Lorsque Regula Flecker, planneur stratégique, Oliver Fennel, directeur de création et David Schärer, RP, ont décidé de quitter la grande agence pour laquelle ils collaboraient depuis 7 ans, ils n’avaient aucun client – juste un sésame : la promesse de participer au pitch d’Ikea pour l’ouverture d’un de ses magasins à St-Gall. Un quitte ou double qu’ils ont remporté face à de grandes agences de la place. La chance du débutant ? Non, car d’autres concours suivront, dont le mandat 20 Minuten puis celui de Sanitas, qui leur mettront définitivement le pied à l’étrier et les amèneront en 4 ans de trois à dix-huit collaborateurs.
Quel est le secret d’un si rapide développement ? « Nous avions eu la chance de travailler pour Jung von Matt où nous étions regroupés en domaines de compétences. Cela nous a permis de comprendre l’importance de chaque discipline. La publicité n’est qu’une part de notre travail. Aujourd’hui, nous nous voyons avant tout comme des fournisseurs de solutions et non comme des prestataires de services. »
Un positionnement différent
Plus Think Tank qu’agence publicité, l’équipe du Bürglistrasse 17 a toujours eu l’intention de se démarquer. « Nous n’avons jamais souhaité devenir une agence de plus. Et puisque nous refusons toute comparaison, nous ne participons à aucun concours de créatifs. » Une rupture délibérée qui leur ouvre tous les champs des possibles, comme celui d’intégrer le digital dans leur réflexion stratégique. Cette option, périlleuse en 2004, les mettra devant une évidence : « Le plus dur au début n’a pas été de trouver des clients, mais de trouver des clients qui comprennent notre démarche. »
Malgré ces difficultés, ils refuseront de déroger à cette ligne de conduite, convaincus que leur métier consiste avant tout à proposer des solutions à des clients plutôt qu’à concevoir des campagnes sur des médias. « Nous devons être utiles et pas uniquement créatifs. » Un positionnement parfaitement illustré par la dernière photo « officielle » du team dirigeant : 4 navigateurs en cirés jaunes prêts à affronter la tempête et déchirant un épais brouillard avec leur lanterne….
Et Franky arriva !
Tout un programme que l’on retrouve dans leur manière iconoclaste d’interpréter les briefs. La campagne Slow Down pour le Bureau de prévention des accidents (BPA) illustre bien leur méthode. « Nous étions confrontés à un problème de taille : comment aborder la sécurité routière ? Jusqu’à présent, les publicitaires avaient toujours mis en avant les accidents ou les injonctions. Or, force est constater que le public n’écoute plus ces avertissements. Il fallait créer une rupture. Notre piste a été de positiver le message et de mettre en avant une attitude positive seule capable de changer en profondeur les mentalités. » Restait à trouver un ambassadeur capable de renverser la vapeur. Ce sera l’ange Franky, total funky, accompagné de ses potes musiciens chargés de transformer l’état d’esprit des automobilistes par un message très simple et musical : « Slow down take it easy ». De quoi toucher les automobilistes à l’écoute de l’autoradio.
L’originalité de cette opération, lancée en 2009, se trouve également dans son plan média : spots TV, clips vidéos sur YouTube, single téléchargeable sur iTunes, insertion de publicités dans des jeux vidéos de courses de voitures, page Facebook, banners, affichage, événementiel, retours presse. « Nous avons toujours eu une vision transmédia et non crossmédia. A chaque média son langage, pas question de dupliquer aveuglément le message sur tous les supports. »
On s’en doute, de personnage Franky est rapidement devenu une personnalité, avec 271’022 fans sur la page Slow Down et 4’997 fans sur sa page personnelle et la chanson s’est trouvée en tête des charts alémaniques. « Les Romands et Tessinois ont également bien suivi, à en juger par la provenance des fans sur la page. » Et pour amener également du trafic sur le site, des « goodies » (Tshirts, autocollants) peuvent être commandés depuis cette plate-forme transformée en table des 8 commandements de Franky.
Autre opération tout aussi « rodienne » : Hotelplan. « En croisant des données de Mach Consumer, nous avons découvert une forte affinité entre les personnes achetant des billets d’avion en ligne et ceux consultant les sites d’astrologie. Cela peut paraître tiré par les cheveux mais c’est une réalité que nous avons exploité pour une campagne de banner pour ce voyagiste. » On demandait à l’internaute de définir son signe et l’on découvrait la destination préférée par les gens nés sous le même soleil. Banners, micro-site, page facebook : l’achat de voyage devenait une aventure et surtout une possibilité de contacts réels avant même d’avoir décollé. « Le taux de conversion a été très élevé pour cette campagne (4,6), la preuve qu’une simple opération peut se convertir en un grand succès. »
L’application de Bell a également fait parler d’elle. « Là, nous sommes amusés à inviter des personnes afin qu’elle nous parle de leurs expériences de grillades. Tous en convenaient, le grill est un territoire réservé à la gent masculine et le responsable du feu est le chef de la soirée. Un moment de détente où les conversations les plus futiles sont légion. Ayant répertorié quelques perles, l’application permettait de superposer ces dialogues à des événements bien réels et les transformer en une vidéo qui ne demandait qu’à devenir virale. Cerise sur le gâteau : on pouvait griller une saucisse virtuelle simplement en soufflant sur son mobile. « Un grand succès qui nous a permis de mettre en avant cette marque connue uniquement par ses produits. »
Règles du jeu
Est-ce à dire que toutes les marques sont prêtes à entrer dans le jeu du 2.0 ? David Schärer est conscient que, même si les attitudes changent, un grand travail d’explication reste à faire notamment pour que les équipes internes puissent comprendre les metrix des outils web.
Raison pour laquelle son agence n’est pas prête à travailler à toutes les conditions. « Nous n’acceptons de participer à un pitch que s’il est rémunéré. En ce qui concerne la rémunération, nous présentons un budget pour la stratégie et sa conception et non des honoraires. Le choix des médias n’y change rien. A nous d’estimer correctement notre temps de travail et de fixer un prix global. Et que l’on ne vienne pas nous dire qu’Internet est moins cher… le client doit s’habituer à payer pour un résultat. Nous sommes très transparents, nous offrons le plus grand nombre de planneurs stratégiques par agence, toutes nos réalisations sont de qualité mais, il est vrai, nous sortons des sentiers battus. » Point d’orgueil dans ces propos ? Nullement. David Schärer ne cherche pas à se survendre mais à bien orienter les potentiels annonceurs. De quoi limiter les malentendus. Voit-il l’avenir avec plus de sérénité que le reste des agences zurichoises ? « La conjoncture économique est la même pour tous… » A ce jour, sa réelle inquiétude porte plus sur le désintérêt des jeunes pour la publicité. « Il faut redonner envie, sinon nous aurons un sérieux problème de relève. »
Victoria Marchand