Le monde a changé. La transparence forcée de Wikileaks, des OffShore leaks ou des scandales soulevés par Mediapart en France a fait trembler les pouvoirs en place. Elle inquiète autant les élites ayant des choses à cacher que les défenseurs des libertés civiles. Chercheur mondialement reconnu dans le domaine des médias, Robert Picard cadre le débat de cette journée du 24 mai placée sous l’égide du « Combat pour la transparence: Bataille perdue ou bataille à mener ? » : « La transparence est une philosophie : l’idée que tout montrer peut créer plus de bien public que tout cacher. Mais ce n’est pas un bien public en soi, contrairement à la paix ou au bonheur, au sens où la transparence peut nuire. »
Les nouveaux WWW: Wikileaks, Whistleblowers, Witch-hunting
« Plus personne ne fait d’enquête, la mode est à la chasse aux sorcières » explique Reiner Mittelbach, de Geopolitical Information Service. Allant plus loin, le CEO de cette firme de conseil précise sa pensée: « Publier des informations volées ou hackées ne peut pas être considéré comme du journalisme sérieux ». A l’inverse, Kristinn Hrafnsson, porte-parole de Wikileaks, affirme que le site « est la seule menace réelle contre la tendance croissante au secret. C’est aussi la meilleure chose qui soit arrivée au journalisme depuis des décennies, tout en étant une menace pour le journalisme traditionnel ». Ce danger explique selon lui le traitement « inégal » de l’actualité de Julian Assange, où les médias « parlent à longueur de pages de ses problèmes de santé ou de justice sans jamais faire un papier sur la récente décision de l’UE de faire stopper le blocus financier du site ».
La médiatisation d’Assange masque tous ceux que l’on oublie : pas facile en effet d’être un combattant de la transparence, lanceur d’alertes (whistleblower) ou média militant. Traître ou héros, l’un puis l’autre voire les deux à la fois. La principale motivation de la personne à la source d’un secret est de « vouloir changer un comportement qui n’est pas éthique ». « Ce sont les lanceurs d’alertes qui subissent une chasse aux sorcières, explique Birgitta Jónsdóttir, présidente du Parti pirate islandais. Après Wikileaks, les grands médias subissent désormais ce type de pression ». Pour elle, comme pour une grande partie des professionnels présents à la conférence, « l’accès total à l’information est nécessaire » ; elle estime par ailleurs que « plus de transparence aurait pu limiter les effets de la crise financière ».
Hrafnsson enfonce le clou, en rappelant que « les câbles de Tunisie ont nourri la rage populaire en montrant l’étendue réelle de la corruption du gouvernement de Ben Ali et ont donc été des catalyseurs de la chaîne d’événements ». Une perspective confirmée par les historiens : « Les pentagone papers ont contribué à une fin anticipée de la guerre du Vietnam », rappelle Dick Marty, ancien Conseiller aux Etats et député à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Bien connu pour ses différents combats pour plus de transparence, l’impartial Tessinois s’inquiète aussi de « l’affaiblissement du pouvoir législatif et judiciaire » dans un contexte où « les Etats manipulent toujours plus la demi-vérité, ce qui est le pire des mensonges ».
Au nom de la loi (sur la transparence)
En Suisse, une loi sur la transparence cadre les obligations des administrations et les droits des citoyens depuis 2006. « Malgré cela, la liberté de la presse est en baisse, explique Jean-Philippe Ceppi, producteur de l’émission Temps Présent. Il est très difficile de protéger les sources et les lanceurs d’alertes. On aimerait avoir les mêmes lois qu’en Afrique du Sud ou en Inde ». Le journaliste évoque également « la difficulté de faire de la caméra cachée ou du journalisme sous couverture dans un pays qui a dans son ADN la culture du secret ». Et de conclure: « La gêne n’est pas une bonne raison de garder une information gouvernementale secrète. En effet, c’est plutôt une excellente raison de la rendre publique ».
Justement, la loi sur la transparence est claire : tout ce qui n’est pas secret est public. Tous les contenus (rapports, statistiques, courriers) non filtrés, en version papier ou digitale, devraient être mis à disposition par les administrations fédérales et les organismes de droit public comme La Poste ou les CFF. Journaliste au sein de la cellule d’investigation commune au Matin Dimanche et au SonntagsZeitung, Titus Plattner souligne que des scoops comme le prix payé par Rolex pour poser sa marque sur le Learning Center de l’EPFL (CHF 33 Mio) ou le coût de la protection de l’ambassade Suisse par une armée privée, « n’aurait jamais été possible sans ce droit d’accès aux données ».
La protection de la sphère privée, le secret des affaires ou un intérêt public prépondérant au secret permettent de déroger à cette règle. En plus des larges marges d’interprétation des exceptions et des difficultés à faire recours, Titus Plattner confirme que la mauvaise volonté peut prendre d’autres formes. Et le journaliste de citer, en vrac, « les CHF 245’000.- demandés par l’Office fédéral de l’agriculture pour transmettre des infos au BeoBachter ou les CHF 30’000.- de frais de justice demandés à un titre pour obtenir les indemnités de départ d’un chef de service. Et ce, même si cette jurisprudence facilite désormais des demandes similaires ».
Donner l’accès aux données
Afin de baisser le coup d’accès à ces données, l’association LoiTransparence.ch, dont Monsieur Plattner est membre, propose en ligne, en plus de conseils pratiques et juridiques, un outil génial et puissant : un générateur automatique de lettre de demande d’accès aux données. Une bonne façon de baisser le coût de la demande, et de « forcer l’administration à respecter la loi ».
Le droit d’accès aux données pose automatiquement la question de la propriété de ce data. Après avoir relevé que « les entreprises privées du monde imposent la transparence pour leurs profits exclusifs, Robert Picard rappelle la réalité : « dans les démocraties, le gouvernement agit comme un agent du public. Mais l’agent détient toujours plus d’informations ». Cette délégation à l’avantage de clarifier la logique : le propriétaire des données est, théoriquement, le citoyen. Plus généralement, le directeur de la recherche du Reuters Institute for the Study of Journalism à Oxford affirme que les citoyens « doivent savoir comment les gouvernements agissent en notre nom et que la seule raison d’existence d’un secret est l’intérêt public ».
Au final, cette journée de débats n’a pas abordé un point fondamental : l’exemplarité. En effet, une autre option, qui peut être explorée, est la question de la transparence des entreprises de médias. En effet, en terme d’exemplarité, il pourrait être intéressant que les médias soient 100% transparents en transmettant au public l’intégralité de leurs données financières et organisationnelles. En montrant l’exemple, la profession pourrait demander cette transparence avec beaucoup plus de légitimité.
Le débat de ne fait que commencer. La bataille pour la transparence, elle, est déjà bien engagée.
Clément Charles
ATCNA