Entre besoin de rationalisation des coûts et quête effrénée d’innovation, l’éditeur Tamedia fait une première tentative vers l’automatisation de l’écriture d’articles. Ce test, au-delà de la seule prouesse technologique, va pousser les rédactions à réfléchir sur la valeur des articles qui sont aujourd’hui proposés en version payante et gratuite.
Lors des dernières votations du 23 septembre, l’éditeur Tamedia a utilisé le robot Tobi pour écrire des textes sur les résultats de 526 municipalités. Au total, ce sont 4734 articles qui ont ainsi été rédigés de manière automatique. Tobi n’est pas encore un algorithme comprenant de l’intelligence artificielle ; on le programme sur la base de schémas préétablis. Comme l’explique Titus Plattner, Senior Innovation Project Manager chez Tamedia, Tobi fonctionne à partir d’arbres décisionnels. Par conséquent, dans le cadre d’une élection ou de résultats sportifs (comme c’est déjà le cas pour l’éditeur Axel Springer), on peut anticiper et élaborer en amont tous les scénarios susceptibles d’advenir. Une fois les résultats connus, l’algorithme publie immédiatement l’article adéquat en reprenant les modules de textes pré-écrits en lien avec la situation réelle. On ne saurait être plus efficace. « Notre test n’a porté que sur quelques cantons mais à l’échelle de toute la Suisse, cet exercice aurait supposé l’écriture de 20.000 textes. Sans Tobi, cela aurait représenté pratiquement une année de travail si un journaliste avait dû prendre connaissance de tous les résultats et écrire immédiatement un article. »
L’opération Tobi s’est donc avérée concluante : le retour des lecteurs a été positif et le nombre d’erreurs est quasi nul. « Hormi dans la commune de Champoz dans le Jura Bernois, où le camp des pro et des contre vélo ont recueilli le même nombre de voix. Cette possibilité n’avait pas été imaginée. Nous avons pu ajuster le texte manuellement. »
Rien de magique !
On le comprend, derrière un algorithme, il y a toujours un humain. Une bonne nouvelle pour les rédactions qui devraient comprendre que l’automatisation ne signifie nullement la fin des journalistes. Au contraire, l’objectif de l’automatisation est de mieux utiliser le potentiel des rédactions afin qu’elles puissent industrialiser le contenu à faible valeur ajoutée et allouer plus de forces à l’analyse et à l’explication. Car lorsque l’on passe d’un marketing de l’offre à celui de la demande, la compréhension des besoins et des attentes du lecteur est vitale.
Les outils d’analyses mis en place par les rédactions analysent déjà les comportements des lecteurs. Chacun cherche à comprendre pour quel type d’informations et sur quels supports les lecteurs-internautes sont prêts à payer.
« Je suis convaincu que dans le cadre d’une élection, les données par candidat ont une valeur très forte, autant pour nos abonnés que pour des lecteurs occasionnels. » La démarche de tout l’open data a pour but de valoriser ce qui est libre d’accès et qui, faute de traitement possible, ne présentait jusqu’à présent aucun intérêt. Et pour donner sens à ce matériau brut, on doit passer soit par des algorithmes « prédictifs » ou par du Machine Learning qui, grâce à de l’analyse massive de données, peut ouvrir un nouveau champ des possibles, notamment en traitant une masse de données difficilement gérable pour un humain.
Mais ne nous emballons pas, on n’en est qu’aux balbutiements…
À ce stade, la question des « datas » reste un frein de taille. La solution Tobi n’est pas native. Dans ce cas, à qui appartiennent les données ? Au concepteur de l’algorithme ou à l’éditeur ? Titus Plattener d’expliquer : « Il n’y a pas eu d’échange d’information, le lecteur est toujours resté dans l’environnement Tamedia. En effet ce n’est qu’à partir du moment où les votes ont été connus que les bons modules ont été importés de Tobi vers nos serveurs, pour être diffusés sur nos différents sites et attribués à nos différents titres. »
Avec le développement de technologies d’IA, la traçabilité est une question essentielle ; il en va de la confiance entre une marque et ses clients. Que les éditeurs développent des outils pour mieux améliorer le « comment » est louable et économiquement vital, mais ils ne doivent jamais oublier que sans le « pourquoi », il n’y aura ni lecteurs, ni annonceurs.
Affaire à suivre de près, donc…