Coût marginal zéro
Il faut avoir envie de lire le dernier livre de Jeremy Rifkin. Il est vrai qu’avec ses 510 pages, sa couverture qui fleure bon le Getty Images et son titre à rallonge « La nouvelle société du coût marginal zéro, l’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme », il va en effrayer plus d’un. Et pourtant, j’en suis certain, vous le lirez.
Peut-être parce que d’autres autour de vous l’auront déjà lu et que vous ne voudrez pas passer pour un inculte dans les dîners en ville. Peut-être aussi parce que vous connaissez déjà Rifkin (La Fin du travail, l’Age de l’accès, entre autres) et que vous savez combien la lecture de ses travaux est passionnante, stimulante. Selon Rifkin, nous sommes en train de vivre la fin d’une époque et le début d’une nouvelle où tous les espoirs sont permis. Le déclin, c’est celui du capitalisme, modèle qui a régné sans partage sur les derniers siècles et dont l’efficacité est ironiquement en train de causer la perte. Avec Internet, les gains de productivité sont en effet devenus si importants qu’ils rendent quasiment nul le coût marginal de production des biens qui deviennent virtuellement gratuits et abondants. Cela ne concerne pas que les biens immatériels mais aussi les industries traditionnelles. Or le capitalisme a besoin de faire des bénéfices pour prospérer.
Dans le même temps, Internet fait apparaître des révolutions convergentes dans les communications, l’énergie et les transports. Or l’histoire nous montre que toutes les grandes mutations technologiques se sont produites chaque fois que ces trois secteurs connaissaient des changements radicaux (presse à vapeur, charbon et locomotive au XIXème siècle, téléphone, pétrole et voiture au XXe par exemple). Nous assistons donc, à côté du capitalisme, à la montée de ce que Rifkin appelle les communaux collaboratifs, c’est-à-dire de nouvelles formes d’organisation sociale fondées sur l’intérêt de la communauté plutôt que sur la seule satisfaction des désirs individuels. Si ce terme vous semble un peu barbare, songez à BlaBlaCar ou Airbnb pour comprendre ce dont il s’agit. Dans cette nouvelle économie qui voit le jour, les réseaux sociaux, l’innovation et la culture du partage jouent un rôle essentiel.
Le capital financier cède le pas au capital social, l’échange est la nouvelle monnaie, on jette moins, on reconditionne, on recycle, on apprend à produire sa propre énergie (les fameux « prosumers » à la fois producteurs et consommateurs). Même la possession qui a longtemps été le rêve de tous s’efface au profit de l’utilisation, de la jouissance des biens. Les exemples abondent dans des secteurs comme la téléphonie ou l’automobile où l’on préfère louer des smartphones ou des voitures que l’on renouvelle régulièrement pour des modèles plus performants. Evidemment, c’est le cas depuis longtemps dans la musique où l’on écoute à volonté sur des sites comme Deezer ou Spotify des Cds qu’on ne possède plus. Cette révolution passe aussi par des capteurs qui enregistrent tous les instants de notre vie et génèrent des milliards de données. Cela créé un réseau gigantesque, à l’échelle de la planète, qui est pour l’instant neutre et ouvert. Tout l’enjeu est qu’il le reste et que chacun puisse garder le contrôle sur les données le concernant. Rifkin appelle les internautes à la vigilance mais, en tant que conseiller des grands de ce monde, on peut lui faire confiance pour faire du lobbying en faveur d’un Internet accessible à tous et protégé des appétits des câblo-opérateurs et autres multinationales.
[ASIDE]Qui est Jeremy Rifkin ?
Essayiste américain formé à la Wharton School de l’université de Pennsylvanie, c’est un spécialiste de prospective (économique et scientifique). Son travail a surtout porté sur l’exploration des potentialités scientifiques et techniques nouvelles, sur leurs impacts en termes sociétaux, environnementaux et socioéconomiques. Il est souvent présenté comme le principal architecte de la Troisième Révolution industrielle, présentée dans l’un de ses ouvrages comme permettant de répondre à long terme au triple défi d’une crise économique mondiale, de la sécurité énergétique et du changement climatique. Cette Troisième Révolution industrielle rendue possible par Internet a été officiellement approuvée par le Parlement européen en 2007. [/ASIDE]
« La nouvelle société du coût maginal zéro », par Jérémy Rifkin, édition LLL