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L’Atelier Oï à Neuchâtel : Matière des idées, idées de la matière

Installé depuis sa création en 1991 dans un ancien Motel (baptisé Moïtel) à La Neuveville, l’Atelier Oï fête ses vingt ans. Multidisciplinaire, soucieux d’écologie, son credo résonne des préoccupations de l’époque : faire mieux avec moins, en gardant un contact permanent avec les matériaux.

Du design à l’architecture, en passant par la scénographie, l’Atelier Oï démontre par le développement de ses projets que la technologie n’est rien sans l’observation. Michel-Ange disait que tout ce qu’il faisait était d’enlever le marbre en excès pour trouver David. Les meilleures idées, souvent déjà contenues dans un matériau, se révèlent à qui s’en approche avec respect et sait lui faire « parler sa langue ». Ainsi, la mise sous tension d’une simple feuille (de PET) à encoches a généré un portemanteau pour Ikea. Une structure « accordéon » amorphe, mise sous tension, devient intéressante soit pour accrocher quelque chose, soit pour diffuser de la lumière.

A l’école du Bauhaus
Réunir les disciplines artistiques sous un même toit, c’était le projet d’Athenaeum, l’école d’architecture d’Alberto Sartoris où se sont rencontrés, étudiants, Patrick Reymond et Aurel Aebi, membres du trio fondateur que complète Armand Louis. L’atelier Oï a su prolonger cet esprit multidisciplinaire avec son équipe de designers, architectes, ingénieurs et artisans. En transposant certains principes structurels liés aux matériaux d’une discipline à l’autre, il a su trouver à maintes reprises des solutions originales et inattendues. Par exemple à Bâle, pour la scénographie du lounge VIP de la banque HSBC réalisée dans le cadre de la foire de Design Miami/Basel, où le papier, grâce à de fines agrafes en métal, se déroule dans l’espace en larges bandes façonnées, structurées et tressées et sert aussi à la réalisation des lampes. Le transfert d’une idée intéressante d’un matériau à un autre peut présenter des avantages cumulés, notamment dans le cas de la façade du centre de fabrication de « DYB Dress Your Body SA » (Swatch Group), à Cormondrèche. Une simple feuille de papier perforée en « nid d’abeilles », devenue plaque de béton, permet en effet de cumuler réussite esthétique et diffusion de la lumière et de la chaleur dans le bâtiment ou au contraire atténuation de ces derniers en fonction des besoins saisonniers. Dans la matériauthèque, située en sous-sol du Moïtel, l’on trouve des éléments aussi variés qu’un tue-mouches en plastique, des copeaux de bois, de la ficelle. Les objets qui en découlent sont testés en prototypes, puis exposés dans leur état transitoire pour permettre à chaque collaborateur, en tout temps, de s’en inspirer pour d’autres projets ou de réfléchir à des améliorations possibles.

Une écologie pratique
Partir de la matière, c’est également tester dans la réalité la faisabilité d’un projet : « Le ruban de Moebius, à un moment donné, c’est en jouant avec une feuille ou un élastique qu’on va le trouver. C’est moins évident de sortir cette découverte de son esprit. » Ainsi, l’usage des logiciels de dessin n’intervient que dans une phase ultérieure et permet des allers-retours avec le travail manuel. « Le problème, avec les projets entièrement conçus par l’informatique, c’est qu’ils peuvent être très convaincants mais s’avérer impossibles à réaliser, ou alors engendrer des coûts de production exorbitants ». Le projet le plus écologique de l’Atelier Oï ? Sans doute cette petite maison pour les oiseaux, entièrement réalisée en graines. Ou ce pavillon près du tunnel du Gotthard, construit avec la matière même sortie du tunnel. Intervient ici la notion de scénographie, conçue à la fois comme une mise en espace et la prise en compte du contexte. « Pour chaque projet, un scénario s’écrit qui va au-delà de l’objet et agit, en retour, sur son contenu. Quand on dessine quelque chose, on doit aussi penser à qui l’utilise, où il l’utilise et à tout ce que cela aura comme incidences. Sans compter la manière dont l’objet, au terme de son parcours, pourra être recyclé. » En travaillant pour l’industrie, il est clair que les principes écologiques ne peuvent être entièrement appliqués. Et l’on peut s’interroger, comme Enzo Mari, sur la nécessité de poursuivre le développement d’un certain type d’objet quand l’un d’entre eux a déjà démontré sa « perfection ». Mais la vie n’est pas un processus figé, et les objets, à l’exemple du flacon de parfum « Blu II » conçu pour Bulgari, racontent des histoires dont il importe de saisir les enjeux. L’Atelier Oï a ainsi été invité à se joindre à la conception du brief de la célèbre marque italienne. La dimension écologique prend également la forme d’une réflexion menée, en amont de la production, sur la manière dont les matériaux s’assemblent : « Sont-ils collés, enfilés l’un dans l’autre ? Dans le second cas, l’on sait déjà que l’on pourra séparer les choses, et l’on en est conscient car on le voit déjà dans le prototype. » Au chapitre de l’écologie, l’Atelier Oï met également en pratique l’idée selon laquelle, dans le travail de groupe, il faut savoir par moments se retirer pour mettre en évidence les compétences de l’autre. Le désavantage, c’est sans doute l’absence d’une signature ou d’un style propre, puisque le travail est à la fois contextuel et polygéré. Mais tout à coup, des liens de parenté se révèlent entre les différents projets et les différentes échelles, parce qu’il y a réinterprétation de principes découverts par le travail en commun.

Se connecter avec la recherche
En Suisse, note Patrick Reymond, il y a un potentiel de recherche et de savoir-faire de qualité. La plupart des designers aiment suivre un projet jusqu’au bout. Mais il manque malheureusement une connexion entre les chercheurs, les designers et les architectes. Un rapprochement permettrait de développer en amont une réflexion à plus long terme sur les besoins et la manière la plus adéquate de les satisfaire, dans une logique écologique de planification. « Dans le développement, quand on est sous pression, on croit gagner du temps alors qu’on en perd. On triche pour aller plus vite, sans penser aux conséquences. Certains pays, notamment la Chine, pourraient profiter de ce savoir-faire et de ces connexions pour ne pas reproduire les échecs dont les pays occidentaux ont déjà tiré la leçon, au lieu de construire des centaines d’hôpitaux à toute vitesse et sans plan d’ensemble. » Pour défendre et partager ce credo, les membres de l’Atelier Oï, par ailleurs enseignants à l’Ecal, sont régulièrement invités dans des colloques en Europe et aux Etats-Unis.

Gauthier Huber

www.atelier-oi.ch

 

Huber Gauthier

Journaliste culturel, écrit notamment pour le Kunst-Bulletin et Artpresss

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