont, Panasonic, Swarovski ou encore Safilo. Même si en 2010 nous avons ouvert une antenne, principalement orientée sur des questions de branding, à New York, notre priorité reste le marché européen.

Vous vous êtes d’emblée spécialisés dans les médias numériques ?
Plus ou moins, car nous étions plutôt une sorte de Think Tank spécialisé dans les questions touchant au numérique. Toutefois, nous avons rapidement étoffé notre offre de services, notamment en matière de communication et de branding. Pour vous donner quelques exemples, nous avons relancé avec succès la marque de lunettes de soleil Polaroïd. Nous planifions les stratégies numériques pour Carrera. Nous sommes l’un des principaux partenaires de Panasonic pour l’Europe. Nous travaillons actuellement sur la compagne électorale de l’European Green Party et nous avons mis en place une plateforme d’e-commerce pour Baume & Mercier aux États-Unis. Plus récemment, la campagne pour BMW-i nous a permis de positionner la marque en matière de mobilité électrique et, depuis novembre dernier, il est possible d’acheter la i3 et bientôt la i8. C’est un domaine qui nécessite beaucoup d’explications et tout cela nous a permis de repenser en profondeur les stratégies habituelles de communication.
Il s’agit en particulier de réfléchir sur la manière dont les médias fonctionnent et sur les ponts qui se construisent entre online et offline. Nous privilégions la planification, la stratégie et la méthode plutôt qu’un style défini. Par exemple, pour la campagne électorale de l’European Green Party, nous nous sommes inspirés des « lol cats ». Cela a très bien fonctionné, même si on est très loin de l’esthétique de luxe. A ce titre, 2009 a marqué une étape importante car nous avons lancé Architizer, une plateforme qui est devenue le plus grand réseau en matière d’architecture contemporaine. Nous avons plus d’un million d’amis sur Facebook et les « Architizer A+ Awards » que nous avons lancés l’an dernier sont très favorablement perçus.

Vous avez conçu la plateforme d’e-commerce Baume & Mercier ?
Notre avantage a toujours été de comprendre les dynamiques des réseaux tout en étant capables de développer des interfaces complexes. Baume & Mercier l’a apprécié, car ils voulaient explorer certaines opportunités en matière d’e-commerce sur le marché américain. Il y a beaucoup de villes où ils n’ont pas de revendeur et ils cherchaient un moyen de toucher ces personnes qui ne disposent pas d’un accès direct à leurs produits ou qui apprécient l’anonymat des achats en ligne. Nous ne pouvons pas dévoiler notre stratégie, mais il s’agit d’une collaboration très efficace. Il s’agit d’une des plus anciennes marques d’horlogerie et c’est particulièrement stimulant d’intégrer au cœur d’une si longue tradition les technologies les plus récentes en matière de communication. Nous avons opté pour une approche très pointue reposant sur des codes graphiques optimisés. Lancée l’été dernier, la plateforme offre une manière originale d’envisager l’achat d’une montre. Les marques communiquent généralement par collection et il est rare d’avoir une vision exhaustive des modèles et des options à disposition. Pourtant, c’est une formule adoptée par beaucoup de marques en matière d’e-commerce. Le client part de l’ensemble, puis resserre progressivement ses recherches en fonction de ses goûts. Il peut personnaliser sa sélection en fonction de nombreux critères, tels que les formes, les couleurs, la date de parution, etc. Ce n’est plus une stratégie de marketing qui impose ses choix. Au contraire, nous laissons à l’utilisateur la possibilité d’explorer différentes options, en comparant les montres entre elles, et celui-ci finit par passer beaucoup plus de temps sur le site.

Il s’agit d’une approche plutôt inhabituelle par rapport aux standards en vigueur dans l’industrie du luxe. Qu’est-ce qui vous a convaincu de la pertinence d’une telle approche ?
Nous nous sommes inspirés des sites d’agences de voyages, car ce sont généralement des sites sur lesquels les utilisateurs passent beaucoup de temps à choisir, comparer, etc. Lorsque nous avons commencé à travailler sur ce projet, vers 2005, notre référence était le site de Thomas Cook. Nous faisions beaucoup de mandats pour eux, ainsi que pour Lufthansa, et l’important est de permettre une navigation rapide entre différents hôtels ou différents vols. Cette dimension active rend notamment la visite moins ennuyeuse, plus dynamique. Notre expérience en matière d’agences de voyage a constitué un atout important, car de plus en plus de compagnies mettent en place des plateformes d’e-commerce. Notre travail a consisté à adapter nos connaissances aux nouvelles contraintes. Nous avons également utilisé ces compétences dans le cadre de notre mandat avec Polaroïd, qui dispose de très nombreux modèles à des prix abordables. Nous sommes désormais capables d’appliquer notre expertise en matière d’e-commerce aussi bien pour une marque tout public ou pour une marque prestigieuse. Notre grande force est notre aptitude à continuellement adapter et perfectionner nos modèles d’un projet à un autre.

BMW est l’un de vos plus anciens clients, cela vous a également permis de développer des plateformes originales pour des constructeurs automobiles. Pouvez-vous présenter quelques projets ?
Nous faisions déjà beaucoup de « community marketing » avant l’émergence des médias sociaux. Nous avions notamment créé un jeu pour Tiscali, ainsi qu’une communauté autour des BMW-M. Il s’agissait de notre premier mandat pour BMW et cette communauté existe toujours. Il s’agit de modèles de voitures extrêmement performants et nous avons réussi à mettre en contact les passionnés de ces voitures par le biais d’une plateforme en ligne. Cela nous a inspiré pour le projet MINI Space que nous avons lancé en 2006 et que nous venons de remettre à jour. Par ce biais, nous ne nous adressons pas uniquement aux fans de voitures, mais à un public plus large, principalement composé de créatifs. Les visuels sont essentiellement produits par les fans et on y parle plus de lifestyle que d’automobiles. Le site est en quelque sorte conçu en partenariat avec les utilisateurs. Par la suite, MINI nous a demandé de nous occuper également de leur page Facebook et cela nous a permis d’apprendre à communiquer sur cette plateforme ainsi que sur toutes les autres formes de réseaux sociaux qui se sont succédées durant ces dernières années. Ces communautés sont devenues des outils indispensables pour tester et diffuser des idées rapidement, nous nous tenons toujours informés des évolutions les plus récentes. Nous travaillons actuellement sur une campagne internationale pour une marque de produits électroniques. C’est lié au sport, notamment à la Coupe du Monde de Football, mais je ne peux pas trop m’étendre sur le sujet…

Est-ce que vous avez encore des choses à préciser sur ce qui définit votre positionnement ?
Les temps ont changé, tout comme les entreprises, et nous avons pour principe de développer des solutions très efficaces afin de répondre à ces nouveaux défis. Notre agence est composée de personnes en provenance d’horizons très divers, travaillant sur des mandats venus de toute l’Europe. Nous nous envisageons comme une sorte d’agence-prototype, nous ne nous considérons pas comme une digital agency traditionnelle, car nous sommes toujours portés sur l’innovation. Notre but consiste surtout à accompagner nos clients dans les flots continuellement changeants des médias. Cette aptitude à anticiper les évolutions fonctionne aussi bien pour une marque comme Baume & Mercier que pour BMW ou le parti écologiste. La stratégie reste bien entendu importante dans notre approche, mais c’est surtout notre capacité à adapter et, en même temps, à perfectionner nos connaissances qui constitue notre atout principal. À ce titre, nous sommes très reconnaissants envers nos clients, car nous travaillons pour des entreprises exceptionnelles qui, même si on pourrait les imaginer plutôt conservatrices, nous font confiance lorsqu’il s’agit d’innovation. Ces prises de risque se sont avérées payantes, car la plupart de ces projets ont été très fructueux. Cela nous a permis de grandir tout en consolidant des bases très solides.

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