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Interview de Frank Bodin : Quelles sont les leçons du Brand Indicator Switzerland 2023 ?

Ancien CEO d’Havas Suisse, Président du conseil d’administration furrerhugi.holding ag, consultant, Frank Bodin a contribué à l’étude Brand Indicator Switzerland. Cominmag s’est entretenu avec lui :

Frank Bodin que doit-on retenir des résultats 2023 ?
Que les marques sont soucieuses de leur image. Ce n’est pas nouveau mais le changement de comportement des consommateurs, les clivages intergénérationnels sont tels que pouvoir disposer d’un tel baromètre est essentiel.

En regardant les résultats, ce qui frappe au premier regard c’est que l’élément « suisse » n’est plus prédominant. Est-ce grave ?
La consommation s’est globalisée, c’est l’usage qui crée la proximité. L’origine d’une marque peut jouer le rôle dans le cas d’un boycott sinon non. Où pas encore, car les questions de durabilité ne sont pas cette année en tête des préoccupations des Suisses. La crise économique fait primer le porte-monnaie avant les concepts altruistes.

Dans cette étude vous analysez les comportements de la population, des 16-29 ans et des IOP (Influential Opinion Leader). Qui sont-ils ?
Ce sont des influenceurs supérieurs à la moyenne qui transmettent des informations et des opinions crédibles et reprises. Leur moyenne d’âge est de 34 ans. De par leur positionnement, ce groupe est plus proches des marques que la moyenne de l’ensemble de la population.

Globalement que recherchent les Suisses à travers les marques ? 
La qualité, le rapport qualité-prix et la fiabilité sont les trois principales raisons des décisions d’achat, suivies par « bon pour l’environnement » ; la Suisse romande est significativement plus sensible aux prix que la Suisse alémanique.
Précisons d’emblée que les décisions d’achat sont tout sauf rationnelles. En effet, personne n’admettra avoir acheté un produit en raison de son image ou de sa publicité. L’intention derrière cette question était avant tout de déterminer l’importance du sens des responsabilités des entreprises et de leurs marques (RSE / ESG) dans les décisions d’achat. Lorsque la qualité, le prix et la fiabilité sont au rendez-vous, la conscience écologique devient un critère important. D’autres facteurs éthiques comme l’absence d’expérimentation animale, des conditions de travail équitables, bon pour la santé et bon pour la société jouent certes encore un rôle mineur, mais la somme de ces valeurs montre que les considérations éthiques prennent de l’importance lors des achats.

Pourquoi avoir créé un indicateur sur les problèmes ?
En raison des nombreux défis particulièrement importants auxquels la société est confrontée. L’objectif est de sonder plus précisément la population pour savoir ce qui lui donne actuellement le plus de fil à retordre. Le fait qu’il existe une enquête comparable avec le baromètre des préoccupations du Credit Suisse n’est pas gênant – il ne s’agit pas que les deux études, menées indépendamment l’une de l’autre, se fassent concurrence, mais plutôt de se faire une idée aussi complète que possible. Outre des différences au niveau du sondage et de la combinaison de méthodes, les périodes d’enquête sont séparées de près de six mois (le baromètre des préoccupations a été recueilli fin juillet / début août 2022) et dans un monde aussi rapide, où les événements s’enchaînent, une étude actuelle est certainement un avantage pour la mise à l’agenda 2023.

La santé arrive en tête de soucis, on aurait pu croire que c’était l’environnement…
La hausse des coûts de la santé/primes d’assurance maladie est actuellement clairement la principale préoccupation des Suisses. Et ce, à la campagne comme en ville, pour tous les sexes et dans tous les segments d’âge, sauf chez les moins de 30 ans, où les coûts de la santé/primes d’assurance maladie arrivent en 5e position ; la plus grande préoccupation du segment le plus jeune est l’AVS/la prévoyance vieillesse, juste avant l’augmentation des coûts du logement/des loyers. La protection de l’environnement/le changement climatique arrive en sixième position, juste derrière les craintes d’augmentation des coûts du logement/des loyers, suivies par le problème d’une éventuelle sécurité énergétique/d’approvisionnement. Les résultats montrent clairement que la situation économique incertaine et tendue actuelle préoccupe de plus en plus les gens dans de nombreux domaines. Les craintes existentielles, la perte du statu quo de la prospérité, etc. sont actuellement plus proches des gens que les questions qui peuvent être repoussées dans le futur. Une économie saine est la base pour relever les grands défis tels que la protection du climat.

Que doit-on retenir pour les principaux secteurs ?

Pour le commerce :
Migros est la marque la plus appréciée de l’ensemble de la population suisse et, dans le classement des 100 meilleures marques, le numéro 2 après WhatsApp. Et pourtant, depuis cette année, c’est du passé que Migros est le leader incontesté de la branche et le « mètre étalon » du retail : Coop a non seulement dépassé Migros en Suisse romande, mais pour la première fois dans l’histoire de cette étude, elle obtient également les meilleurs résultats dans le segment des jeunes de moins de 30 ans et chez les IOP qui sont attachés à la marque. Un indicateur qui montre que la marque Migros est sous pression – si cette tendance se poursuit, Coop pourrait bientôt devancer Migros en Suisse alémanique également.

Pour le e-commerce :
Coop.ch est le numéro 1 auprès de la population et des PIO, suivi de Galaxus et de Digitec. Par rapport à l’année précédente, il s’agit d’un bond significatif, surtout par rapport à la concurrente Migros Online. Il est remarquable de voir la position qu’ont acquise les marques Galaxus et Digitecin en quelques années : Une preuve que la publicité différenciée et créative avec une idée directrice consistante mène au succès.
De manière générale, les marques de commerce électronique rattrapent leur retard sur les marques de vente au détail les plus fortes. Mais l’e-commerce suisse ne doit pas se reposer sur ses lauriers : Outre Ricardo et tutti.ch, Amazon et AliExpress enregistrent des valeurs particulièrement bonnes dans les IOP, ce qui souligne leur élan vers l’avenir.

Pour le Swiss made :
Alors que « Swiss made » occupe clairement la première place depuis des années dans l’ensemble de la population, le label de qualité perd pour la première fois du terrain chez les PIO et dans le segment des jeunes. La particularité selon laquelle les Suisses sont particulièrement fiers des réalisations de la Suisse n’a plus le même impact chez les jeunes – un signe clair que le label « Swiss made » a besoin d’urgence de soins et de communication et doit être chargé de nouvelles valeurs. Bien sûr, la valeur est et reste élevée, mais les labels bio gagnent de plus en plus en pertinence et en popularité.

Pour le secteur bancaire (carte de crédit) :
Twint s’est définitivement imposé comme le moyen de paiement le plus populaire. Dans l’ensemble de la population, Twint et Mastercard se partagent le podium. Visa et Maestro obtiennent également de très bons résultats. American Express et Cornercard sont en queue de peloton. Chez les IOP et dans le segment des jeunes, Twint est le moyen de paiement leader et Apple Pay obtient également de bons résultats dans ce domaine. D’une manière générale, Cornercard et American Express sont les moins bien notées et pourraient devenir des modèles de fin de série.

Pour l’automobile :
La tendance selon laquelle les marques automobiles perdent notamment de leur pertinence se poursuit ; alors qu’il y a cinq ans, les marques automobiles comptaient encore parmi les marques les plus appréciées et les plus fortes de la population, elles perdent chaque année de leur statut, tandis que d’autres offres de mobilité comme les CFF et Swiss gagnent du terrain. L’ascension fulgurante de Tesla dans le top 10 des marques automobiles les plus vendues en Suisse mérite le plus grand respect, mais l’analyse de l’année dernière l’avait déjà prédit : les marques fortes et différenciées – en particulier BMW, Audi et Mercedes – occupent également une position exceptionnelle sur un marché en pleine transformation et présentent un grand potentiel d’avenir ; BMW est le numéro 1 auprès de la population générale comme auprès des PIO. BMW et Mercedes ainsi que Smart disposent d’un momentum futur particulièrement significatif (IOPs), tandis que celui de Tesla, bien que très positif, est désormais plus faible par rapport à celui de ses concurrents.

Pour les médias digitaux :
WhatsApp, Youtube et Google font partie des grands gagnants de l’enquête BIS et continueront à compter parmi les marques les plus fortes à l’avenir.
Au sein du grand public, l’engouement pour les médias sociaux est très limité : Les valeurs des plates-formes de médias sociaux sont en baisse et elles se rangent parmi les médias traditionnels. D’une manière générale, on observe désormais pour les médias sociaux la même tendance que pour les médias : il n’y a pratiquement plus de médias phares, car la multiplication des canaux médiatiques entraîne naturellement une fragmentation. Dans le groupe cible jeune, où l’appartenance et la recherche d’identité sont particulièrement importantes, Instagram (contrairement à Facebook) a toujours une grande importance, tout comme Snapchat et TikTok.

Pour les médias électroniques :
La télévision suisse SRF perd légèrement par rapport à l’année précédente et se place en Suisse alémanique en deuxième position derrière YouTube et en Suisse romande en troisième position derrière YouTube et Netflix. On remarque toutefois que l’engouement pour YouTube et Netflix ou leurs valeurs dans l’ensemble de la population ont nettement plus diminué que pour SRF par rapport à l’année précédente et que SRF et Netflix sont presque au coude à coude en Suisse alémanique.

La télévision suisse atteint certes toujours presque les mêmes valeurs chez les jeunes en Suisse alémanique que dans l’ensemble de la population (ce qui montre que la télévision peut toujours être attractive dans le segment des jeunes), mais YouTube, Netflix et Spotify obtiennent ici de loin de meilleures valeurs.

La situation est critique pour la RTS  : Ici aussi, Netflix, YouTube et Spotify ont pris la tête, mais même la télévision française TF1 ainsi que M6 sont plus populaires et plus pertinentes que la RTS. BlueTV (anciennement Swisscom TV) est misérablement évaluée par le segment jeune romand.

Pour la presse écrite : 
Les groupes médias comme TX Group n’ont pas le degré de notoriété de leurs marques médiatiques auprès de la population et affichent donc des valeurs plus basses (il faut relativiser avec la NZZ, qui porte le même nom que son principal média) ; il en va autrement pour les PIO qui ont une affinité avec les médias et sont bien informés.  Au sein de la population, 20 minutes reste le premier média imprimé et a pu maintenir ses valeurs par rapport à l’année précédente ; par rapport aux années précédentes, le Migros Magazine et le journal Coop sont significativement plus faibles. Les marques connues de la presse écrite – qu’il s’agisse de « journalisme de qualité » ou de « boulevard » – ont pratiquement toutes les mêmes valeurs. Parmi les magazines, seul le Beobachter se distingue positivement.

Victoria Marchand

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