Pour la filière radiophonique, l’édition 2016 du SwissRadioDay aura été l’occasion d’annoncer deux bonnes nouvelles : en 2017, le DAB+ succédera aux OUC en Norvège, et le numérique représente désormais 53% de l’audience radio en Suisse. Mais deux autres informations sont venues refroidir l’enthousiasme initial, dont, outre-Rhin, la remise en question récurrente du DAB+. Quant à Hansi Voigt (fondateur de Watson), il pronostique « l’ubérisation de la radio ».
Le Suisse moyen écoute chaque jour la radio pendant 114 minutes environ dont 30,75 minutes sont diffusées sur un récepteur numérique, 30 sur Internet et 53,5 sur les OUC. Représentant 53%, l’utilisation numérique (DAB+ et Internet) dépasse donc pour la première fois la diffusion classique sur les ondes courtes (47%). Ces chiffres sont fournis par la troisième édition de l’enquête commandée par la profession et l’OFCOM à GfK Switzerland et présentée lors du SwissRadioday. En 12 mois, la part de la radio numérique a augmenté de 8%, passant de 45 à 53%. Le DAB+ progresse de 23 à 27%, la radio sur IP de 22 à 26%. La régression des ondes courtes est une bonne nouvelle pour la filière radiophonique qui compte abandonner ce mode de diffusion – onéreux – à l’horizon 2024 au profit du DAB+, meilleur marché et gage d’une plus grande diversité.
Les jeunes auditeurs privilégient la webradio
Mais le travail est loin d’être achevé, les Suisses ayant acheté à ce jour « seulement » 2,6 millions d’appareils DAB+ alors que le pays compte 3,6 millions de foyers. L’étude révèle également que c’est grâce à la Suisse alémanique que le DAB+ devance légèrement la radio sur Internet. En Suisse romande, l’écoute se fait à 28% sur le web alors que le DAB+ ne fidélise que 23% des auditeurs, l’écart étant encore plus sensible au Tessin où ils sont 52% à demeurer fidèles aux ondes courtes. Autre constatation : la webradio est le favori incontesté des jeunes, la part de 40% représentant presque le double de l’audience du DAB+ (22%). Précisons que la majorité des smartphones n’est tout simplement pas compatible DAB+. Autre déception : les conducteurs suisses écoutent certes la radio pendant 14 minutes, mais seulement 2,5 minutes sur DAB+, les ondes courtes se taillant la part du lion (et la radio sur Internet étant quantité négligeable).
DAB+ : la Norvège donne l’exemple
Marius Lillelien, le directeur de la radio publique norvégienne NRK, s’est voulu encourageant : dès l’an prochain, ce pays comptant 5 millions d’habitants sera le premier état européen à passer des ondes courtes au DAB+, ce choix se basant en partie sur les mêmes raisons qu’en Suisse : la diffusion sur OUC coûte plus cher que le DAB+ qui permet par ailleurs de diffuser plus de stations. Argument essentiel : en 1991, les Norvégiens ont dû choisir entre moderniser totalement la diffusion sur OUC (sans oublier l’équipement technique) ou investir dans la radio numérique : celle-ci a finalement remporté les suffrages.
Comme cela a été le cas en Suisse, la NRK et les radios privées ont alors fait front commun et mis sur pied une campagne intitulée « Plus de radio grâce au numérique », l’audience sur OUC reculant ensuite de 75 à 43% entre 2011 et 2015. Les jeunes auditeurs sont également passés au DAB+, l’évolution de la webradio étant par contre insignifiante. Autre conséquence : depuis 2014, tous les appareils vendus sont compatibles DAB+, autoradios compris. Les Norvégiens sont donc parés pour la migration numérique, et l’ensemble des stations nationales cesseront de diffuser sur OUC au 1er janvier 2017, le délai étant fixé à 2022 pour les stations locales.
DAB+ : l’Allemagne freine des quatre fers
Les informations en provenance d’Allemagne, qui est le premier marché européen, étaient moins réjouissantes, même si Boris Lochthofen, le directeur de la station MDR, a évoqué les progrès réalisés par le DAB+ : depuis quelque temps, les stations publiques telles que MDR diffusent aussi leurs programmes par DAB+ et dans certains Länder, les organismes chargés des médias ont inscrit le DAB+ dans les conditions d’octroi des concessions. « Et pourtant, toujours pas de départ en flèche pour le DAB+ », a déclaré M. Lochthofen, car l’essor de la webradio va de pair avec la remise en question récurrente du DAB+, notamment par les publicitaires qui préfèrent la radio numérique sur Internet car, contrairement au DAB+, elle fournit sur les auditeurs des données exploitables. M. Lochthofen en conclut que nul ne sait si le DAB+ saura s’imposer en Allemagne, même s’il en est personnellement convaincu. Les ondes courtes ne risquent en tout cas pas d’être mises au rebut avant 2030. L’Allemagne n’a donc aucune chance de servir d’exemple pour la migration numérique suisse.
Le DAB+ – un leurre ?
En matière de DAB+, Hansi Voigt, fondateur du portail de news Watson et longtemps patron de 20 Minuten Online, préconise lui aussi une certaine prudence : le DAB+ étaye la conviction de certains exploitants de radio, qui sont persuadés qu’il leur permettra de conserver le contrôle de leurs programmes, diffusion et modèle commercial. Ce que M. Voigt considère comme une méprise, car la radio subit une fragmentation qu’il appelle « ubérisation » en référence au service de taxis Uber. Les auditeurs sont friands d’individualisme or, aujourd’hui, bon nombre de radios se contentent de prôner un « compromis généralisé » « sans quitter les sentiers battus », alors que les stations auraient tout intérêt à créer leurs propres communautés. Et d’évoquer à titre d’exemple Radio Energy de Ringier (série de concerts Stars for free) et la station de Suisse orientale FM1 Today, dont les activités radio, TV et portail sont regroupées.
Radios : un avenir incertain
Le RadioDay s’est ouvert sur l’intervention de Roberta Cattaneo. La directrice adjointe de l’Office fédéral de la communication ne s’est pas montrée non plus très optimiste au sujet du DAB+, précisant que même s’il est important de passer des OUC au DAB+, nul ne sait si les auditeurs seront enclins à suivre le mouvement et dans quelles conditions. L’OFCOM est toutefois prêt à aider les radios et à financer la migration numérique à hauteur de 30 millions de francs (issus de la redevance). Cette année, une première tranche a été versée aux stations pour les adaptations techniques et le financement d’une campagne publicitaire en faveur du DAB+ est aussi assuré.[/ASIDE]