Contraction de «hacking» (une résolution rapide de problèmes techniques) et «marathon», les hackathons trouvent leur origine dans le mouvement hacker des années 1950. Né d’une volonté d’utiliser les technologies comme leviers de transformation sociale pacifiste, celui-ci a durablement influencé les pratiques numériques.«Historiquement, les hackathons rassemblaient des développeurs et développeuses informatiques passionnés travaillant ensemble pour résoudre des défis logiciels complexes en 24 à 48 h», explique Thomas Maillart, maître d’enseignement et de recherche à la Geneva school of economics and management (GSEM) de l’UNIGE. Aujourd’hui, ces événements décentralisés permettent de mobiliser des individus de tous horizons autour de projets dans de nombreux domaines, redéfinissant la manière de les aborder et de les concrétiser.
De récents travaux menés par ce dernier avec la Bibliothèque de l’ONU à Genève, en collaboration avec des équipes de la Haute école spécialisée de Berne, de la MBS School of Business de Montpellier, de l’Université technique d’Eindhoven et de l’Université Carnegie Mellon de Pittsburgh, plaident en faveur de ces processus. D’une part, pour aligner les efforts globaux autour des ODD, notamment grâce au développement numérique. D’autre part, pour construire le multilatéralisme du futur. Cette forme de coopération, entre plus de deux États, est en effet fragilisée par les changements sociétaux liés au numérique, à l’influence croissante des acteurs et actrices de l’économie privée et à l’émergence des défis de dimension globale.
Plus de 5000 hackathons analysés
Pour soutenir ce plaidoyer, les scientifiques se sont appuyés sur l’analyse des données issues de deux plateformes: Devpost, dédiée aux hackathons, et GitHub, utilisée pour le développement de code informatique open source. Les données contenaient 5456 hackathons distincts, 184 652 projets, 290 795 participant-es et plus de 3,3 millions d’événements de développement logiciel.
Parmi eux, 1320 hackathons étaient liés à au moins un des 17 Objectifs de développement durable (ODD). Environ 30 % des hackathons étudiés montrent une forte corrélation avec les ODD, témoignant de leur orientation claire vers des problématiques globales. Certains objectifs, comme l’énergie propre et abordable (objectif 7 des ODD), suscitent des engagements particulièrement intenses. En outre, ces événements attirent en moyenne 72,6% de nouvelles personnes, assurant un renouvellement constant des communautés – et donc des savoirs – tout en générant des solutions concrètes et durables dans le temps.
Une ressource pour les organisations internationales
De ces observations, l’équipe de recherche a élaboré une théorie: «la diplomatie computationnelle». Selon elle, les moments d’innovation intense, comme ceux générés par les hackathons, renforcent l’engagement communautaire à long terme, notamment pour les thématiques liées aux ODD.
«Les humains doivent évoluer, conscientiser leur appartenance écosystemique à la planète pour atteindre le niveau d’engagement nécessaire, et ainsi être en mesure de relever les défis du monde actuel, comme le bouleversement climatique, sans passer exclusivement par les États», explique Francesco Pisano, directeur de la Bibliothèque et Archives des Nations Unies à Genève et coauteur de l’étude. «Les hackathons, en tant qu’outils participatifs, représentent une piste prometteuse pour renforcer la transparence, l’inclusivité et l’engagement collectif dans la gouvernance mondiale à l’ère numérique». Ils constituent également une précieuse ressource pour les organisations internationales, qui doivent se réinventer pour innover et engager les citoyen-nes sur le long terme.
Thomas Maillart souligne toutefois l’importance de poursuivre les recherches pour mieux comprendre l’impact des solutions issues des hackathons, et les mécanismes neurobiologiques favorisant l’émergence de l’intelligence collective et la motivation intrinsèque, c’est à dire le plaisir de construire une vision collective du futur. «En explorant l’interface entre neurosciences, intelligence collective et psychologie, nous pourrions optimiser ces processus participatifs pour répondre aux défis complexes du XXIe siècle, tout en esquissant les contours d’un multilatéralisme du futur porté par les citoyennes et citoyens».