#Screenforce – Quand les GAFAMs menacent la démocratie
Le Dr. Martin Andree enseigne les médias numériques à l’université de Cologne. Titulaire d’une habilitation en sciences des médias, il mène depuis plus de 15 ans des recherches sur la suprématie des Big Tech. Invité lors de Screenforce Suisse romande, il a décrit la situation monopolistique des GAFAM.
L’Internet libre n’existe plus depuis longtemps
Autrefois, le réseau était une structure de nœuds égaux dans laquelle on passait d’un lien hypertexte à un autre (« surfer »). Mais l’utilisation pluraliste n’existe plus dans les conditions des plateformes. Il s’agit d’une prise de contrôle au sens littéral – car l’astuce de Big Tech consiste à placer les plateformes « par-dessus » la structure d’Internet. Elles n’utilisent donc plus le réseau que comme infrastructure pour aspirer le trafic du réseau vers leurs silos de plateformes – et pour assécher systématiquement le reste de l’Internet.
Un constat qui va se traduire par la prochaine hégémonie du digital sur les médias analogiques. Une lutte pour l’attention qui est la clé pour le détournement de la manne publicitaire. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Tout d’abord par un effet de masse : plus les plateformes sont grandes et plus elles attirent les audiences. C’est la logique du « winner takes it all ». Mais il y a plus, car les Google, YouTube, Facebook ou autres Amazon ont créé leurs propres standards. Ces plateformes propriétaires ne pratiquent pas l’open source. On ne connaît pas le code des algorithmes et tout est fait pour vous garder. Donc, même lorsque l’on croit lire un article provenant d’un autre site, en fait, on est encore sur Google. Mais ce lien avec le contenu ne s’arrête qu’aux liens, car ces géants refusent d’être assimilés à des producteurs de contenus. La règle du « user-generated content » les dédouane de toute responsabilité quant aux fake news.
Cette surpuissance a produit une concentration telle que l’espace Internet se retrouve avec une miriade de sites qui doivent se battre contre des monopoles. Le résultat est une perte de pluralité dans les contenus, car tous les messages ne sont pas poussés de la même manière. En quelques années, la manipulation de l’opinion a engendré une polarisation politique. Les médias traditionnels, précarisés par la perte des recettes publicitaires et par la baisse des abonnements, ne peuvent plus agir comme contre-pouvoir.
Est-il trop tard ?
Non, si nous appliquons les cinq recettes préconisées par le Dr Martin Andree. Premièrement, il est impératif de contraindre ces plateformes à accepter les « outlinks » afin de pouvoir réellement atterrir sur les sites de base et ainsi leur rendre une partie du trafic. Deuxièmement, les GAFAM doivent rendre leur code transparent. Troisièmement, une loi anti-monopole devrait contraindre ces plateformes à séparer la partie contenu de celle qui est purement publicitaire. Quatrièmement, aucune de ces sociétés ne devrait dépasser 30 % du marché. Et cinquièmement, la monétisation des contenus criminels, pornographiques, etc. devrait être interdite.
« Si nous appliquons ces mesures, nous pourrions retrouver, en moins de deux ans, l’Internet qu’ont imaginé les pionniers du web. Nous devons prendre conscience que nous sommes dans une prison digitale… mais toute la question est de savoir si nous voulons – ou pouvons – en sortir ! »