Brandformance, sérieux?

Chronique rédigée par Gilles Dumont, Creative Strategist & Parner, Creatives
L’autre jour, je parcours les slides d’un reporting média quand soudain je l’aperçois. Mon sang ne fait qu’un tour. Le dernier buzzword du moment, voué à disparaître aussi vite qu’il est apparu. (NDLR: le mot buzzword est-il toujours un buzzword?)
B R A N D F O R M A N C E
Saluons d’emblée la finesse d’un néologisme à première vue séduisant qui prétend marier le branding et la performance en une seule stratégie tout-en-un. Sauf que là, c’est pas du tout-en-un, c’est du tout-au-rien.
Une stratégie NE peut PAS être tout-en-un
Piloter une stratégie c’est choisir, et choisir c’est renoncer.
Un ramassis de 200 slides alignées par un consultant payé à la slide, ce n’est pas une stratégie (mais c’est bankable). Et mixer Branding et Performance dans un même blender, c’est comme associer Deadpool et Wolverine dans un même film: un festival de blagues recyclées et de bastons en CGI, où Deadpool cabotine pendant que Wolverine encaisse son chèque.
De même, on n’active pas la même stratégie pour bâtir une marque que pour la faire performer. Je recommande à ce propos les travaux de Binet&Field, qui ont creusé la question dans une étude salvatrice distinguant sales activation (= short term sales uplifts) de brand building (= long term brand growth).
Un peu de théorie
Pour paraphraser Ren Jones, si la vente c’est rencarder quelqu’un, le branding est la raison pour laquelle cette personne dira OUI. Comment articuler correctement ces deux outils?
En les utilisant pour leur fonction, selon l’objectif poursuivi: imprimer la marque dans l’esprit de quiconque pourrait un jour s’intéresser au marché qu’elle partage avec ses concurrents, via des contenus qui connectent son offre à des aspirations humaines plus larges (= brand building), provoquer une action immédiate auprès de consommateurs susceptibles d’y répondre de suite (= brand activation)
Ainsi, ces deux opérations fonctionnent de manière très différente, avec des implications pour les marques et celleux qui les gèrent.
T’as capté?
Dans la grande majorité des cas, les marques devraient allouer plus de la moitié de leur budget au brand building. Dans la réalité, c’est plutôt rare à observer. À trop se concentrer sur des actions commerciales à court terme, les marques trop pressées se trompent d’équilibre. Busy is the new stupid (wesh, celle-là elle est de moi).
On l’aura compris, tenter de fusionner branding et performance en une stratégie universelle revient à nier l’essence même de ce qu’est une stratégie: opérer des choix tranchés.
J’affirme donc haut et fort que la brandformance est une chimère linguistique qui tente de nous envoûter dans une vaste jargonnade (moi aussi je peux inventer des mots). Comme l’a si bien dit Ogilvy: Our business is infested with idiots who try to impress by using pretentious jargon.
Dans un métier qui se vit – et sévit – à mille à l’heure, succomber aux sirènes des buzzwords c’est risquer de diluer l’efficacité et le potentiel d’une marque.
Aujourd’hui, la plupart des reportings ne sont plus composés d’allégories choisies mais d’allégations chiffrées. Le chiffre donne raison: les mesures, même démesurées, ne se trompent pas. Ce qui est souvent vrai, pour autant qu’on ne fasse pas parler les reportings à tort et à travers, en oubliant de questionner réellement les chiffres.
Un ange passe, à côté du sujet
Dans une société en perte de repères et une profession de plus en plus complexe, si le chiffre est une vérité qui rassure, j’ai parfois le sentiment que les datas limitent celui ou celle qui ne sait pas les employer à bon escient, s’enfermant dans un combinaison magique de 3 statistiques qu’il ressassera en boucle devant un client ébahi par tant de transparence, sans pour autant savoir que faire de ces précieuses données.
Cette approche, couplée à des stratégies court-termistes, deux ou trois costkillers et un rayon d’expertises aussi décorrélées que pléthoriques, peinera à faire décoller une marque sur le long terme.
Et si on comptait les impressionnés au lieu des impressions?