L’indispensable retour de la vérification des faits
L’une des bases fondamentales du journalisme est la vérification des faits et leur recoupement. Malgré cela, depuis les 30 dernières années, le temps consacré à la vérification des faits baisse fortement. Les causes sont nombreuses. Les contenus plus légers et les nouvelles formes d’écriture, combinés à la pression économique croissante sur les rédactions, ont diminué la capacité à financer le processus d’investigation et de recoupement des faits. Pourtant, la révolution numérique – qui est en partie à la source des pressions économiques – permet un retour aux (bonnes) sources.
Tout en étant très créatrice de valeur ajoutée, cette renaissance de la vérification des faits me paraît être un outil essentiel de création de la confiance entre un journaliste et son audience, comme entre les médias et le public.
Les expériences actuelles du « Truth’o’meter » de PolitiFact ou du « Fact Checker » du Washington Post vont dans le bon sens, celui du retour aux sources : aux sources du journalisme… et à la vérification des sources. Le succès de ces initiatives montre que le rôle du journaliste n’est pas de servir de courroie de transmission aux messages des plus puissants, mais de tout remettre en question, de ne rien prendre pour acquis et de considérer comme essentiel d’établir ou de rétablir une vérité objective sur la validité des faits qui sont présentés par les élites.
Une autre traduction de ce type de concept de vérification, que j’ai souvent essayé de proposer à différents directeurs de télévisions nationales, en Suisse et ailleurs, est l’idée d’une équipe de journalistes-vérificateurs, présente sur le plateau des émissions de débats, et confrontant les différentes assertions des politiciens présents à la réalité objective des faits et des chiffres.
Dans une émission de débat en direct en 2013, il n’est plus admissible d’avoir un politicien A qui affirme les chiffres d’une étude démontrant son point, puis d’avoir le politicien B qui commente la même étude pour contester les chiffres en question puis donne son propre lot de données – sans en citer les sources – pour établir sa contre-argumentation.
Au lieu d’un journaliste au regard bovin qui observe la passe d’arme stérile entre deux personnes peu intéressées par la réalité empirique puis passe à la question suivante, le téléspectateur a le droit d’exiger que le journaliste tranche. Encore plus sur un service public, qui doit lire dans la structure de son financement que son client est bien le grand public et non pas les différentes élites présentes dans ses locaux. Le citoyen attend et mérite une vraie prise de position, basée sur la vérification de faits.
Pour reprendre le fil du débat imaginaire entre A et B, une fois les vérités opposées de chacun présentées, le journaliste devrait pouvoir reprendre la parole, et, en se basant sur les vérificateurs de faits présents sur le plateau, trancher. « Messieurs, l’étude que vous citez indique ce chiffre pour le point évoqué. Monsieur A, le chiffre que vous citez est faux ; Monsieur B, le chiffre que vous citez est juste », et ce, avec toutes les variations imaginables. En parallèle, la totalité de ces contenus et documents associés identifiés par le groupe de recherche pourrait être partagée avec l’audience, aujourd’hui sur le web et demain sur la télévision interactive.
Pour renforcer l’indispensabilité de la profession face à la capacité communicationnelle directe des différentes institutions, il paraît essentiel que le journaliste puisse reprendre la parole afin d’y présenter une vérité prouvée par les faits.
Clément Charles
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