Où sont mes rêves d’enfant ?
Durant notre passage sur cette terre, et déjà auparavant, quand d’autres êtres nous imaginent, et peut-être après, quand nous restons dans quelques souvenirs, nous sommes inscrits dans mille et une histoires qui nous échappent peu ou prou. Tolstoï philosophe pendant des pages entières de Guerre et Paix sur le hiatus existant entre la liberté individuelle, qui fait que chacun « sent de tout son être qu’il peut à chaque instant accomplir ou ne pas accomplir tel acte », et l’appartenance de tout un chacun, et jusqu’au plus puissant souverain, à l’Histoire. « L’homme consciemment vit pour soi, mais il sert inconsciemment d’instrument à des fi ns historiques et sociales ». Je plonge dans Tolstoï à la recherche de cette citation et voilà que je croise des tentatives de mises au point de l’écrivain sur la vérité, celle de l’historien, celle de l’artiste, celle des documents.
La liberté, la vérité. Deux concepts qui ont noirci les pages des journaux ces dernières semaines. Parce que Spielberg et d’autres se sont emparés de l’Histoire récente, parce qu’un dessinateur de presse a caricaturé celui qui, paraît-il, avait le plus doux des visages et que pourtant, par crainte d’idolâtrie, il est interdit de représenter. Parce que des masses ont manifesté, visiblement plus manipulées que conscientes de l’Histoire sanglante à laquelle elles participaient.
Mahomet au VIIe siècle, Napoléon au XIXe, le Mossad et les intégristes de tout bord, les dessinateurs de presse et Spielberg aux XXe et XXIe… Tous ont à la fois fait l’Histoire et appartenu à l’Histoire. Mais quelle conscience les uns et les autres ont-ils eu de ce rôle de sujet/objet ? Comment ont-ils envisagé leur responsabilité ? Quand j’étais gamine, je rêvais, grâce à une formule magique publiée dans le Magirama des Castors juniors, grimoire des éditions Walt Disney, de causer avec Vercingétorix pour lui poser ce genre de questions. Adolescente, quand j’ai décidé de devenir journaliste, je pensais qu’on pouvait déstabiliser le régime dictatorial argentin avec une bonne interview de Videla pleine de questions sur sa responsabilité de gouvernant. Il me semblait que c’était de la responsabilité d’un journaliste que d’agir ainsi. Aujourd’hui, je ne vais pas faire mon examen de conscience dans cette chronique. Mais il est vrai que je me demande un peu où en sont mes rêves d’enfant. Et je me dis que l’actualité politique et culturelle de ce début d’année a aussi dû susciter quelques réfl exions chez mes confrères. Et pas que chez les dessinateurs de presse, mais peut-être même jusqu’aux éditeurs de journaux ? La liberté, la vérité, la responsabilité…
On en parle ?