Last night in Tokyo
La densité de Tokyo est telle que la ville a su générer un certain nombre de particularités architecturales pour gagner de l’espace. Dans un ouvrage intitulé « Pet Architectures », l’atelier Bow Wow dresse notamment un inventaire des bâtiments minuscules qui s’insinuent dans les interstices de la mégalopole. C’est dans cette logique que le premier capsule-hôtel a été inauguré en 1979. Depuis, ce type d’hôtellerie symbolise ce désir d’exploiter au maximum les potentialités habitables de l’environnement urbain. Pour cette dernière nuit dans la capitale, il était difficile de faire l’impasse sur cette expérience de promiscuité typiquement nippone. Recherche rapide online : l’hôtel Siesta fera l’affaire. Situé à quelques pas de la gare d’Ebisu, le transfert jusqu’à l’aéroport de Narita sera ainsi simplifié. De plus, le nom devrait se détacher facilement au milieu de la forêt d’idéogrammes.
La réception se trouve au deuxième étage d’un bâtiment à l’aménagement ultra fonctionnel. Après avoir retiré mes chaussures comme dans n’importe quel Ryokan, une employée me présente une liste de prix. En regard des rares informations traduites en anglais, on comprend vite que l’endroit n’est pas destiné au tourisme. La nuitée dans une capsule coûte Y 3’300, soit environ 40 CHF, et il faut compter le double pour une chambre simple. Il est également possible de séjourner toute la journée pour un forfait à moitié prix ou juste pour une sieste à Y 500 à l’heure. Ces lieux ne sont pas mixtes et restent le privilège quasi exclusif des salarymen. À savoir, les hommes d’affaires et autres employés de bureau en costumes stricts qui viennent s’y effondrer après des heures supplémentaires ou une soirée entre collègues trop arrosée.
Une fois mes bagages déposés dans une pièce remplie d’armoires métalliques, je me rends dans un dortoir ressemblant à un vaste hall. Un couloir est bordé par deux rangées de petits voyants lumineux rouges et verts discrets indiquant la disponibilité des cabines. On éprouve l’impression d’entrer dans une vaste buanderie obscurcie par une lumière parfaitement tamisée. Bien que la pièce semble plongée dans la pénombre, tout est discernable avec netteté. Quelques bruits de ronflements assourdis amplifient encore l’atmosphère de ce cocon enveloppant. On ne tarde pas à être apaisé par l’équilibre sensoriel produit par ce pays des songes.
Deux marchepieds me permettent de me hisser dans la capsule du caisson où se trouve un yukata, le pyjama traditionnel en coton bleu, parfaitement plié. Un téléviseur, une radio, un réveil, un miroir rectangulaire et des rebords sont moulés dans cet habitacle de plastique dont les courbes et les teintes renvoient immanquablement à 2001, L’Odyssée de l’Espace. Malgré ses dimensions exiguës, la cabine est suffisamment spacieuse pour engendrer un sentiment réconfortant de bien-être exclusif. Une fois le petit rideau rabaissé et allongé, on ne tarde pas à décoller.
7h.30 du matin, après une nuit de sommeil profond, le réveil s’opère dans un affairement organisé et silencieux. Les cheveux ébouriffés et les regards ternes, les membres d’équipage de tous âges sortent un à un de leur caisson. Une fois dans l’ascenseur, une forte odeur de « godaille » offre un contraste saisissant avec les expressions pondérées de ces hommes d’affaires en linge de corps. Les douches parachèvent ce déploiement de commodités efficaces. Linges de bains, brosses à dents avec dentifrice intégré, rasoir jetable, lotion, cotons-tiges, etc. le moindre besoin trouve instantanément sa solution. Ingéniosité, optimisation et discrétion, cette formule de camping urbain hyper fonctionnelle es tparfaitement à l’image de la culture japonaise.
Joël Vacheron