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#CHRONIQUE : Google tue les cookies … et révolutionne l’écosystème de la publicité digitale

Depuis un quart de siècle les cookies tiers pistent nos déplacements sur la toile. Mais ces lignes de code ne souffleront pas leurs 30 bougies. La faute à Justin Schuh, qui dirige l’équipe de développeurs de Google Chrome et vient d’annoncer leur éradication d’ici 2022. Par rebond, toute l’économie de la pub digitale va connaître ces deux prochaines années une (r)évolution sans précédent. Tout va changer au profit probable des Gafas et, peut-être, des éditeurs s’ils savent se regrouper et capter le consentement de leurs utilisateurs. En ce début d’année 2020, quelle est la situation en matière de cookies ? Comment s’organisera le marketing en ligne sans eux ? A quoi ressemblera l’alternative proposée par Google ? Attention : un nouveau paradigme économique est en gestation.

Les cookies traversent une mauvaise passe. Ils sont depuis cinq ans la cible des défenseurs des libertés publiques sur la toile. Une situation dont profitent les grands industriels de l’industrie en ligne, nos fameux Gafas, qui les bannissent en retour de leurs navigateurs. Google l’a annoncé mi-janvier : exit les cookies de Chrome avant deux ans. Mais Firefox et Safari avaient déjà pris les mêmes dispositions en 2013 et 2017. Quels scénarios peuvent alors émerger pour l’industrie de la pub en ligne et pour les consommateurs ?

Petit rappel des faits d’abord. Lorsqu’on surfe sur la toile, les cookies enregistrent des informations multiples pour faciliter la navigation de l’internaute. Les premiers sont apparus dès 1994 sur le navigateur de Netscape. Ils servaient à différencier les internautes qui ont déjà visité un site. Aujourd’hui, cela reste leur principale valeur ajoutée : un cookie sert à personnaliser le contenu d’un site selon les préférences de chaque visiteur. Mais le cookie s’est enrichi et prend désormais différentes formes. On distingue les cookies de sessions qui disparaissent lorsque l’on ferme le navigateur ; des cookies permanents qui permettent d’éviter de redonner son identifiant et mot de passe ; et enfin les fameux cookies tiers.
Ces derniers sont aujourd’hui les plus nombreux … et les plus exposés aux évolutions prochaines des réglementations et des usages de la publicité en ligne. Aujourd’hui, plusieurs centaines de cookies sont certainement stockés dans votre ordinateur. Ils proviennent de régies publicitaires, des « adservers », des réseaux sociaux, des éditeurs, des plateformes publicitaires programmatiques de type DSP, ad-vérification, ad-safety, attribution, des « retargeters » (recibleurs), des professionnels du ciblage contextuel, etc. Sans les cookies tiers, les internautes deviennent anonymes et inopérants pour leurs outils de diffusion de pub. Ils sont donc indispensables aux professionnels du marketing puisqu’ils servent au croisement de données, à leur partage et à leur monétisation entre professionnels.

Mais pour le grand public, si attrayante que soit l’idée de recevoir de meilleures publicités, le cookie est de plus en plus vécu comme l’ennemi de leur intimité et anonymat sur le net.
Les publicitaires en ligne cherchent une alternative, d’autant que le « cookie business » n’est pas fantastique en terme d’efficacité. Les bannières publicitaires affichent un taux de clic moyen de 0.05%, soit une personne sur 2000 qui interagit, dans un contexte où la moitié seulement des bannières diffusées sont visibles.
Une performance technique plutôt médiocre. Qui plus est, ces cookies sont bien loin d’être parfaits : ils ralentissent les sites visités et l’identification promise est loin d’être toujours exacte. Ainsi, le taux de correspondance des cookies entre les différentes plates-formes de technologie publicitaire sont très loin des 100%. C’est encore pire sur les environnements mobiles, particulièrement allergiques aux cookies (il n’y en a quasi pas sur les applications mobiles).

Ouverture de la chasse aux cookies tiers
La situation ne pouvait durer. Il faut chasser ces cookies tiers de l’écosystème. Google l’a annoncé bruyamment le 15 janvier : l‘éditeur se donne deux ans pour évacuer les cookies de son navigateur, Chrome, lequel s’arroge 65% de parts de marché, faut-il le rappeler. Google ne fait qu’emboîter le pas aux autres navigateurs, qui ont tiré les premiers. Dès 2013, Mozilla a commencé à bloquer les cookies tiers sur Firefox. La dernière version Firefox montre aux utilisateurs combien de trackers les suivent sur un site. Mieux : il désactive automatiquement les cookies tiers via sa technologie Enhanced Tracking Protection (ETP). Cela concerne plus de 10 milliards de cookies par jour, soit 175 par jour et par utilisateur. Les autres navigateurs ont aussi renforcé leurs outils de protection des utilisateurs. En 2017, Apple a sorti son Intelligent Tracking Prevention (ITP). Depuis, les cookies sont devenus persona non grata 24 heures après avoir visité un site. Et les cookies dits « permanents » sont évacués au bout de sept jours. Pas facile même pour Facebook, qui enregistre les conversions de ses annonceurs sur une fenêtre de 28 jours ou pour Google Analytics qui est censé rester jusqu’à 2 ans dans le navigateur. Depuis peu, Safari ne partage plus des détails des urls des sites visités. La conséquence : impossible de cibler un internaute.
Mais que ceux-ci ne s’y trompent pas : cette disparition programmée des cookies tiers ne signifie pas disparition des pubs, bien au contraire. Cette éradication en cours renforce la position dominante des Gafas. Eux aspirent vos données et ferment peu à peu les flux de tracking tiers. Pratique pour asseoir leur position dominante et mieux emprisonner les internautes dans leur écosystème.
Google Chrome rompt les digues
Quelles seront les conséquences pour les acteurs de l’écosystème de la pub digitale de l’absence de cookie tiers sur Chrome ? Le retargeting, fortement dépendant de ces cookies, va immédiatement être affecté. Le titre du leader mondial du reciblage publicitaire, le Français Criteo, s’est ainsi effondré de 15% ce mercredi 15 janvier 2020.
Les restrictions sur les cookies tiers empêcheront également les DSP et les DMP de se synchroniser. Les acteurs indépendants de l’attribution ont aussi de grandes chances de souffrir terriblement. En permettant aux utilisateurs d’effacer ou de bloquer plus facilement les cookies tiers, beaucoup d’acteurs vont devoir se réinventer sous peine de disparaître.

Mais que fera réellement Google ? L’éditeur s’est donné deux ans pour nettoyer Chrome de ces cookies parasites, mais sans jeter le bébé avec l’eau du bain. La nature ayant horreur du vide, il est prévisible que quantité d’initiatives vont fleurir pour remplacer ces cookies. Un mouvement que Google compte bien accompagner, pour ne pas dire orchestrer. Il a déjà une longueur d’avance, avec son projet d’API Privacy Sandbox, un standard ouvert qui va continuer de permettre aux éditeurs de monétiser leurs sites. Le jour où cette alternative sera en place, alors les cookies disparaîtront, mais pas avant. Les premières informations qui ont filtré ne sont pas positives pour les acteurs indépendants et les professionnels du marketing : exit les DMP, attribution multipoint, données tierces ou le tracking post view. Mais on va continuer à mesurer en suivant les clics et les conversions. On pourra aussi moins bien cibler. Si le cookie n’appartient à personne, il est certain que la solution propriétaire de Google qui remplacera les cookies s’appuiera sur son écosystème maison. D’ailleurs Google n’a pas besoin de cookies pour son tracking puisqu’il y a déjà des bouts de codes Google sur l’immense majorité des sites webs. En dehors des GAFA, qui d’autre accède à ces données privilégiées, dites « first party » ? les éditeurs. Ce sont eux qui vont reprendre les cartes en main. Mais avant cela, il faut leur laisser le temps de disposer d’un business model viable, sous peine de tuer l’écosystème. De l’autre côté, Google doit veiller à ne pas contourner les lois antitrust qui lui ont déjà coûté plusieurs dizaines de milliards de dollars d’amendes. Une équation complexe à résoudre. Les deux ans que s’est octroyé Google ne seront pas de trop pour y parvenir !

Quels contournements possibles ?
Comment contourner toutes ces contraintes ? Certains acteurs ont démontré dans un passé proche une belle dose d’ingéniosité. Pour déjouer l’ITP d’Apple, certains ont créé des identifiants sans cookie basés sur une empreinte digitale ou l’ajout de code à une URL. D’autres traqueurs web ne sont pas blocables car s’appuyant sur les requêtes DNS pour obtenir les informations qui permettent d’identifier l’empreinte de chaque internaute. La technique de délégation de DNS (DNS aliasing) implique qu’un éditeur de site Web délègue un sous-domaine que le fournisseur d’analyse tiers peut utiliser en « l’aliasant » sur un serveur externe. Ces trackers externes semblent provenir du même domaine et sont autorisés à fonctionner par le navigateur. La technique n’est pas nouvelle, plusieurs publications scientifiques comme celle de chercheurs l’Université de Berkley intitulé Cookie Blocking and Privacy: First Parties Remain a Risk ou de l’INRIA en 2014 y font référence. Beaucoup d’acteurs comme Criteo, Wizaly ou Eulerian utilisent ce tour de passe-passe qui détourne l’esprit de la RGPD. Mauvaise nouvelle pour ces derniers, l’ad blocker open source uBlock Origin a récemment trouvé la parade. Pas de chance, c’est celui qui équipe Firefox.
Encore une mauvaise nouvelles pour les éditeurs…

Les consommateurs gagneront ils, eux, au change ?
Peu probable : on va sacrifier le cookie sur l’autel de la confidentialité ; mais ils seront remplacés par des plateformes propriétaires qui seront beaucoup plus opaques. Elles vont ajouter une couche supplémentaire à un écosystème de technologies publicitaires déjà complexe afin de permettre un ciblage très similaire à celui des cookies tiers.
Pour répondre aux besoins des professionnels du marketing, Apple met par exemple à disposition un système d’attribution des clics sur les annonces préservant la confidentialité. Google propose lui aussi une alternative dans le cadre de son initiative « Privacy Sandbox » : un champ identifiant capable de stocker 64 bits de données soit une gamme de chiffres allant jusqu’à 18 quintillions (un milliard de trilliards) de quoi créer des identifiants uniques pour chaque impression d’annonce. Malin.

Une réglementation qui favorise les GAFA
Facebook, Amazon et Google ne sont pas touchés. Pourquoi ? Leurs systèmes publicitaires s’appuient sur des cookies permanents propriétaires indispensables à l’utilisation de leur services par les internautes. Le consentement nécessaire des utilisateurs est obtenu de facto : massivement et sans déperdition. Du coup, ce triumvirat, qui concentre déjà près de 75% des revenus publicitaires en Europe, va renforcer ses positions. Les acteurs indépendants, qui prônent un internet ouvert, en feront les frais. La RGPD a déjà considérablement réduit l’utilisation de cookies tiers. Elle a renforcé les GAFAs qui ont une relation directe avec les consommateurs. Les données ne vont plus sortir de leurs jardins fermés (walled gardens).
Un beau paradoxe quand on sait que ces régulations ont pour objectif de limiter la domination des plateformes technologiques américaines, tout en protégeant la vie privée des consommateurs. Pourtant, éliminer le cookie rendra Google, Amazon et Facebook encore plus puissants.
Il semble incontestable que la probable suppression des cookies tiers entraînera une baisse des revenus programmatiques à court terme. Pour évaluer la valeur future de l’inventaire publicitaire sous ce nouveau paradigme émergent, il faut simplement qu’un éditeur mesure le rendement de son audience sur Safari, là où les cookies tiers sont déjà absents. On divise le prix par un facteur compris entre 2 et 3. Une étude de Google évoque quant à elle une baisse de 62%. Dans tous les cas c’est beaucoup de revenus perdus.

Retour en grâce des données intentionnelles et contextuelles
L’adaptation vers ce nouveau paradigme technique « décookifié » nécessite une solide expertise dans un domaine que beaucoup ont négligé : le marketing intentionnel ou comportemental. Ces dernier temps la balance a trop penché vers les achats basés sur l’audience chez le duo Google-Facebook ou les achats grâce aux données tierces dans le domaine de la pub programmatique. Le déclin des cookies ouvre une nouvelle page, celle des données intentionnelles. En effet, lorsqu’un internaute visite le site Marmiton pour trouver la recette d’une soupe à la courge il s’agit d’une donnée de l’éditeur qui peut directement intéresser l’annonceur. Ces données intentionnistes améliorent le taux de clic. Sans les cookies, les mots clés constituent une solution rapide pour cibler les consommateurs. Mais le contexte ne sauvera pas l’écosystème du programmatique : difficile d’en mesurer l’efficacité sans cookie. L’industrie va devoir construire un référentiel dédié au contextuel afin d’en déterminer la rentabilité sans s’appuyer sur la couverture du cible, la répétition du messages (capping) ou l’attribution : un sacré défi. L’enjeu est vital pour certains acteurs. Si on ne peut plus cibler les audiences, les investissements iront alors massivement dans les “walled garden” des Gafas, qui s’en frottent déjà les mains.

L’émergence des cookies propriétaires
Pour les éditeurs, il existe une vraie opportunité de tirer davantage de valeur de leurs données d’audience. La disparition des cookies tiers signifie que les marques et les éditeurs doivent se rapprocher des consommateurs. C’est pourquoi ils mettent en place petit à petit leurs identifiants propriétaires. Plus l’éditeur est petit, plus il dépend aujourd’hui des cookies tiers. Sans cookies tiers demain, ces petits éditeurs devront s’adapter en se regroupant dans des consortiums de cookies propriétaires ou via une solution d’authentification unifiée. C’est tout le sens du login unique partagé par Tamedia, Admeira, CH Media et NZZ en Suisse, de l’ID alliance en Allemagne, du Project Nonio au Portugal et du futur PassMedia du Geste en France. Revers de la médaille, ils imposent de saisir les identifiants sur chaque machine au moins une fois par mois. La bonne nouvelle est que la disparition des cookies signifie que la relation entre les éditeurs et son lectorat via les abonnements et les données comportementales devient beaucoup plus précieuse. À long terme, le cookie propriétaire offrira les bienfaits attendus par les éditeurs pour leur permettre de bien contrôler leur monétisation à la fois sur le plan des abonnements et de la publicité. Il est temps que tous les acteurs indépendants se rassemblent pour mettre en place une solution unique et indépendante pour contrebalancer les GAFAs.

Faut-il encore attendre ou déjà changer de paradigme ?
Certainement, un peu de deux. Les anciennes tactiques vont de moins en moins bien fonctionner. S’accrocher à d’anciens modèles ou chercher des failles ne suffira pas. Pour se préparer à un monde sans cookie, American Express développe par exemple une stratégie média qui n’est plus basée les cookies tiers des navigateurs. Pour se faire, l’entreprise teste différentes solutions d’identifications alternatives comme Neustar ou LiveRamp. Ces dernières s’appuient non seulement sur les cookies tiers mais aussi des points plus tangibles comme une adresse e-mail et un numéro de téléphone. Autre axe de travail pour Amex, une collaboration avec les éditeurs qui commencent à utiliser des alternatives aux cookies tiers. Autre possibilité encore : s’appuyer sur un consortium qui partage les identifiants publicitaires de ses membres. MailOnline a commencé à expérimenter le concept afin de cibler les utilisateurs de Safari. L’éditeur de Métro s’appuie sur l’identifiant standardisé du consortium DigiTrust et l’identifiant universel de la société ID5. Les premiers résultats sont positifs : le CPM a augmenté de 30% sur Safari et même de 20% sur Chrome.
Dans la mesure du possible, nous devons adopter des approches agnostiques pour comprendre et partager les données des utilisateurs entre les plates-formes, limitant ainsi la concentration de pouvoir au sein de quelques grandes entreprises. La vraie question est de savoir si les professionnels du marketing seront prêts d’ici deux ans, lorsque les réglementations en matière de confidentialité commenceront à réellement s’imposer et que les “walled garden” des Gafas deviendront de plus en plus restrictifs.

La clé pour demain : le consentement, pas la donnée
Le documentaire «The Great Hack» de Netflix sur le scandale de Cambridge Analytica a été révélateur pour beaucoup. La mort des cookies reconfigure l’écosystème du marketing digital, notamment la manière dont les marques interagissent avec les clients. Le nouvel or noir n’est plus la donnée mais l’acceptation par les individus. La propriété des données des internautes par les marques est déjà morte, et ce, même si nous ne l’avons peut-être pas encore pleinement réalisé. Dans le monde actuel des cookies tiers, la collecte de données est essentiellement invisible. Les utilisateurs vaquent à leurs occupations, tandis que les cookies suivent leur activité en coulisses. Aujourd’hui on a des données, mais pas l’accord véritable des utilisateurs.

Ce sera désormais la nouvelle loi : sans accord, pas de données !
Les marques doivent encourager de manière proactive l’authentification des utilisateurs et fournir de la valeur en échange de ces données. Sans le consentement de l’internaute, la collecte de données n’a aucune valeur. On entre dans l’ère de la permission par l’utilisateur, un choix binaire : c’est oui ou c’est non. Espérer que les utilisateurs acceptent par ignorance ou par ennui pourrait s’avérer un mauvais pari. L’éducation du consommateur devient une nouvelle arme puissante. La bataille de la donnée ne réside plus dans l’agrégation de tuyaux mais se jouera dans le cœur et la tête des personnes. On ne partagera qu’avec les marques et les médias responsables. La priorité va donc aller à la mise en place d’outils qui vont permettre aux consommateurs de mieux contrôler leurs données personnelles. C’est sans doute la clé de cette nouvelle décennie : tout faire pour obtenir le consentement du consommateur !

Non ce n’est pas la fin, c’est juste le début d’une nouvelle histoire.

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