Cette chronique fait partie d’une série d’articles élaborés sur la thématique de la marque, que Cominmag a décidé d’explorer sur plusieurs éditions. Les deux articles suivants, sur la valorisation et la création de marques, sont le fruit d’interviews menées par Anca Draganescu auprès des experts suivants :
-Michel Bertschy Attorney-at-law | Senior Manager | Tax & Legal Services, WIPO Domain Name Panelist, Deloitte SA
-Gavin A. Dickinson, Vice-Président Marketing, Tsquared Consulting Partners SA
-Chantal Koller, Managing Director, Novagraaf Switzerland SA
-Vincent Mani Associé & Account Director chez Buxum communication sàrl
La marque est le point de départ de toute stratégie de marketing, de communication et médias. Raison pour laquelle Cominmag va s’intéresser à ce sujet dans ses prochaines éditions. Voici le premier volet.
Alors que la valorisation de marque, c’est-à-dire l’assignation d’une valeur chiffrée à une marque, peut paraître une tâche complexe, demandant différents angles d’approche – financier, mercatique et juridique, pour ne nommer que les trois axes d’évaluation fixés par la norme ISO 10668:2010 –, c’est toutefois un exercice vital pour les entreprises aujourd’hui. En effet, les marques jouent un rôle essentiel dans la vie d’une entreprise et leurs effets peuvent être ressentis jusque dans les états financiers de cette dernière. D’un certain point de vue, une marque vaut ce qu’elle apporte à l’entreprise en termes de revenus et de profits. Mais une marque est également une expression d’identité : elle aide l’entreprise à se distinguer de la concurrence. D’ailleurs, une mauvaise protection contre le vol d’identité nous mène droit sur le terrain juridique. En d’autres termes, la marque ne représente pas seulement les avantages qu’elle apporte à l’entreprise, mais également les pertes et ennuis qu’elle permet de lui éviter. Enfin, étant donné la relation émotionnelle qui se tisse le plus souvent entre une marque et les consommateurs, sa valeur réside dans sa capacité à attirer et fidéliser ces derniers et à booster le développement et la croissance de l’entreprise.
Il est important de garder à l’esprit que les biens immatériels – dont les marques – constituent à l’heure actuelle plus de la moitié de la valeur des entreprises dans le monde. Il est donc intéressant pour les créatifs et autres professionnels impliqués dans la création de marques de se pencher une minute sur la manière dont ceux qui évaluent ces dernières réfléchissent, et de saisir comment des aspects financiers, mercatiques et juridiques impactent la valeur des marques qu’ils créent. Dans les interviews qui suivent, nous avons demandé à des experts de ces trois axes de se prononcer.
1. Lorsque vous regardez une marque, dans une perspective de valorisation d’un point de vue financier / mercatique / juridique, quels sont les principaux composants sur lesquels vous centrez votre regard et analyse ? En d’autres termes, qu’est-ce qu’une marque de votre point de vue spécifique ?
Il faut examiner le caractère distinctif de la marque. En quoi se distingue-t-elle des autres marques pour des produits semblables ? Est-ce que, par exemple, le consommateur lie la marque à un produit ou une ligne de produits spécifiques ? Lorsque c’est le cas, alors on peut estimer que la marque est une réelle plus-value financière, qui permettrait d’augmenter le prix de vente de la société dans une perspective de sortie du capital de l’entrepreneur.
D’un point de vue mercatique, les marques doivent s’intégrer dans une stratégie globale d’entreprise, avec pour point focal la contribution qu’elles apporteront au développement et à la croissance de cette dernière. Pour un marqueteur, la valeur d’une marque est ainsi liée à son efficacité à générer des revenus et profits au présent, ainsi que son potentiel à continuer de le faire à l’avenir.
Finalement, il faut savoir qu’en droit, beaucoup de choses différentes peuvent être protégées à titre de marque : les éléments verbaux ou figuratifs, bien entendu, tels que le nom ou le logo d’une entreprise ou de ses produits et services, mais également un mix des deux, une couleur particulière, un mouvement, ou encore éventuellement un jingle, un hologramme, ou une marque de position. Ensuite, il est important que cette marque s’intègre dans une stratégie de protection efficace, en lien avec la stratégie commerciale globale de l’entreprise. Enfin, il ne suffit pas de considérer ce qui peut être protégé à titre de marque, il faut également prendre en compte dans quels pays protéger cette marque, les types d’activités protégés par la marque et à quel moment de l’évolution commerciale de l’entreprise les différentes étapes de protection sont abordées.
2. Comment évaluez-vous ou quantifiez-vous la valeur d’une marque ?
Du point de vue juridique, les marques font partie des actifs immobilisés selon l’art. 959a al. 1 ch. 2 let. d du Code des obligations. Elles doivent donc figurer au bilan de l’entreprise. L’évaluation doit demeurer prudente (art. 958c al. 1 ch. 5, art. 960 al. 2 CO). D’une manière générale, un actif est évalué, lors de sa première comptabilisation, au plus à son coût d’acquisition ou à son coût de revient (art. 960a al. 1 CO). Lors de ses évaluations subséquentes, la valeur de l’actif ne peut être supérieure à son coût d’acquisition ou à son coût de revient (art. 960a al. 2 CO). C’est cependant le lieu de mentionner que la valeur d’une marque au bilan d’une société n’équivaut pas son prix éventuel de vente. Pour citer Warren Buffet : « Price is what you pay, value is what you get ». Il faut donc distinguer entre la valeur comptable et le prix auquel vous pourriez vendre la marque. De plus, si une entreprise a acquis une marque d’une entreprise tierce, alors c’est le prix qu’elle aura payé qui sera équivalent au coût d’acquisition (art. 960a al. 2 CO).
Les méthodes utilisées par les marqueteurs pour quantifier la valeur d’une marque s’alignent de près sur les préoccupations de la direction en ce qui concerne le développement et la croissance de l’entreprise. Donc, en général, les marqueteurs mesurent la valeur d’une marque de la même manière que le ferait leur direction : en utilisant de simples métriques financiers clés. En effet, peu d’entreprises sont suffisamment équipées pour évaluer la valeur de leurs marques en tenant compte de l’expérience des consommateurs. Prenez, par exemple, un imperméable (un produit hautement fonctionnel) : une approche serait de mesurer la valeur de sa marque en analysant comment un changement d’image impacterait des métriques plus « soft », tels que les connexions émotionnelles de la marque avec les consommateurs. Ces métriques peuvent être suivis à travers le temps avec pour objectif d’atteindre une image de marque précise (stratégique) et une communication bien définie. C’est ce qui permettra de continuellement améliorer l’image de la marque en lien avec les aspirations des consommateurs. Ceci dit, l’utilisation de ces métriques conduira en fin de compte au même résultat : améliorer la valeur de la marque au présent et au futur, et, en fin de compte, la mesure finale de cette valeur se fera tout de même sur la base des revenus et des profits que la marque génère.
3. Comment expliqueriez-vous à un CEO l’importance pour son entreprise de quelque chose d’aussi volatile et intangible qu’une marque ? Comment justifiez-vous d’assigner une valeur à quelque chose qui semble si évasif et difficile à paramétrer ?
Une marque doit permettre au consommateur/client d’identifier immédiatement un produit ou une ligne de produits et leurs qualités. Il faut donc travailler tant sur la renommée (marketing) que sur la qualité des produits. C’est ainsi qu’on ajoute à la valeur proprement dite de la marque un « goodwill » permettant d’augmenter le prix éventuel de la vente de l’entreprise ou des actions.
Je ne dirais pas qu’une marque ou sa valeur soient en quoi que ce soit élusifs ! La valeur intrinsèque d’une marque est constituée par son potentiel à générer des revenus et des profits pour l’entreprise, actuellement et dans l’avenir. Le problème se situe plutôt au niveau des stratégies déployées afin que la marque « tienne ses promesses » par rapport à différents métriques, tels que son positionnement sur le marché, son « equity », la manière dont elle interagit et communique avec les consommateurs, la manière dont elle tire avantage de tendances clés (macro et micro, etc.) et ce, afin de maximiser des revenus et une rentabilité durables.
Une marque dont l’aspect juridique est bien verrouillé confère une protection indéniable à l’entreprise contre le vol d’identité, le parasitisme ou encore la contrefaçon. Il faut aussi considérer les pertes engendrées par l’entreprise forcée à procéder à un rebranding complet, soit parce que sa marque a été attaquée par un tiers, soit parce qu’elle lui a été volée et qu’elle n’a pas de moyen de se défendre. A mentionner également qu’au vu des liens émotionnels qui se tissent entre les consommateurs et une marque, un rebranding complet peut également conduire à la perte d’une partie des consommateurs.
4. Comment, concrètement, peut-on tirer des revenus de nos marques ?
A la base, pour pouvoir tirer des revenus d’une marque, il faut absolument s’assurer que cette dernière est bien protégée juridiquement. En d’autres termes, on ne peut pas tirer de revenus de ce qui ne nous appartient pas, de même que l’on ne peut tirer de loyers d’un immeuble qui n’est pas le nôtre. Il existe différents moyens juridiques pour tirer des revenus d’une marque. La licence et la franchise en sont de bons exemples. Les sociétés de production l’ont d’ailleurs bien compris. Les titulaires des marques The Voice ou encore Danse avec les stars détiennent des droits à travers le monde, non seulement pour les shows télévisés, mais également pour tous les produits dérivés. Ils en tirent des royalties conséquents, qui font vivre leurs entreprises respectives. Il est en outre très intéressant de constater que la marque est le seul moyen de protéger le concept de ces émissions. En effet, un concept n’est en soi pas protégeable ; par contre, sa marque l’est et tout le concept derrière l’émission passe donc par cette dernière.
Michel Bertschy Attorney-at-law | Senior Manager | Tax & Legal Services, WIPO Domain Name Panelist, Deloitte SA
Gavin A. Dickinson, Vice-Président Marketing, Tsquared Consulting Partners SA
Chantal Koller, Managing Director, Novagraaf Switzerland SA
Interview de Vincent Mani, Associé & Account Director chez Buxum communication sàrl par Anca Draganescu
La perception actuelle de ce qu’est un « brand » pourrait être décrite ainsi : une interaction dynamique entre, d’un côté, les produits et les services d’une entreprise, et, de l’autre, les consommateurs. Sous-jacents à cette dynamique, on retrouve les marques verbales et logos qui ont pour but d’attirer les consommateurs. Quelles sont les étapes dans le développement d’une marque ou d’un logo ?
Avant d’être un « ressenti », la marque est constituée d’un axe beaucoup plus terre-à-terre : un nom et un logo – deux éléments et processus créatifs distincts, qui doivent toutefois former un ensemble cohérent entre eux et avec le rôle de la marque. Leur rôle à eux est justement d’exprimer l’essence de l’activité de l’entreprise, d’en permettre l’identification, de la communiquer et de la protéger au mieux. En deux mots, la marque est la concentration stratégique et conceptuelle de l’entreprise et/ou de ses produits.
Afin de créer une marque, la première étape est le « naming ». Si la marque est en général composée d’un ensemble de signes, le nom en est l’élément le plus pérenne. La marque verbale se compose ainsi d’une multitude d’éléments : un nom, une baseline, éventuellement un slogan, un discours de marque, etc. – pour n’en citer que quelques-uns.
Mais comment crée-t-on cette marque ? Il faut d’abord se fonder sur un plan marketing solide, ainsi que surun positionnement clair et distinctif qui permettra aux spécialistes de comprendre le marché, ses attentes et, surtout, les prédispositions du client.
Le processus de création d’une marque peut ensuite se mettre en marche. Après avoir fait bouillonner les cerveaux, les noms retenus passent à la moulinette du « check » linguistique et sémantique. Comment à ce stade ne pas relever quelques échecs mémorables, tels qu’ULTRACON pour un produit pharmaceutique allemand destiné notamment aux marchés francophones ! Last but not least, la sélection finale de noms est soumise à une vérification juridique, afin d’obtenir le graal : le feu vert qui permettra de passer en processus créatif de marque visuelle.
D’un point de vue « naming » et « design », quels sont, selon vous, les principaux défis que doit relever la création d’une marque à l’heure actuelle ?
Avant de se lancer dans le processus de création de marque, il est crucial de maîtriser les subtilités du marché auquel la marque va s’adresser : les consommateurs, bien sûr, mais aussi le réseau de distribution, la communication, etc. sans oublier la concurrence. Le moindre faux pas, en amont d’un lancement de marque, peut se payer cher sur le terrain. Il peut, par exemple, être plus qu’enrichissant et formateur de passer par un panel de consommateurs afin de tester et éprouver la marque. Les retours obtenus permettront ainsi de peaufiner les derniers détails avant le grand lancement. Autre difficulté, plus de 10’000 noms de marques sont déposés chaque jour dans le monde… A nous de gérer et de « faire avec » cet embouteillage…
Les médias sociaux occupent aujourd’hui une place prédominante dans le domaine du marketing. Comment déployez-vous une nouvelle marque sur les plateformes de média sociaux et comment vous assurez-vous qu’elle prospère sur ce terrain ?
A l’ère du « tout digital » et de l’horizontalisation de la relation marque/consommateur, les médias sociaux sont devenus un enjeu évident pour le développement d’une marque. Ces derniers ne doivent pas être traités comme une particularité, mais bien comme une extension de la stratégie marketing globale de la marque. Avant de faire le grand saut, l’important est de définir quelle utilisation va être faite des différentes présences sociales, de juger de la pertinence de telle ou telle plateforme, et de définir une ligne éditoriale complétée ou non par une stratégie publicitaire. Une fois « online », l’enjeu est la relation avec la communauté. Elle doit être sincère, transparente et surtout alignée avec le reste de la communication.[/ASIDE]