Il y a près de six mois qu’Arndt Groth a été nommé à la tête de PubliGroupe – une tâche peu aisée pour cet Allemand de 48 ans. Mais dès ses premières interventions, il n’a pas craint de nommer les choses par leur nom et de pousser la commercialisation automatisée de la publicité en ligne. En même temps, il semble avoir introduit chez Publicitas une nouvelle mentalité en termes de services.
-M. Groth, le rendez-vous de l’Épiphanie était votre 3e apparition publique en tant que CEO de PubliGroupe. Quelle impression les éditeurs suisses vous ont-ils faite ?
Je constate qu’ils sont largement prêts à bouger, tout en réclamant de l’aide parce qu’un grand nombre de questions n’ont toujours pas trouvé de réponses.
Par conséquent, les éditeurs réclament expressément un prestataire et partenaire dynamique, ce qui me laisse à penser que l’avenir de Publicitas est tout tracé si nous fournissons les solutions à ces questions.
-Dans votre intervention, vous avez invité les éditeurs à mettre en place une plateforme commune de commercialisation et de traitement des annonces numériques. Le hic, c’est que votre prédécesseur Hanspeter Rohner et, plus tard, le CEO de Publicitas, Beat Roeschlin, avaient déjà évoqué le sujet en 2009 et 2010 – sans résultat. Les éditeurs vont-ils se montrer plus réactifs cette fois-ci ?
Je ne sais pas ce qui avait été envisagé à l’époque mais nous disposons désormais comme base d’une plateforme de Real Time Advertising (RTA), équipée avec la technologie d’Improve Digital. La balle est maintenant dans leur camp.
-PubliGroupe a repris Improve Digital à l’automne dernier après avoir fondé Spree7 à Berlin. Les deux sociétés travaillent dans la commercialisation numérique. Quelle est leur fonction exacte ?
De nombreux prestataires sont apparus dans le domaine du Programmatic Trading. Les uns accompagnent plutôt les demandeurs (annonceurs et agences), les autres les fournisseurs, autrement dit les éditeurs, pour que ces derniers puissent préparer leurs offres. Et comme la chaîne de création de valeur est structurée, nous avons consolidé les deux axes d’intervention : Spree7 côté demandeurs et Improve Digital côté fournisseurs.
-Les deux sociétés sont-elles déjà actives en Suisse ?
Oui, mais Spree7 opère à partir de Berlin car si une agence veut acheter des espaces, elle peut le faire virtuellement. Par contre, la plateforme côté fournisseurs d’Improve Digital exige que les éditeurs soient suivis sur place. En Suisse, cette tâche est confiée à Publicitas (P Digital) qui utilise pour cela la place du commerce en ligne « The Mark » basée sur la technologie d’Improve Digital.
-Et cette plateforme est déjà active ?
Oui, elle est prête à démarrer et n’attend plus que du « matériel ». Le site local.ch a été le pionnier et divers éditeurs partenaires, en Suisse comme à l’étranger, ont déjà manifesté leur intérêt. Des agences ont aussi déjà passé les premières commandes.
-N’est-ce pas un peu tard pour Publicitas ? Il existe déjà des plateformes appartenant aux éditeurs : le Premium Publisher Network (PPN) de Tamedia, NZZ et Ringier par exemple – ils n’ont plus besoin de vous maintenant.
Si, ils ont également besoin d’un partenaire pour le commerce automatisé et le RTA (publicité en temps réel) : soit nous, soit un acteur international tel que Google ou Rubicon. Car si l’on part du principe que dans un avenir proche, 60 % des capacités en ligne seront commercialisées automatiquement, PPN et tous les autres éditeurs vont bientôt devoir compléter leur technologie en conséquence. Et il leur faut une interface avec les plateformes internationales ; ils peuvent toutefois choisir de passer par « The Mark », Google ou un projet Rubicon.
-Quatre années se sont écoulées depuis vos premières communications – n’avez-vous pas perdu un temps précieux par rapport à Google ou Rubicon ?
Il est exact que nous n’avons pas lancé de vaste opération de commercialisation de ce type et je regrette que nous n’ayons pas compté parmi les membres fondateurs de PPN. Concernant l’automatisation, nous n’en sommes pas moins bien positionnés dans le temps car elle n’est apparue que les douze derniers mois, du moins sur le plan technologique. D’autre part, selon les pays, 5, 10 ou 20% seulement du volume d’affichage sont commercialisés automatiquement – nous sommes donc vraiment dans les temps.
-Pensez-vous que la commercialisation automatisée et le RTA permettent de fidéliser plus fortement les éditeurs ?
Cette année, nous comptons retrouver une base d’entente avec les éditeurs afin de définir une coopération commune pour les prochaines années, le Programmatic Trading et la RTA étant ici deux thèmes absolument essentiels.
-Supposons que les éditeurs mordent à l’hameçon – quel profit Publicitas pourra-t-il en tirer dans les cinq années à venir ?
Je ne peux pas le chiffrer. Mais en Europe, le marché du display pèse 28 milliards de francs, dont la moitié va à Google. Désormais, l’autre moitié sera commercialisée sous forme numérique à environ 60%, soit environ 8 milliards de francs, ce volume étant actuellement réparti entre approximativement cinq et bientôt peut-être dix acteurs. Et nous comptons bien nous tailler une belle part de ce gâteau.
-En 2002, PubliGroupe réalisait un chiffre d’affaires de CHF 2,2 milliards. Aujourd’hui, il est divisépar deux. Comptez-vous retrouver un jour votre grandeur passée ?
Notre premier objectif doit être d’atteindre une rentabilité durable, et ce dans chacun de nos trois segments (MediaSales, Local, et Digital Marketing & Services). Et nous visons un nouveau développement. Mais je ne souhaite pas formuler de pronostics.
-En décembre, vous avez annoncé que PubliGroupe était dans le rouge opérationnel non seulement en 2011, mais également en 2012, MediaSales demeurant la principale cause de souci avec CHF 22 millions de déficit. Voyez-vous une lueur à l’horizon ?
2013 sera encore une année difficile pour Publicitas et nous comptons sur un nouveau recul des recettes de presse de 8%. Si Publicitas parvient à équilibrer ses comptes ou à un résultat tout juste négatif, ce sera déjà une belle réussite. Le défi est lié au fait que la part revenant aux recettes hors presse est encore réduite. Elles ne pourront sans doute compenser le recul du chiffre d’affaires Presse qu’à partir de 2015. D’ici là, nous allons encore devoir nous serrer la ceinture.
-Un horizon réaliste ? Certes la publicité numérique augmente, mais elle ne génère qu’un cinquième des ventes résultant de la publicité imprimée. De plus, la consultation des médias se fait de plus en plus sur des appareils mobiles, or la publicité associée ne représente plus qu’un dixième de la presse. Comme voulez-vous donc augmenter votre chiffre d’affaires ?
En ce qui concerne la commercialisation de journaux, qui est notre activité clé, la majorité des éditeurs travaillent encore de façon très rentable, même si ces dernières années, certains ont mis un terme à notre partenariat. Un portefeuille de services insuffisamment étoffé et des services parfois trop peu actuels expliquent ces défections – et nous devons l’accepter. Mais Publicitas a évolué : nous avons pour but de reconquérir d’anciens clients en repensant notre conception des services – et nous y parvenons. Le chiffre d’affaires devrait repartir dans le bon sens, même dans le secteur presse.
-Les relations se sont dégradées notamment en raison du nouveau modèle de tarification adopté par Publicitas il y a trois ans, un tarif de base étant alors facturé aux éditeurs pour chaque annonce négociée ainsi qu’une participation au CA. Mais pour les annonces sous rubriques, Publicitas touchait des sommes dépassant le prix d’achat. De petits éditeurs ont alors mis un terme à la collaboration. Qu’en est-il maintenant ?
Il faut préciser que nous avons dû imposer des prix fixes pour les petites annonces, car sans cela notre division Annonces sous rubriques aurait été déficitaire dans les marchés locaux. Mais en fin de compte, chaque contrat passé avec un éditeur doit être rentable, qu’il s’agisse de prix fixe ou de provision. Et nous faisons preuve de flexibilité quant aux modalités.
-Une plus grande ouverture est donc de mise envers les éditeurs ?
Oui, si le contrat global est rentable pour les deux parties. Et si nous avons la liberté, en tant qu’entrepreneurs, de regrouper des offres et de commercialiser des offres en ligne et mobiles en plus des offres de presse. Si tel est le cas, nous trouverons bien sûr un modèle.
-Cette année, vous avez prévu de nouvelles négociations avec le groupe NZZ, votre principal partenaire de régie. Assisterez-vous à ces entretiens ?
Oui, le dossier est de mon ressort. Le contrat n’expire qu’à fin 2014 mais nous voulons déjà nous réunir pour travailler à notre avenir commun.
-Votre participation (25%) à la filiale de NZZ Freie Presse Holding joue aussi un rôle : Il y a un an, M. Rohner déclarait que cette participation n’avait plus aucune importance stratégique. Qu’est-ce que cela signifie pour les négociations à venir ?
Nous sommes très ouverts mais nous avons laissé entendre à la NZZ qu’en raison des changements affectant le marché, nous souhaitions étudier le contrat et rediscuter certains points – comme par exemple la participation, dans la presse, au St. Galler Tagblatt et à la Neue Luzerner Zeitung dont les recettes sont d’ailleurs plus stables que celles de NZZ.
-Le fait que M. Rohner soit président du conseil d’administration de PubliGroupe rend-il votre mission plus simple ou plus difficile ?
Jusqu’à présent, cela m’a bien simplifié la tâche parce que Hanspeter Rohner m’a grandement aidé à faire la connaissance du marché suisse et de tous les grands décideurs. De plus, pendant les quatre semaines de mise en route, il s’est strictement limité aux tâches lui incombant en tant que président du conseil d’administration, se retirant de son rôle de CEO.