Patrick Vallélian, il y a douze ans, vous aviez suscité bien des incompréhensions lorsque vous aviez annoncé votre départ de l’Hebdo pour vous lancer dans une nouvelle aventure éditoriale. Avec le recul, votre démarche s’est avérée payante : aujourd’hui Sept Mook fête ses 10 ans alors que le magazine de Ringier n’existe plus. Quelle avait été votre ou vos motivations pour faire ce pas de côté ?
J’avais été envoyé en tant que reporter à San Francisco et j’avais assisté à la présentation d’une machine capable de rédiger des dépêches de manière autonome. A l’époque, on ne parlait pas d’intelligence artificielle mais c’était bien les prémices de l’IA générative. Cela m’avait vraiment ébranlé et je m’étais fait la réflexion que si tout pouvait être reproduit, le journalisme de terrain ne résisterait pas à l’avalanche synthétique.
Passer d’un statut de journaliste à celui d’éditeur n’allait pas – et ne va toujours pas – de soi, tant ce métier est déconnecté de sa réalité business. Comment avez-vous franchi le pas ?
J’avais été approché par le promoteur Damien Piller qui souhaitait reprendre un média local fribourgeois. Il était alors à la recherche d’un rédacteur en chef. Ce projet ne m’intéressait pas mais j’ai eu l’occasion de lui faire part de ma vision quant à la création d’un support qui serait « web first ». Il m’a soutenu et c’est ainsi que Sept.info est né. Il a fallu tout créer : de la rédaction à l’argumentaire publicitaire. Une démarche entrepreneuriale et créative complète.
Si l’on traduisait ces 10 ans en chiffres ?
Cela donnerait plus de 7’000 pages de mook réalisées, plus de 1,2 million d’exemplaires distribués, une dizaine de prix de journalisme, quatre millions de lecteurs sur papier et sur le web et plus de 1’500 récits inédits sur notre site sept.info
Quel est le positionnement du mook Sept?
Nous avons démarré en proposant des reportages mais très vite, nous avons compris que cette ligne ne nous différenciait pas suffisamment. Après deux ans, nous avons ouvert les pages à la « littérature du réel », une mise en perspective du journalisme qui permet une écriture plus personnelle. On est à mi-chemin entre le documentaire non fictionnel et le romand. Ce qui permet à Sept d’être un espace d’expérimentation pas à uniquement un magazine.
Cette recherche vous a également à lancer de nouveaux formats..
La publication de livres, des bandes dessinées, un prix et des expositions photos, des podcasts, et également le format original du Mook. Nous avions demandé aux étudiants de la HEG-FR de commenter la première maquette. Cette enquête a révélé qu’ils plébiscitaient un format plus carré pouvant être tenu par une seule main, nous avons donc revu le format du titre en cherchant à répondre à cette attente comme à celle de La Poste. Le résultat est ce 19×27 cm désormais caractéristique des mooks.
Quelle est la gouvernance de ce titre ? En d’autres termes, en êtes-vous le propriétaire ?
Non, j’ai la titre de directeur général et de rédacteur en chef mais ce média est la propriété de Daniel Piller. La condition a toujours été que je le gère comme s’il s’agissait de mon titre.
Cela nous amène à parler du business modèle. Daniel Piller est votre mécène fondateur, continue-t-il à vous soutenir?
Cela fait 5 ans que notre média est totalement autosuffisant. Notre revenu est divisé en trois tiers : la publicité et le brand journalisme, le soutien de fondations et canton, les abonnements et ventes en kiosques et librairies. Nous éditions à 7000 exemplaires (certifiés REMP).
Ce modèle est-il pérenne compte tenu de la volatilité de la publicité?
L’économie des médias est totalement instable. Nous devons constamment imaginer de nouvelles sources de revenus et de distribution. Ce n’est plus au public d’aller vers les médias mais bien l’inverse. Cela nous oblige à tester, à nous tromper et au final réussir… sous peine de disparaître.
Que n’avez-vous pas encore essayé ?
Les spectacles de journalisme. J’ai assisté à la prestation du dessinateur Chapatte : c’était très réussi. La preuve que le public s’intéresse au contenu si celui-ci lui est présenté d’une manière qui lui correspond. On ne peut plus se contenter d’un site et d’un support papier, je crois beaucoup en l’audio sous la forme de podcasts ou d’articles lus. Je ne vous cache pas que l’on s’intéresse également au format conférence. Mais avec 7 collaborateurs à plein temps, on doit aussi accepter le principe de réalité! Qui potest plus, potest minus!