« Engagez la conversation ! » : l'interview de Brian Solis
Présent à Genève pour Lift 11, en février dernier, Brian Solis a donné deux conférences. L’une sous l’égide de l’agence Label.ch et l’autre durant la séance plénière. L’occasion de rencontrer ce célèbre marketeur, qui conseille les plus grandes entreprises américaines en matière de stratégies participatives et qui est également un écrivain prolixe. Son dernier ouvrage, « Engage », est un résumé de toutes les tendances 2.0 actuelles.
Q: Brian Solis, assistons-nous à une profonde révolution sociétale ou à un simple trend marketing qui ne durera qu’un temps ?
– Lorsque l’on a plus de 600 millions de personnes sur la planète qui dialoguent via Facebook, plus d’une centaine de millions de personnes qui échangent des informations sur Twitter et tout autant qui mettent en commun leurs images ou leurs vidéos, on ne peut parler de phénomène de mode. Les outils du web participatif ont ouvert la boîte de Pandore, qui ne se refermera plus.
Q: Quels changements ces outils 2.0 ont-ils amenés ?
– Ils ont libéré la parole. Jusqu’à présent, nous n’avions pas voix au chapitre dans notre vie publique. En tant que consommateurs, nous n’avions aucun droit, si ce n’est celui d’acheter ou non. Les outils sociaux nous permettent de devenir des émetteurs de contenu, de générer notre propre audience et de consommer d’une manière totalement différente. Ce qui a changé, c’est que nous avons abandonné notre passivité : nous sommes devenus actifs.
Q : Ce qui revient à dire ?
-Que les structures publiques comme les entreprises vont devoir traiter leurs administrés ou leurs clients d’une manière plus horizontale que verticale. Mais attention, les réseaux sociaux ne sont que des outils, leur impact dépendra de l’implication, de l’engagement de tout un chacun sur la Toile. Autrement dit, la qualité des informations que vous y trouverez sera égale au temps que vous aurez passé à les chercher et à échanger avec d’autres personnes ayant les mêmes intérêts que vous. Et comme tout mouvement sur le web laisse une trace digitale, la traçabilité et le devoir de transparence vont devenir la règle. Il n’y a pas de retour en arrière possible !
Q: Vous mentionnez souvent dans vos ouvrages la génération « Millénium », la génération Y qui a de 14 à 35 ans, que l’on appelle également les « Digital Natives ». A eux seuls, ils ne font pas le marché et ne sont pas le groupe qui détient le plus grand pouvoir d’achat. Alors pourquoi sont-ils si importants ?
– Les entreprises sont confrontées aujourd’hui à trois types de consommateurs : les traditionnels, les connectés et les 2.0 (Social Consumers). Cette dernière catégorie représente actuellement 25% du marché. Accros aux réseaux sociaux, au point de passer plus de temps sur leur portable ou mobile que devant un poste de télévision ou un journal, ils consomment par contre 2,5 fois plus que les autres groupes. Il est par conséquent urgent d’entamer la conversation avec ces Natives qui sont dans la fleur de l’âge. Mais attention, ce groupe d’âge n’est plus le seul à progresser fortement sur les médias sociaux !
Q : Quels sont les groupes d’âges basculant dans le 2.0 ?
– Si l’on prend par exemple Facebook, ces deux dernières années les 35-49 ans ont été le groupe qui a le plus progressé (+ 24,1 millions), suivi par les 50-64 ans (+ 13 millions), qui devancent les moins de 18 ans (+ 7,3 millions).
Q : Comment toucher cette audience, qui est de plus en plus individuelle et individualiste ?
Certainement pas avec de la publicité intrusive. Sur les réseaux sociaux, l’attention ne se commande pas, elle se mérite. Ce sont les personnes qui viennent vers la marque et non l’inverse. Si le contenu est intéressant, ils le relaieront. La diffusion du message se fera de manière organique, loin de tout plan média contrôlé. D’où l’importance d’engager la conversation en lieu et place de la communication.
Q : Lors de votre conférence, vous avez donné le conseil de « Vivre comme si l’on devait mourir demain, mais de continuer à apprendre comme si on devait être éternel ». Soit, mais par où une entreprise doit-elle commencer à se former ?
– Je donnerai 5 conseils. Tout d’abord, suivez et écoutez attentivement ce qui se dit sur vous et vos concurrents sur le web. Ensuite, ouvrez un blog, créez un profil Twitter, ouvrez une page Facebook et un compte sur YouTube. Puis définissez votre stratégie « sociale ». Soyez transparents et authentiques dans toutes vos communications. Et enfin, posez des questions, sondez votre audience, mettez en valeur vos contenus et ceux de ceux qui vous suivent s’ils sont intéressants et, surtout, transmettez le plaisir que vous avez à communiquer.
Q : On entend souvent que l’on ne crée pas de communautés, qu’elles existent déjà. Est-ce ce que l’on doit comprendre lorsque vous dites « it is your market who makes the market » ?
– Exactement. Jusqu’à présent, nous avions une lecture sociodémographique des groupes-cibles. Les réseaux sociaux nous obligent à analyser les audiences avec une approche plus sociographique. En effet, les communautés d’intérêt sont constituées de personnes qui ne partagent pas forcément une même unité de lieu, d’âge ou de culture. Ce qui les unit, c’est un même intérêt à un moment donné autour d’un objet, une cause précise. Une communauté n’est donc pas un groupe figé, elle se crée et se réinvente constamment. On ne la contrôle jamais. Donc, en tant que marque, vous ne pouvez plus dès lors proposer une seule et même grille de lecture aux personnes qui se définissent comme « fan » de vos produits. La seule façon d’entrer en contact avec les communautés qui s’intéressent à votre marque, produit ou service est de les écouter et ensuite d’engager la conversation.
Starbucks l’a bien compris. Cette chaîne a d’abord demandé l’avis aux communautés se définissant comme « amateur de café » avant de lancer ses campagnes de publicité. Et dernièrement, à l’occasion du changement de corporate, le CEO Howrad Schultz n’a pas hésité à expliquer via une vidéo diffusée sur YouTube la nouvelle stratégie de son entreprise. Contrairement à la stratégie de communication de GAP qui, n’ayant pas informé ses communautés de son changement de logo, a dû faire machine arrière.
Q : C’est ce qui vous a amené à rajouter dans le marketing mix (product, place, price, promotion) un cinquième « P » pour « people » ?
– Les cibles et les audiences ne sont pas des mots, ni des concepts synonymes de personnes. Les messages publicitaires ne sont pas une conversation, mais une injonction commerciale.
Les gens qui ouvrent des pages sur Facebook, YouTube, Twitter, etc. ne le font pas pour converser avec des marques. Lorsqu’ils abordent la question des marques, c’est parce qu’ils ont besoin de réponses et d’informations. Et ils attendent que ces dernières répondent à leurs questions. C’est aussi simple et aussi compliqué que cela !