L’illusion du “win-win” : pourquoi la négociation mérite mieux que des slogans

Depuis les années 1980, la négociation dite « win-win » s’est imposée comme un idéal. Popularisée par le best-seller « Getting to Yes de Roger Fisher et William Ury » (méthode Harvard), cette approche prône une recherche d’accord mutuellement bénéfique.
Mais derrière la formule séduisante se cache une réalité plus complexe, parfois même contre-productive. Car non, toutes les négociations ne peuvent, ni ne doivent, se terminer par un « gagnant-gagnant ».
Depuis qu’on enseigne la négociation dans les grandes écoles et les entreprises, une petite fable revient sans cesse comme illustration de l’accord parfait : l’histoire de l’orange.
Deux sœurs se disputent une orange. Plutôt que de la couper en deux, elles discutent. L’une voulait le zeste pour faire un gâteau, l’autre le jus pour le boire.
Conclusion ?
En partageant intelligemment, elles obtiennent chacune exactement ce qu’elles voulaient : une victoire double. Le cas d’école du “win-win”.
Oui… mais dans la vraie vie, ce n’est presque jamais aussi simple.
Dans ce scénario, les intérêts sont parfaitement complémentaires et les sœurs totalement transparentes.
Or dans la réalité :
Vous ne savez pas toujours ce que l’autre veut vraiment (opacité stratégique)
Vous ne pouvez pas tout révéler sans perdre votre pouvoir de négociation
Les besoins sont rarement aussi parfaitement découplés
La plupart des négociations comportent à la fois des éléments distributifs (il faut se battre pour une part du gâteau) et intégratifs (on peut élargir la taille du gâteau). Penser que tout peut se résoudre comme l’orange, c’est sous-estimer les enjeux de pouvoir, de méfiance et d’ambiguïtés.
Le “win-win” peut créer une pression artificielle à l’accord
Des études en psychologie de la décision montrent que le désir d’éviter les conflits ou de « rester dans le cadre positif » peut pousser les négociateurs à faire trop de concessions pour arriver à un accord perçu comme équilibré. On parle ici de « biais de confirmation collaboratif » : chercher à prouver que la négociation est réussie en atteignant une issue harmonieuse, même si cela coûte plus que nécessaire.
La réalité est que les intérêts ne sont pas toujours compatibles. Une étude célèbre de Thompson & Hastie (1990), deux chercheurs en psychologie sociale, a démontré que les négociateurs surestiment souvent le degré d’intérêt commun avec leur interlocuteur. Un phénomène nommé “biais de surestimation des zones d’accord possible”. Cela les pousse à rechercher un compromis là où un rapport de force clair et assumé aurait été plus efficace.
De plus, dans des situations asymétriques (client/fournisseur, salarié/employeur, startup/investisseur), la recherche naïve d’un accord équilibré peut jouer contre la partie la plus à risque. Les négociateurs sous-performants sont souvent ceux qui cherchent trop l’accord, pas ceux qui en exigent trop.
La négociation est un art stratégique, pas une quête morale. Il existe différents types de négociation : distributive, intégrative, multi-partite, et chacune appelle des tactiques différentes. Le « win-win » est un outil possible, pas un dogme universel.
L’enjeu n’est pas que chacun sorte « content », mais que l’accord soit optimal, légitime, et durablement accepté.
Chronique rédigée par Simon Pawolleck, Négociateur professionnel et directeur d’OSAM Formations