Livre : « Paid Attention »
Les livres sur la publicité sont comme les yaourts, ils sont rapidement périmés et bons à jeter ou à donner à un stagiaire tellement affamé qu’il lira tout ce qui lui tombe sur la main. Ce faisant, le stagiaire en question ne fera pas une mauvaise opération car il apprendra à relativiser l’importance des théories publicitaires en découvrant celles qui faisaient l’unanimité quelques années avant qu’il n’entre dans le métier.
Le livre de Faris Yacob est donc à lire de toute urgence, même si je parierais facilement un déjeuner au Roadrunner (publicité gratuite) qu’il ne se démodera pas de sitôt. Ce stimulant essai foisonne d’idées. Convoquant philosophes, économistes, sociologues, il nous montre comment la publicité et les médias ont évolué au cours des XXe et XXIe siècles, et surtout comment l’attention des consommateurs est progressivement devenue l’objet de toutes les attentions.
Pendant longtemps, la communication consistait à transmettre un message, souvent rationnel, informatif, sur un produit ou service et ses avantages. Les canaux de transmission étaient clairement identifiés : télévision, radio, presse, affichage… Mais au fil du temps, les produits ou services se sont mis à se ressembler de plus en plus, rendant le message à faire passer de plus en plus banal. Et la technologie par le biais du digital a tout chamboulé : les canaux de diffusion, le rôle des consommateurs et surtout l’attention qu’ils pouvaient prêter aux messages.
Aujourd’hui, on peut lire la presse sur des écrans de toutes tailles, écouter la radio sur un téléphone et regarder la télévision sur Internet (c’est le cas d’un tiers des jeunes en tous cas)… et, surtout, on partage. Les contenus qu’on a créés (dont le nombre a explosé avec la mise sur le marché d’outils très accessibles), ceux qu’on a aimés et parfois les publicités (les campagnes virales qui sont le graal de tout annonceur). Le défi est grand pour les marques, car elles avancent en territoire inconnu : les tests de pré-campagnes semblent de moins en moins fiables (avec les neurosciences, on découvre que l’homme est beaucoup moins rationnel que lorsqu’il répond aux questions posées à des panels dans des focus groupes) et les consommateurs de plus en plus critiques (avant ils zappaient, maintenant ils peuvent ridiculiser une campagne sur les réseaux sociaux).
D’ailleurs, est-il encore pertinent d’employer des termes issus du langage militaire (campagne, cible) quand les marques essaient de se faire aimer (les fameuses Lovemarks chères à Kevin Roberts) ? Il leur faut déployer des trésors d’imagination (raison pour laquelle les créatifs sont aussi bien payés) pour parler à des gens qui ne deviennent des consommateurs que lorsqu’ils ont un besoin à satisfaire mais qui, le reste du temps, sont des hommes et des femmes accaparés par leur vie quotidienne.
Le rôle des marques était au départ de servir de repère aux consommateurs et de leur faire gagner du temps en simplifiant leur choix. Mais avec la similitude croissante des promesses des produits et leur nombre croissant, tout est devenu plus compliqué – au point de faire fuir les gens des grandes surfaces au profit de supermarchés plus proches même s’ils sont moins bien fournis (achalandés, curieusement c’est la clientèle, le chaland !). Les marques sont donc en train de réinventer leur discours et il passe par des idées plus sophistiquées telles que le « branded content ». La révolution est copernicienne : on part de ce qui intéresse les gens tout en mentionnant que ce contenu est proposé par une marque. C’est à ce prix que se gagne aujourd’hui l’attention des nouveaux consommateurs.
Paid Attention, Innovative Advertising for a Digital World, de Faris Yacob, est publié chez Kogan Page.
[ASIDE]En publicité l’habit fait bien le moine !
Ne vous fiez pas à cet air de rasta qui aurait vu un pétard exploser dans sa coiffure, Faris Yacob est l’un des penseurs les plus écoutés du monde de la communication. Il a été Chief Innovation Officer chez MDC Partners et Executive Vice President, Chief Technology Strategist (excusez du peu) chez McCann Erickson. Il écrit régulièrement sur les marques, les médias, les communications et la technologie dans le Financial Times, Forbes, Advertising Age et Media Week. Il a enseigné au Massachusetts Institute of Technology, à l’université de Californie du Sud et a monté il y a quelques années une structure de consulting en idées et innovation appelée Genius Steals. [/ASIDE]