L’émotion que dégage le fi lm, au-delà de nos peurs du handicap, vient de ce qu’il nous ramène à nos silences. A nos débordements aussi. Dire ce qu’il faut vraiment dire. Mais le dire. Parler en fonction de ce que nous sommes le plus intimement possible, le plus entièrement possible, et non pas en fonction de nos cartes de visite. C’est justement le contraire qu’a demandé Sophie Calle à celles qui ont participé à son projet exposé à la Biennale de Venise. Pour prendre de la distance avec sa propre vie, l’artiste française a l’habitude de l’utiliser comme matériau. Ici, elle a donc prié 107 femmes d’interpréter une lettre de rupture selon leur profession: une correctrice a rectifié la ponctuation, une criminologue a dressé un portrait-robot de l’homme blessant, une championne de tir a visé le mot «amour»… Elles l’ont fait sans être impliquées par cette lettre qui ne leur était pas adressée. Et Sophie Calle a finalement fait comme elles en répondant à la lettre en tant qu’artiste. Mais je ne peux m’empêcher de me demander à quel point elle est parvenue à s’identifier à son travail artistique. A quel point ce travail pour Venise a-t-il pu se substituer à sa propre réponse au mail de rupture. S’est-elle ainsi construit un scaphandre de protection plutôt qu’une prison ?
Il m’arrive de sourire en retrouvant dans les articles de confrères ou de consœurs des traces de leur actualité personnelle. Ces prochains temps, je penserai aussi à Jean-Dominique Bauby et à Sophie Calle en lisant ces sortes de messages déguisés.