Pendant la cérémonie, une de ses anciennes petites élèves d’école enfantine a raconté comment cette institutrice, voilà plus d’un demi-siècle, accueillait les enfants chaque matin avec un air de flûte. Pas toujours la même flûte mais, selon son humeur, selon sans doute ce qu’elle avait envie de susciter chez les petits, une flûte d’ici ou d’ailleurs, un air personnel, une musique plus connue, des rythmes variés. Et cet air, cet instrument, titillaient les curiosités, donnait envie d’apprendre le monde, ses musiques, ses peuples, leurs histoires, les sciences naturelles peut-être aussi. Sans doute là, tout de suite, avec des questions qui fusaient, mais aussi au long cours. Germaine Duparc pensait en effet que son métier consistait à faire aimer apprendre. Elle suivait ainsi les théories d’un de ses maîtres, Edouard Claparède, qui ne souhaitait pas « une école où les enfants font ce qu’ils veulent mais où les enfants veulent ce qu’ils font ».
Germaine Duparc était positive, généreuse. Elle ne voulait pas, ne pouvait pas croire que la Suisse avait été si peu accueillante pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela lui faisait trop mal. Comme à l’ancienne élève qui se souvenait des flûtes de Germaine, qui n’est autre que Ruth Dreifuss dont le père avait, en ces temps sombres, aidé des juifs malgré l’illégalité.
Une autre femme de la même génération que Ruth Dreifuss et qui a aussi beaucoup partagé avec Germaine Duparc a pris la parole lors de la cérémonie. Christiane Perregaux fut également maîtresse d’école enfantine et professeure d’Université. Les deux pédagogues étaient faites pour s’entendre. Grande spécialiste de l’éveil aux langues, Christiane a participé activement à la conception et à la mise sur pied de programmes tirant parti du plurilinguisme des écoles pour élargir les connaissances de tous. Contes, comptines et chansons permettent d’introduire les élèves des classes enfantines et primaires à la variété et à la richesse du monde..
Désuet, naïf que tout cela? Aucunement si l’on en croit le succès aujourd’hui des littératures traduites et des musiques d’ailleurs. Pour saisir le monde au-delà de l’actualité, on dévore les romans indiens, chinois ou sud-américains. On s’initie au katakali ou au tango. Et bien sûr on écoute les flûtes de partout: flûte de pan, ocarina, ou okobue japonais. On saute à pieds joints dans la culture des autres. Parce que cela n’a plus de sens de les ignorer: la planète est trop petite et les questions essentielles sur notre humanité, au-delà des genres et des pseudo-races, sont partagées. Avec, et au-delà de nos différences.