Zak Kyes, de nationalité suisse et américaine, et le Français Grégory Ambos ont collaboré ensemble quelques années avant le lancement officiel de Zak Group en 2012. A peine trentenaires, ils sont à l’image des jeunes studios londoniens qui profitent de la visibilité et du cosmopolitisme de la ville pour se doter d’un portfolio de clients internationaux. Très actifs dans le domaine du design éditorial et de l’architecture, leur langage épuré séduit un spectre toujours plus vaste d’institutions publiques et privées.
Quelle est l’origine de Zak Group ?
Nous nous sommes rencontrés et avons commencé à travailler ensemble à Londres vers le milieu des années 2000. Au fil des années, l’équipe s’est élargie et nous sommes actuellement cinq personnes. Zak Kyes occupe toujours le poste de directeur artistique à l’Architectural Association, qui est la plus ancienne école d’architecture de Grande-Bretagne. Il supervise les nombreuses publications de l’école et met régulièrement sur pied des expositions. Grégory Ambos, quant à lui, a travaillé sur divers projets éditoriaux, notamment en tant que directeur artistique de Colors Magazine.
Dans quelle mesure Londres a-t-il été déterminant dans votre approche ?
Londres jouit d’une visibilité internationale et cela a d’emblée été très important pour nous aider à démarcher des clients sans nous soucier des barrières linguistiques ou culturelles. Nous voyageons régulièrement aux quatre coins du monde pour suivre nos projets, pour donner des conférences ou enseigner. Notre équipe est également très cosmopolite et nous nous efforçons au maximum de laisser transparaître cette sensibilité au travers de nos projets. De plus, il existe peu d’endroits qui offrent une aussi grande richesse de ressources et d’idées : Londres génère un climat extrêmement dynamique.
Quelles ont été les expériences fondatrices de votre collaboration ?
Nous avons eu la chance de bénéficier de nombreuses expériences enrichissantes. Nous avons notamment eu la possibilité de travailler avec David Greene, qui est un membre fondateur du collectif Archigram. Il nous mettait souvent en garde contre « l’industrie des formes », en visant en particulier cette priorité donnée aux objets finis. Selon lui, il faut toujours privilégier des solutions temporaires et modifiables qui peuvent être perfectionnées ou démontées plus tard. Cette posture a été très influente dans notre manière d’envisager notre studio.
Quels sont vos domaines d’expertise et comment vous positionnez-vous ?
Identité visuelle, direction artistique, design éditorial ou scénographie, notre spectre d’activités est large et nous travaillons aussi bien pour des clients commerciaux établis que pour des projets ou des institutions culturelles plus indépendantes. Nous cherchons continuellement à élargir le champ de ce que recouvre l’idée de « Design graphique », en particulier en insistant sur le fait qu’il s’agit avant tout d’un travail collaboratif entre des individus. C’est en partie ce que nous avons cherché à mettre en exergue en insistant sur l’idée de « group ». Architectes, programmeurs, techniciens, éditeurs, curateurs, nous mettons toujours en place des collaborations en fonction des mandats et ce groupe plus large est indispensable à la réalisation de nos projets. Cette idée de travail en réseau est centrale dans notre approche. De plus, nous nous intéressons à comprendre les liens qui se tissent entre des codes graphiques et culturels. Nous sommes curieux de découvrir leurs origines et leur évolution dans le temps, car, selon nous, la création de formes est indissociable de la culture dans laquelle elle s’inscrit. Cette vision englobante est adoptée aussi bien par les collaborateurs de notre studio que par les différentes personnes qui gravitent dans notre groupe. En nous impliquant dans chaque étape du processus créatif, nous évitons de faire simplement du « packaging ».
Votre approche est très épurée, est-ce que cela répond à un choix conceptuel ?
Pas vraiment… Même si nous nous servons souvent du caractère direct offert par le langage verbal comme matière première, notre travail est tout d’abord guidé par des situations. Du coup, il peut prendre des formes extrêmement diverses. Notre essayons toujours de créer un dialogue entre des données contextuelles et des contenus, en évitant le plus possible de nous laisser guider par nos goûts personnels. En quelque sorte, nous faisons nôtre la formule professée par Marcel Duchamp selon laquelle nous nous forçons à nous contredire pour éviter de nous conformer à nos propres goûts.
Vous êtes souvent impliqués très tôt dans vos projets. Est-ce un choix volontaire ?
Effectivement, il nous arrive souvent que nos commissions débutent tout au début d’un projet, quelquefois même au niveau du brief ou de l’appel d’offres. Dans ce cas, nous endossons facilement le rôle d’interlocuteurs. Cette connaissance nous permet de développer un dialogue plus transparent et direct durant les différentes étapes du projet. Cela nous permet de nous familiariser avec les valeurs d’une société ou d’une institution culturelle. Nous nous sentons en général plus à l’aise avec les projets dans lesquels nous sommes impliqués dès les phases initiales. C’est, par exemple, ce type de collaboration que nous sommes en train de développer pour la nouvelle identité de la Graham Foundation for Advanced Studies ou pour le Fridericianum Museum de Kassel.
C’était le cas par exemple pour l’identité visuelle réalisée pour la dernière édition de la triennale d’Architecture de Lisbonne. Pouvez-vous revenir sur le contexte particulier à l’origine de ce projet particulièrement original ?
Nous avons été invités, dès la phase de planification, par la commissaire Beatrice Galillee afin de concevoir la communication de la dernière triennale d’architecture de Lisbonne. Le thème de cette troisième édition était intitulé Close, Closer. Cette invitation est tombée quelque mois avant la sévère crise qui a touché le Portugal et le climat était largement dominé par des manifestations et divers signes de protestations. Étant donné que nous étions déjà impliqués depuis près de deux ans dans ce projet, nous avons eu la chance de pouvoir construire et adapter l’identité de l’événement en fonction des décisions prises par les organisateurs de la triennale en regard des contraintes budgétaires et des aléas politiques. Dans ce contexte, nous avons décidé de donner une voix au public, en invitant les visiteurs potentiels à devenir une force participative dans la création de l’identité visuelle. C’est pourquoi nous avons développé une plateforme, sous la forme d’un site Internet, à partir de laquelle les usagers pouvaient répondre à des séries de questions posées par les commissaires d’expositions. Ces questions touchaient au climat économique ambiant et invitaient les internautes à proposer des solutions ou à soumettre leur avis. Il en a résulté un site dans lequel étaient arrangés plusieurs milliers de réponses dans des langues diverses. Au lieu d’avoir un simple logo, ces arguments ont participé à définir l’identité visuelle « crowdsourcée » de cette triennale.
De manière générale, vous disposez d’une forte présence en ligne. Comment vous positionnez-vous par rapport à cette dimension numérique ?
Nous faisons partie de cette génération qui a grandi avec Internet et, par conséquent, son impact sur la discipline nous est moins perceptible. Elle fait partie de nos manières d’être, qui sont indissociables de ce rapport avec les technologies. D’un point de vue pratique, et étant donné que notre travail est principalement conduit avec des clients ou des collaborateurs internationaux, Internet est devenu un outil crucial pour faciliter nos échanges et notre mobilité.
Pouvez-vous présenter le projet que vous avez réalisé cette année pour la Biennale de Berlin ?
Zak Group a été nommé directeur artistique de la 8e Biennale de Berlin par le commissaire Juan A. Gaitán, dès la phase initiale du festival. Notre rôle était de réfléchir à l’élaboration de formats qui ne soient pas strictement thématiques, mais qui soient susceptibles d’ouvrir sur des perspectives historiques plus larges. L’idée de « raconter » l’identité de la Berlinale à travers le langage et l’écriture découlait de notre volonté de questionner l’homogénéité des discours visuels de ce type d’événements. Parallèlement, nous cherchions à détourner cette même identité pour qu’elle devienne elle-même une plateforme créative. Nous avons proposé deux signes typographiques très simples qui fonctionnent comme une parenthèse. Lorsqu’ils sont fermés, ils forment un 8, renvoyant à la 8e édition. Lorsqu’ils sont ouverts, ils permettent de mettre entre parenthèses des textes concis rédigés par l’artiste Agatha Gothe-Snape. Les parenthèses jouaient en quelque sorte la fonction de petits canevas pour ses œuvres verbales. Pour ce projet, nous avons également travaillé dès le début avec le typographe Radim Peško, qui a conçu une police de caractère originale pour cette édition.
Quelle est votre vision du design graphique ?
Nous concevons le graphisme comme un outil à partir duquel il est possible de produire de la connaissance. Nous nous positionnons toujours entre différentes disciplines et nous envisageons notre rôle de designer avant tout comme celui d’intermédiaire ou de médiateur entre des univers distincts. Le design graphique offre une situation privilégiée pour jouer ce rôle, parce que cela nous permet de donner littéralement une forme à certaines conceptions de l’art et de la société.