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Les fautes d’orthographe font-elles vraiment perdre des millions aux entreprises ?

Les fautes d’orthographe font perdre beaucoup d’argent aux entreprises, si l’on en croit une révélation faite il y a quelques années. Entre le mythe et la réalité, les nuances sont nombreuses. Si vous êtes brouillé avec le vocabulaire ou en délicatesse avec la syntaxe, rassurez-vous : vous ne perdez pas un centime. Par contre, il se peut que vous éprouviez quelques difficultés à convaincre vos prospects.
En 2011, l’entrepreneur britannique Charles Duncombe lançait un pavé dans la mare de l’orthographe : des fautes sur un site internet feraient perdre chaque année des millions de livres aux entreprises. Cette révélation apocalyptique (1), reprise par la très sérieuse BBC, a depuis fait le tour du monde. Et même plusieurs fois.
Pour ceux qui sortent d’un long coma ou qui reviennent d’une expédition intergalactique, petit rappel des faits : Charles Duncombe est arrivé à cette conclusion après avoir remarqué une diminution de près de 80% des ventes d’un article mal orthographié sur l’une de ses pages. En l’occurrence, le mot « Thights » (collants), muté en « Tihgts », encore plus imprononçable, écrit de cette manière !

L’effet boomerang
Je m’étonne de voir cette « étude » apparaître encore régulièrement sur la toile, sous la plume de marketeurs, rédacteurs ou de médias, comme s’il s’agissait de l’ultime révélation ou d’une loi universelle. Autant le dire tout de suite : les fautes d’orthographe n’ont jamais fait perdre des millions de livres, de francs, de roubles, de bahts ou de bitcoins aux entreprises. A ce jour, soit dit en passant, aucune étude digne de ce nom n’a été réalisée, à ma connaissance, afin de corréler précisément les fautes d’orthographe aux ventes manquées.
Démonstration. Prenons Pierre-Hervé, 35 ans, cadre dans une grande banque, sur le point d’acquérir un nouveau smartphone sur un site d’e-commerce. Érudit de la syntaxe, il remarque une série de bourdes sur ledit site, par exemple: « Votre smartphone au meilleur pris du marcher ».
Un consommateur n’arrête pas de consommer
Tenaillé par le doute que peut réveiller une orthographe déficiente, Pierre-Hervé pourrait tout à fait quitter l’échoppe en question pour faire ses emplettes chez la concurrence, qui propose les mêmes modèles, plus chers, mais à la rédaction irréprochable.
Mais franchement, imaginez-vous une seule seconde que Pierre se dise : « Comme ces sites comportent vraiment trop de fautes, je vais renoncer à mon smartphone et utiliser le budget en guise de donation à une œuvre caritative » ? C’est pourtant ce que « l’étude » citée plus haut implique. Pas besoin d’avoir décroché un master en macroéconomie pour conclure que les fautes d’orthographe n’ont, dans la pratique, aucun effet sur le chiffre d’affaires du commerce global. En d’autres termes, un consommateur n’arrête pas de consommer à cause de l’orthographe. Même quand le niveau exhorterait Molière à se retourner dans sa tombe.
J’entends déjà les entreprises en conflit perpétuel avec la syntaxe pousser un « ouf » de soulagement. Désolé de jouer les rabat-joies (aïe ! dois-je ajouter le « s » à rabat ou à joie ?), mieux vaut lire la suite avant de festoyer…

Votre entreprise peut perdre des prospects, pas des clients
Quand un site est truffé de bévues grossières, la confiance d’un acheteur potentiel, qui ne connaît votre entreprise ni d’Adam ni d’Ève, peut s’éroder facilement. Idem lorsqu’un webmaster troque involontairement un « I » pour un « A » (vente d’un Aphone au lieu d’un Iphone, par exemple), une suspicion légitime peut s’installer, suffisante pour ne pas réaliser la vente et voir le prospect griller sa carte de crédit du côté de la concurrence.
Mais plutôt que de titrer un alarmiste : « Les fautes d’orthographe font perdre des millions aux entreprises », il serait plus honnête d’écrire : « Vos prospects peuvent renoncer à faire du business avec votre entreprise à cause d’un contenu de mauvaise qualité ». J’ai bien précisé prospects, parce que votre client, pour ne rien vous cacher, s’en moque un peu, des gaucheries. S’il devait vous faire des infidélités, ce serait plutôt en raison d’un prix trop élevé ou de prestations décevantes qu’à cause de vos impairs en écriture.
L’enjeu d’une baisse des ventes se trouve par conséquent au niveau individuel et non pas global. Et là, une étude un (tout) petit peu plus consistante de Global Lingo (2), menée en 2013 sur 1024 Britanniques, vient corroborer mes propos : les sondés affirment à 59% qu’ils renonceraient à faire du business avec une entreprise commettant trop d’erreurs grossières sur son site ou son matériel publicitaire. Certains en viendraient même à douter de la capacité de l’entreprise à offrir un service de qualité.
Autre révélation : lorsqu’un site est mal traduit d’une langue à l’autre (par exemple, quand l’entreprise se persuade qu’un logiciel gratuit peut permettre d’économiser sur les services d’un traducteur), ce chiffre grimpe à 82%. Sachez encore que 74% de ces sujets de Sa Majesté prêtent attention à l’exactitude de la prose sur un site internet.

La tolérance plus grande chez les jeunes
Puisque nous sommes au chapitre des statistiques, citons encore une étude de Telekom Autriche de 2014 (3) : la tolérance à la gabegie littéraire semble inversement proportionnelle aux rides. D’après cette étude, 60% des jeunes de moins de 24 ans considèrent des erreurs comme parfaitement admissibles dans la communication digitale (Emails, Skype, What’s app, Facebook, etc.), tandis que chez les plus de 55 ans, seuls 29% admettent un laxisme avec les règles.
Il apparaît, en outre, que le pardon est accordé beaucoup plus facilement à un artisan ou à une PME au budget communication forcément limité qu’à une marque internationale aux ressources intarissables. De même, le domaine d’activité semble avoir un rapport direct sur le degré d’indulgence du lecteur : une coquille, quand vous opérez dans le domaine des sanitaires, de la menuiserie ou de l’électricité, passe beaucoup plus facilement qu’une gaffe dans des secteurs un peu plus intello comme la com, les médias ou les assurances, par exemple.

Le contenu rédactionnel plus important que l’orthographe
Désigner l’orthographe approximative comme unique coupable de la défilade d’un prospect relève donc de l’exagération, voire de la fabulation. C’est le contenu rédactionnel dans son ensemble (sans parler du design) qu’il est indispensable de peaufiner pour réaliser de nouvelles affaires, surtout si votre entreprise ne se targue pas d’une réputation nationale, voire au minimum cantonale.
En effet, si vos textes sont aussi attirants qu’un sumo en string, votre site aussi riche en informations que les étals d’une boucherie halal en côtes de porc, vos documents commerciaux aussi passionnants qu’une émission de télé-réalité de TF1, décrocher de nouvelles affaires tiendra sans doute plus du miracle que de vos compétences lexicales.
Qualité élevée, perception positive
Le lien entre la qualité du contenu d’un site – le juste équilibre indispensable entre information, clarté, concision et divertissement – et la perception d’un prospect a maintes fois été démontré : plus la première est élevée, plus la seconde est positive. Corollaire : plus la perception est positive, meilleures sont les chances de l’inciter à commencer une idylle commerciale.
En conclusion, même si les conséquences ne sont pas aussi fâcheuses qu’on veut bien vous le faire croire, mieux vaut éviter de massacrer les accords, démantibuler la concordance des temps ou mutiler les participes passés. Dans un monde déjà surpeuplé de messages publicitaires, les entreprises ont très peu d’occasions et de temps pour capter l’attention des consommateurs. Alors, autant que ceux-ci se souviennent de votre marque pour autre chose que des bourdes !

Sources :
1) http://www.bbc.co.uk/news/education-14130854
2) http://realbusiness.co.uk/article/24623-poor-grammar-on-websites-scares-59-away
3) http://www.telekomaustria.com/en/newsroom/2014-9-4-results-of-the-a1-social-impact-survey-14-how-smartphones-are-changing-our-linguistic

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