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L’âge d’or du journalisme est à venir

RB Interview de Ralph Büchi, membre du Conseil exécutif et président de la division internationale d’Axel Springer

Le 25 juillet 2013, le groupe Axel Springer annonçait qu’il allait se séparer de plusieurs de ses titres dont deux des grands quotidiens régionaux du pays, le Hamburger Abendblatt et le Berliner Morgenpost qu’il possédait depuis un demi-siècle. Au total, une dizaine de titres qui ont été repris pour quelque 920 millions d’euros par le groupe média Funke. L’occasion d’aller rencontrer Ralph Büchi à Berlin car en plus d’être directeur d’Axel Springer Suisse, il est également président de la division internationale du groupe et par conséquent membre de l’Executive Board.

Au premier semestre 2013, vos revenus publicitaires provenant des supports digitaux (640 millions d’euros) dépassaient ceux de la presse quotidienne (507,8 millions d’euros). Cela explique-t-il la décision du groupe Axel Springer de vendre plusieurs de ses journaux ?
-Nous nous attendions à ce que les revenus du digital finissent un jour par dépasser ceux de la presse traditionnelle. Ce qui nous a surpris, c’est la rapidité avec laquelle ce basculement est intervenu. Mais telle n’est pas la raison de cette vente. Voici plus d’un an que nous avons pris la décision stratégique de nous recentrer sur les seules activités pouvant nous offrir une position de leader sur nos marchés.
En Allemagne nos deux plus fortes marques média sont Bild et Welt. Nous avons par conséquent décidé de mettre tous nos efforts sur ces titres et de les développer sur toutes les plateformes.
A contrario, nous avons pris la décision de nous désinvestir peu à peu de trois segments qui ne nous offrent que peu de perspectives de croissance en Allemagne: la presse régionale, les magazines télévision et la presse féminine, mis à part les plateformes aufeminin.com et onmeda.de où nous occupons la place du leader. On ne peut tout faire !

Certains ont interprété cette vente comme un désengagement vis-à-vis du papier. Juste ?
-La question n’est pas d’opposer le print au web ou au mobile. Ce qui nous intéresse, c’est le contenu, la production d’information. Le journalisme est et restera notre cœur de métier. Les modes de distribution sont une question annexe.

Pourtant vous semblez miser sur le digital au détriment du print. Peut-on imaginer que la presse quotidienne devienne pour des questions de coûts et d’impératifs liés à la gestion du temps réel exclusivement numérique ?
-Personne ne peut répondre définitivement à cette question. Tout dépendra de la manière dont le public décidera de consommer les médias. Les maisons d’édition ne peuvent rien imposer sinon se contenter d’offrir leurs contenus sur les supports préférés par leurs lecteurs.

Vous vous imposez également dans le secteur de la publicité numérique. Que doit-on en conclure ?
-Que nous voulons devenir le premier groupe média numérique. La gestion de la commercialisation de nos espaces nous a permis de comprendre les nouveaux modèles publicitaires online et d’engranger quelque 640 millions d’euros rien que pour le premier semestre 2013, soit une croissance en un an de 18 %.
Ainsi, via nos plateformes emploi, immobilier et voiture, des petites annonces digitales et sur tous nos portails et sites nous proposons du display et des annonces contextuelles. Avec Zanox et Digital Window, des plates-formes d’affiliation, nous avons acquis un fort savoir-faire dans le domaine du Performance Marketing.

En décembre 2012 Die Welt est passé au Metered Model (20 articles gratuits par mois) et en juin 2013 le Bild s’est lancé au modèle Freemium. Proposant ainsi mensuellement pour 4,99€ une consultation exclusivement digitale, pour 9,99€ du tout digital + un e-paper et pour 14,99€ le tout digital + e-paper + journal avec la possibilité de s’abonner à une version Bundesliga à 2,99€ et Bundesliga Plus à 0,99€. Quel est le meilleur modèle ?
Nous n’avons pas de doctrine. A ce stade, nous faisons nos premières expériences et force est de constater qu’en six mois, nous avons recueillis déjà 50 000 abonnés sur l’offre numérique de welt.de. Ce qui prouve que le public est prêt à payer pour du contenu de qualité.
Un autre effet intéressant, c’est que l’introduction du modèle Freemium a généré une stimulation au sein des rédactions, car seuls les articles exclusifs sont proposés dans les versions payantes.
Pour les annonceurs, le payant est également une donnée intéressante car un abonné digital a plus de valeur qu’un internaute occasionnel.

Votre optimisme tranche avec le pessimisme des rédactions. Il n’est plus rare d’entendre que l’on peine à recruter des journalistes expérimentés tant ils délaissent la profession.
Mathias Döpfner, CEO d’Axel Springer, ne cesse de clamer que l’âge d’or du journalisme est devant nous. Il n’y a jamais eu autant d’opportunités pour un journaliste de s’essayer à l’écrit, l’image, le son, la vidéo, etc.
Notre groupe promeut le journalisme dans les pays où nous possédons des titres afin de former les jeunes à cette profession. Mais je comprends qu’à force de lire des articles annonçant la mort de la presse que certains hésitent éventuellement à s’intéresser à ce métier.

La presse magazine semble mieux résister pour l’instant à la déferlante web, or l’engouement pour l’iPad et le mobile ne la condamne pas à court terme ?
Si le public veut lire Bilanz ou le Beobachter sur iPad, il peut déjà le faire. Certes les premières applications étaient un peu trop chargées, mais les éditeurs ont vite appris à formater l’information en fonction du support.

En tant que CEO d’Axel Springer en Suisse, comment commentez-vous les résultats de la Mach 3 qui sont particulièrement négatifs pour vos titres : Beobachter, Bilanz, PME Magazine et Handelszeitung ?
Je suis stupéfait par la réponse que la REMP a apporté à la question de la recherche d’audience. Comment allons-nous expliquer à nos clients ces variations de lectorat dues au seul changement de méthodologie ? Donc si les résultats de Mach 3 reflètent la réalité, comment qualifier ceux de Mach Basic ?

Je m’étonne de la pertinence d’une nouvelle étude dans un contexte si tendu pour la presse écrite. Axel Springer Suisse aurait bien voulu apporter son expérience internationale, mais on nous a refusé un siège au Conseil d’administration de la REMP.

Autre particularité suisse, alors que la plupart des pays européens connaissent une forte croissance des investissements online (Slovaquie 28,6%, Russie 28%, Serbie 22,8 %, Tchéquie 13%, Grande-Bretagne 12.5%, Pologne 7,3%) la publicité digitale peine à prendre de l’essor en Suisse (6,9%). Pourquoi ?
– Je me suis souvent posé cette question. Ce retard ne reflète pas la réalité sur le marché des consommateurs. Les Suisses sont parmi les premiers à avoir adopté les technologies numériques et les pénétrations de supports électroniques est une des plus élevée au monde.

Peut-être que la réponse se trouve dans les structures très diversifiées de notre pays.

On entend souvent que ce retard est une question de prix. Les CPM sont plus élevés dans notre pays car il y a peu de grands sites et une multitude de micro-sites.
Et la Slovaquie par exemple, où il n’y a pas plus de grands sites qu’en Suisse, et qui connaît un développement plus important que le marché suisse ? Ce n’est pas la bonne explication. Le CPM a toujours été plus cher en Suisse, car les salaires et les prix y sont plus élevés.
Je reste convaincu qu’en Suisse la publicité digitale atteindra dans un futur pas trop lointain 10 à 15% des investissements publicitaires. A nous de créer des offres qui sauront intéresser les annonceurs.

Comment va évoluer la publicité online ? Au 1er semestre 2013 le Performance marketing vous a rapporté 224,1 millions d’euros, le display (219,4 millions) et le Classified (197 millions) ?
Plusieurs tendances vont cohabiter.Premièrement, le display premium va devenir de plus en plus un outil de branding et va probablement intégrer des notions de performance. Deuxièmement, les éditeurs de sites vont aider les annonceurs à créer des campagnes. Quelque 50% des revenus publicitaires d’aufeminin.com proviennent désormais d’opérations individuelles conçues en commun avec les clients. Troisièmement, le Native Advertising va permettre le placement du commercial dans un contexte correspondant. Cette forme d’Advertorial digitale pourra prendre plusieurs formes de liens contextuels, ne peut pas être éliminée par des Ad-blockers et s’adapte parfaitement au mobile.Et quatrièmement, en ce qui concerne les Classified, la formule restera simple : The winner takes it all.

 

 

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