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« Corona-Leaks » : Quid du métier de Dircom ? Le point de vue de François Huguenet

L’affaire de possibles fuites d’informations au Blick  par Peter Lauener, l’ancien responsable de la communication de l’OFSP met sous le feu des projecteurs le métier de communicant dans le secteur politique. Que peux faire un Dircom ? Quelle est sa réelle marge de manœuvre ? Pour en savoir plus, Cominmag a donné la parole à François Huguenet, directeur de ftc communication.

Comment analysez-vous cette affaire dite des Corona-Leaks ?
Je vois trois problématiques distinctes. Tout d’abord, on doit tenir compte du cadre institutionnel et du secret de fonction. Il s’agit d’informations qui proviennent d’un département fédéral et qui devaient d’abord être validées par le Conseil fédéral. Ensuite, le choix d’un titre pose également problème, le principe d’équité entre les médias face à l’information publique étant bafoué. Enfin, on a un responsable de communication qui outrepasse son rôle.

Revenons sur ce Dircom. Qu’a-t-il fait de faux ?
A ce stade on doit attendre les conclusions de l’enquête mais si je me réfère à mon expérience de communicant pour des collectivités publiques, il est clair qu’un responsable de la communication n’est pas supposé avoir de carte blanche. Toutes les stratégies et leurs déploiements se font en concertation avec le responsable politique. En général, leurs bureaux sont proches et ils se coordonnent en permanence. Donc, soit il a transmis ces documents de sa propre volonté – et c’est une faute professionnelle grave – soit, il a suivi des ordres d’entreprendre une action illégale, et c’est une autre qui ne l’est pas moins…

Le fait que la plupart des responsables de communication dans les instances politiques soient généralement d’anciens journalistes, cela augmente-t-il les risques de fuite ?
Directement, non. Indirectement, peut-être. L’on sait que passer du monde du journalisme à celui des RP n’est culturellement pas si facile. Beaucoup d’anciens journalistes gardent un sens aigu de l’actualité… et de leurs amis. « Faire la Une », mais si c’est pour des raisons différentes, reste bien sûr un objectif partagé par les rédactions et les communicants  mais il ne doit pas prendre le pas pour les seconds sur la gestion du risque institutionnel. Or c’est l’enjeu dans cette affaire. L’autre aspect est le fait de privilégier une diffusion médiatique, ou plutôt de surestimer son importance. Les communicants issus de la presse peuvent avoir tendance à favoriser une communication médiatique, qu’ils jugent au fond d’eux plus valorisante ou impactante. Visiblement, M. Lauener a estimé qu’un scoop dans BLICK justifiait la prise de risquer.

Si on regarde l’évolution de la consommation média, les politiques ne devraient-ils pas choisir des spécialistes en communication agnostiques de tout média ?
Ce serait la meilleure des stratégies, même si chacun a son parcours et qu’il faut bien acquérir de l’expérience quelque part avant d’assumer un poste à responsabilité. Posons la question différemment ? Quels sont les médias que consomment principalement les politiques ? A quel miroir de leur activité accordent-ils de l’importance ? Hors élections, comment peuvent-il évaluer ce que l’on pense d’eux ?  Je pense que cela répond déjà un peu à la question. On peut probablement supposer qu’il y a une surestimation de l’opinion médiatique par rapport à l’opinion publique, plus difficile à cerner, surtout aujourd’hui. Sans même parler du cadre juridique. Et ceci impacte aussi le choix du profil des communicants, et ce que l’on attend d’eux

La particularité de l’affaire qui nous intéresse c’est nous avons une fuite dans la fuite…
Exactement ! Visiblement une personne proche de la procédure a informé les médias. Pourquoi ? La grande visibilité du Conseiller fédéral Berset durant le Covid et maintenant son année de présidence doivent gêner ceux qui ont intérêt à écorner son image et indirectement celle de son parti. Sans qu’on le sache à ce stade, on ne peut s’empêcher d’imaginer un objectif politique sous-jacent. N’oublions pas qu’à l’automne, nous aurons les élections fédérales.

Si l’on compare le monde économique à celui de la politique, il semble que les pratiques y sont plus fair-play ? Une illusion ?
Je dirais que oui. Le contexte institutionnel n’est pas le même, les motivations sont différentes, mais attaquer publiquement un concurrent ou diffuser des rumeurs sur ses pratiques pour entacher sa réputation existe également. Mais il y a aussi des risques à franchir le cadre légal pour cela.  Et comme en politique, les fuites médiatiques peuvent aussi orchestrées pour servir ses propres intérêts et faire de la communication à moindre coût.

Pensons aux lancements de produits d’Apple où certains ont fini par s’interroger sur le fait que les versions béta volées et testées sur les réseaux sociaux l’aient réellement été.

Donc tout est communication !
Oui, car sur le fond, toute entité n’existe, prospère ou ne se délite que par ce qu’en pensent les parties prenantes nécessaires à son existence. Plus pragmatiquement, la multiplication des canaux médiatiques et les changements d’habitude dans la consommation de l’information ont complexifié la donne et modifié le processus de formation de l’opinion. En prenant garde aux intérêts supérieurs et à long terme de l’institution qui les emploie – et le respect du cadre juridique en fait partie – les spécialistes en communication doivent comprendre les langages et pratiques des réseaux sociaux, du web, des médias traditionnels. Or des rédactions confrontées à des difficultés économiques  sont peut-être plus prêtes à transformer des « off » en « on  aujourd’hui qu’hier.

Victoria Marchand

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