Bien que le conseil d’administration de Mediapulse ait confirmé la plausibilité du nouveau panel TV et des chiffres déclarés, plusieurs chaînes de télévision ont émis des doutes, remettant ainsi en question la crédibilité du conseil d’administration. Trois experts indépendants ont été mandatés et devraient présenter leur rapport d’ici fin mars.
Au départ, les premiers résultats du nouveau panel TV de Mediapulse auraient dû être publiés dès la seconde quinzaine de janvier mais divers problèmes ont incité les sept membres du conseil d’administration de Mediapulse à effectuer un contrôle aval et à renoncer à leur publication. Ce qui a provoqué diverses rumeurs selon lesquelles la SSR, qui est le principal client de Mediapulse, n’aurait pas été d’accord avec les résultats et donc empêché leur diffusion – réaction également attribuée au Groupe Goldbach qui commercialise la majorité des fenêtres publicitaires étrangères. Mediapulse n’a pas donné suite mais a déclaré le 31 janvier que les erreurs avaient été détectées et éliminées, permettant un nouveau calcul des données. Le 12 février, soit juste six semaines après le lancement du nouveau panel, le conseil d’administration a déclaré que les données étaient « probantes et plausibles » et décidé de les mettre à la disposition des chaînes et distributeurs TV dès le lendemain, les agences médias et annonceurs y ayant accès quelques jours plus tard. Sans tenir compte des avertissements reçus, l’organe de Mediapulse, sous pression depuis des semaines, ne pouvant à lui seul rétablir totalement la crédibilité ébranlée des données.
Menace de poursuites judiciaires
Le retour de bâton ne s’est pas fait attendre : dès que les chaînes et distributeurs ont eu l’occasion d’évaluer les données (et celles de la concurrence), une vague d’indignation a secoué une partie de la profession. Certaines sociétés (chaînes et distributeurs) ont exigé, parfois par le biais de leurs avocats, que le panel fasse l’objet d’une enquête indépendante en raison des résultats selon elles erronés, a rapporté Marco De Stoppani, président du CA de Mediapulse AG, lors de la conférence de presse de Mediapulse du 19 février. Même s’il n’a pas précisé les noms ou le nombre des chaînes et distributeurs en colère, il a laissé entendre que des prestataires régionaux étaient parmi eux.
En raison de cette méfiance, le CA de Mediapulse a de nouveau décidé à l’unanimité, le 18 février, de reporter la publication des données et d’attendre le rapport de trois experts, deux d’entre eux – Stef Peeters, Managing Director du Joint Industry Committee CIM (Belgique) et le Norvégien Robert Ruud, auditeur indépendant – planchant déjà depuis début février sur la conformité du panel TV avec les standards internationaux. Raison de ce choix : Peeters s’y connaît en matière de plurilinguisme et de marché concentré, Ruud étant au fait du système Kantar.
Six semaines de plus pour les chaînes
La consultation d’un troisième expert (non désigné) n’a été décidée que le 18 février. Sa mission : vérifier si le panel Mediapulse « illustre comme il se doit les particularités régionales suisses ». Selon Marco De Stoppani, les rapports d’expertise ne seront pas disponibles avant la première semaine de mars au plus tôt. Les représentants des chaînes télévisées auront alors l’occasion d’exposer leurs réserves et leurs objections aux experts. Les rapports et les mesures éventuellement recommandées seront ensuite publiés. Suivront les données – probablement fin mars estime ce responsable. À condition qu’il n’y ait pas de nouvelles erreurs.
Cependant le conseil d’administration a également décidé qu’il continuerait de mettre quotidiennement à la disposition des chaînes et distributeurs les données « confidentielles ». Motif : il faut que les chaînes les utilisent et se familiarisent avec leur emploi. Par contre, les données ne sont pas communiquées aux agences. Autrement dit, elles ne peuvent toujours pas optimiser les campagnes et encore moins effectuer de contrôles en aval. Mais ce n’est pas tout : le conseil d’administration de Mediapulse est conscient qu’il est fort possible que des chiffres provenant du nouveau panel finissent par faire à leur insu le tour des médias. Selon Marco De Stoppani, il n’a pas été question de peines conventionnelles ou de sanctions mais il a également confirmé que dans le passé, la communication de Mediapulse avait été « suboptimale ».
La confiance fait vivre Mediapulse
Selon le président du CA, les réserves émises par les chaînes sont par ailleurs « tout à fait compréhensibles » en raison des « fortes divergences » apparaissant entre les chiffres de 2012 (ancien panel) et ceux de 2013 (nouveau panel). « Mais si nos données ne sont plus dignes de confiance, le système en soi est menacé – ce qui est une question existentielle pour Mediapulse », a ajouté M. De Stoppani. Qui a rappelé une nouvelle fois que le contrôle final effectué à la mi-février par les spécialistes de Mediapulse et Kantar Media, le fournisseur du panel, « ne permettait pas de conclure à la présence d’erreurs et d’insuffisances ». Lors de la conférence de presse, Manuel Dähler, le CEO de Mediapulse, a lui aussi déclaré être convaincu de la fiabilité du nouveau système et des données.
Markus Knöpfli
www.mediapulse.ch
ENCADRE No 1
Identification d’un double problème
Selon Marco De Stoppani, le nouveau système de mesure enregistre comme il se doit l’utilisation télévisée mais des problèmes sont apparus au niveau de la ventilation correcte des données sur les chaînes. Exemple : si un téléspectateur regarde un match de foot sur la chaîne X, la rencontre étant également retransmise sur la chaîne Y, le système doit pouvoir attribuer la visualisation à X. Ce qui n’a pas toujours fonctionné comme il le fallait, la seconde source d’erreur étant liée au changement de nom des chaînes SRF.
ENCADRE No 2
Qu’en pensent les agences média ?
Il a l’impression de « piloter à l’aveugle, sans savoir où il va atterrir » – telle est la description que Christoph Marty, responsable chez AZ Medien de la vente de publicité sur Tele Züri, Tele Bärn et Tele M1, a fournie de cette situation inhabituelle.
« Le nouveau panel se distingue à plusieurs égards de son prédécesseur et nous ne savons donc absolument pas si les objectifs fixés ont été effectivement réalisés », ajoute Michael Krause, Head of Electronic Media chez Omnicom Media Group, la plus grande agence suisse.
Quant à Claudia Schroeter, directrice TV à l’agence genevoise Mediatonic, elle déclare n’avoir pu faire que la moitié du travail car « il est par exemple impossible d’optimiser les campagnes ou d’effectuer le contrôle aval. » Les chaînes télévisées n’en ont pas moins déjà facturé les prestations fournies en janvier.
L’affaire est surtout gênante pour les clients dont la campagne est exclusivement diffusée pendant la phase « zéro données », ajoute Stephan Küng, patron de l’agence médias The Whole Media (Bâle). « En effet, si leur campagne est demeurée en deçà des résultats escomptés, une compensation ultérieure ne leur apporte rien du tout. »
Les régies publicitaires ?
Ce qui représente aussi un véritable casse-tête pour les distributeurs. « Nous serons certainement obligés de créditer au client une partie des coûts pour les contrats finalisés. Mais les modalités du processus n’ont pas encore été fixées », déclare Daniel Gauchat, responsable de la distribution TV des fenêtres publicitaires de TF1 chez Ringier. Par contre, les chaînes de moindre importance ne sont pratiquement pas concernées. Selon Walter Liechti, Head of Sales chez TeleBasel, les chiffres comptent moins sur le marché local, « aucun client n’a fait faux bond en raison de la seule absence de données ».
En fin de compte, les annonceurs se sont montrés très compréhensifs, entend-on à l’unisson. Ce qui ne veut pas dire qu’ils aient pour autant abandonné l’idée de former des recours, précise M. Krause. Le responsable de ces retards doit en tout cas être trouvé : « Mediapulse a été trop longtemps sur la réserve. »
Les chaînes
« Nous n’avons aucune idée de l’accueil réservé aux programmes », explique Mara Sorbera, responsable des programmes chez RTS. Les chiffres sont surtout importants pour les séries achetées. « Si pratiquement personne ne les regarde, on peut les remplacer à assez court terme. » Willy Surbeck, directeur de TeleBasel, évoque un second aspect : « Depuis le début de l’année, il nous manquait, par rapport aux collaborateurs, un argument dans la rhétorique de gestion ». Irmtraud Oelschläger, responsable de la recherche Marchés et publics chez SRF, a constaté un phénomène similaire : « Chose intéressante, la façon de parler de telle ou telle émission a soudain complètement changé : les aspects relatifs au contenu sont repassés au premier plan ».
Conclusion
Lorsque les données portant sur environ 45 jours seront finalement livrées, les responsables de programmes, distributeurs et agences vont croulé sous un travail nécessitant des heures supplémentaires incontournables. En effet, le nouveau panel a pratiquement chamboulé tout le système : tous les foyers ont été changés, d’autres formes d’utilisation sont aussi prises en compte (par ex. télévision sur ordinateur/ordinateur portable) et les données portant sur la visualisation différée sont comptabilisées pour la première fois… sans oublier le nouvel outil d’évaluation avec lequel chacun a dû se familiariser.