Il y a maintenant cinq mois que Christof Kaufmann est CEO du distributeur WerbeWeischer Suisse et il ne cache pas ses ambitions. Il explique à Cominmag pourquoi il a changé de bord (avant de rejoindre la filière du cinéma, il était CEO d’une agence), pourquoi il ne considère pas WerbeWeischer comme un monopoliste et comment il compte faciliter la tâche aux agences désirant diffuser de la publicité dans les salles de cinéma.
Après 25 ans en agence, vous passez du côté de la régie d’un média. Pour quelle raison ?
Christof Kaufmann : J’adore le secteur des médias, le fait de travailler dans ce métier passionnant représente un immense privilège. J’ai toujours eu envie de changer… et à partir d’un certain âge, je me suis dit : maintenant ou jamais !
Et pourquoi avoir choisi le cinéma ?
La combinaison entre secteur de niche et émotion m’a fasciné. Et le cinéma, c’est de l’image animée, un média porteur de perspectives et boosté par la dynamique du numérique. Dans ce contexte, mon travail représente un énorme défi. Et quoi de plus passionnant que de participer à la conception de structures en étant globalement responsable ?
Et le fait de travailler pour une régie qui détient un monopole en Suisse, cela vous satisfait-il ?
Stop ! (en riant) Même s’il est vrai que nous sommes la seule entreprise représentant le cinéma, nous ne détenons pas le monopole de la distribution dans le domaine de l’image animée. Goldbach et Admeira sont nos principaux concurrents dans le secteur télévisé, sans oublier tous les autres distributeurs de vidéos numériques. Mais pour en revenir à la question initiale : je me sens très à l’aise chez WW, j’aime mon travail et je suis dans mon élément.
Le cinéma entre rarement en ligne de compte même dans les campagnes de spots. Pourquoi ?
Pour les agences et les clients, le problème le plus fréquent est le fait que les médias secondaires, et donc le cinéma, sont rapidement laissés de côté. Et ils ont trop peu conscience du niveau qualitatif de la publicité diffusée dans les salles de cinéma. Je suis d’ailleurs convaincu qu’un contact au cinéma est bien plus précieux qu’un contact TV. Et il faut savoir que nous facturons sur la base du nombre de contacts effectifs et pas des possibilités de contact, comme à la télévision.
Comment comptez-vous promouvoir cette prise de conscience ?
Nous avons prévu cette année une grande étude à ce sujet. Concrètement parlant, nous cherchons à démontrer quel est l’impact le plus fort : celui d’un spot au cinéma, à la télévision ou sur l’écran 5 pouces d’un smartphone.
Où en est ce projet ?
En janvier nous avons finalisé une étude de faisabilité. L’objectif est d’analyser 10 à 15 campagnes faisant appel aux images animées lancées dans les trois supports – et représentant plusieurs branches, avec des publics-cibles différents.
Autre élément important : il ne s’agit pas de réaliser une étude WW mais une enquête la plus neutre possible, impliquant également l’Association suisse des annonceurs (ASA) et des agences ainsi que, dans la mesure du possible, une université suisse. Je suis en pourparlers avec l’ASA et la bsw leading swiss agencies. Une chose est certaine : une telle analyse demande de gros investissements.
Supposons que cette étude révèle effectivement un plus grand impact pour le cinéma – est-ce que les clients penseraient alors plus souvent à diffuser de la publicité dans les salles ?
L’idéal serait de pouvoir effectuer une indexation en fonction de la branche : dans le domaine des assurances ou des banques, par exemple, un spot diffusé au cinéma vaut 6 fois plus qu’un spot télévisé et 16 fois plus que s’il est en ligne. Dans le domaine des boissons, les facteurs sont alors de 12 et 22, etc. Si cela est possible, il faudrait bien entendu intégrer ces enseignements dans les outils de planification TV.
Vous voulez que les données soient prises en compte dans les outils de planification TV de Goldbach et Admeira ?
Il s’agit tout d’abord de savoir à qui appartient en fait quel outil. Et je souhaite effectivement intégrer les résultats pondérés du cinéma. Le projet devrait faire date, et pas seulement en Suisse – et notre position en sortirait renforcée. Le coût par milliers étant relativement élevé, nous sommes souvent éjectés des plans médias car les coûts n’illustrent pas l’impact publicitaire. Aujourd’hui, un utilisateur jetant un coup d’œil stressé sur son écran 5 pouces vaut autant qu’un spectateur assistant à une projection sur un grand écran de 180 m², dans une ambiance détendue.
Pourquoi Goldbach et Admeira devraient-elles coopérer ?
Un outil convaincant et d’intérêt supérieur, couvrant l’ensemble des différents supports d’images animées, est la meilleure des publicités dans ce domaine. D’autre part, la focalisation des budgets publicitaires sur la Suisse est une volonté explicite d’Admeira, le cinéma étant par ailleurs un support plus que traditionnel dans toutes les régions du pays.
Une chose est sûre : même si nos résultats étaient multipliés par deux, cela ne jouerait aucun rôle pour ces acteurs majeurs. Quant à l’ASA et à la bsw leading swiss agencies qui voient cette idée d’un bon œil, elles pourraient contribuer à la défendre. Tout est clair sur le plan technique, mais il s’agit d’un défi politique.
Récapitulons : d’ici un an, le système de publicité au cinéma aura considérablement changé.
Mon projet est très ambitieux et je ne sais pas si je réussirai. De plus, tout n’aura pas été réalisé dans un an mais les jalons seront certainement définis. Il faudra sans doute 24 mois pour pouvoir analyser l’impact et injecter éventuellement les données dans les outils TV. Je suis convaincu que ce que nous mettons sur les rails a des chances de réussir. Il en résulterait une certaine dynamisation du support qu’est le cinéma et notre part nette de marché pourrait passer à 1,5% – soit le double – dans les trois ou quatre années à venir.
Portrait de Christof Kaufmann
Christof Kaufmann (47 ans) a dernièrement travaillé pendant 8 mois comme conseiller chez Mediahead AG. Il a travaillé pendant plus de 25 ans dans des agences, occupant pendant 17 ans les fonctions de CEO, notamment de 2010 à la fin 2015 chez Dentsu Aegis Network Schweiz AG. Pendant cette période, M. Kaufmann a été douze ans membre du directoire de l’association bsw leading swiss agencies, étant à ce titre responsable du groupe des agences médias. M. Kaufmann a suivi la formation d’assistant publicitaire ainsi que les formations suivantes : diplôme fédéral d’assistant en relations publiques, employé d’édition, responsable marketing.
Le marché suisse du cinéma
Depuis cette année, WerbeWeischer Suisse est dans le pays l’unique distributeur de publicité dans les salles de cinéma. Employant actuellement une trentaine de collaborateurs, la société commercialise 500 grands écrans (environ 93% des salles suisses). L’audience hebdomadaire du cinéma est de 3 à 4%, les cinémas suisses étant fréquentés chaque année par environ 15 millions de spectateurs. Montant des recettes publicitaires nettes en 2015 (sous le duopole de Werbeweischer/Publicitas Cinecom) : 34 millions de francs. Pour 2016, le CEO Christof Kaufmann s’attend à un repli sensible (en raison également d’un millésime cinématographique faible), mais il table sur une augmentation de 20 % pour 2017 grâce à la sortie de films porteurs.[/ASIDE]