Réinventer le kiosque
INTERVIEW D’ALAIN MEYNIER, DIRECTEUR GENERAL DE NAVILLE PRESSE
Le choix d’Alain Meynier à la tête de Naville Presse en 2010 est un signal. En effet, sa carrière professionnelle, ce n’est pas dans les médias qu’il l’a construite mais dans l’industrie de la grande consommation, précisément aux Laiteries Réunies. Une entreprise où il a été membre de la direction générale du Groupe pendant 10 ans, tout en créant la société Val d’Arve et en étant directeur puis administrateur de Nutrifrais et directeur du grossiste W. Ottiger. Fin connaisseur du « retail », il est conscient que la qualité d’un produit ne suffit pas à sa seule vente. La mise en scène du magasin comme la qualité de l’assortiment sont des éléments-clé, notamment lorsqu’il s’agit de susciter des achats spontanés.
Sa tâche au sein de cette unité de Naville est de gérer la distribution des journaux et autres magasines, avec un objectif très clair : redynamiser l’espace kiosque à l’ère du numérique. Un vaste programme qu’il vient de démarrer avec le lancement du Label Presse.
Alain Meynier quel est le poids de Naville Presse par rapport à Naville Livre, Service et Détail ?
En terme d’effectifs comme de revenu, cette unité représente 40% des ressources et revenus de Naville. Nous alimentons 1250 points de vente en Suisse romande avec 100 quotidiens et 3000 magazines. Au total, nous livrons 60 tonnes de « papier » par jour tant aux kiosques Naville (40%), qu’aux kiosques indépendants (40%) ainsi qu’aux chaînes de distribution et aux stations-service (20%).
Quelle est la situation du kiosque début 2012 en Suisse romande ?
Compte tenu de la baisse des ventes de la presse écrite, de -7 à -8%, nous perdons désormais 20 points de vente par an sur notre réseau. Les petits kiosques, qui propose moins de 1000 titres et dont le chiffre d’affaires est inférieur à CHF 80’000 annuels, sont les plus vulnérables. Pour cette catégorie de commerce, la diversification est absolument indispensable.
L’écart entre le franc suisse et l’euro nous a également été préjudiciable en 2011. La qualité de notre offre globale de titres internationaux a toutefois un peu atténué ce phénomène conjoncturel sur les zones frontières.
Votre fonction de distributeur s’arrête-t-elle à la seule livraison de titres ?
Non. Notre mission consiste en fait à fournir des prestations à forte valeur ajoutée à nos clients. qu’ils soient éditeurs ou réseau de vente. A nous d’optimiser l’écosystème de la presse dans le but d’offrir la plus grande accessibilité des titres aux consommateurs.
Une mission claire, mais une fois sur le point de vente, force est de constater que mis à part les titres en promotion, l’on se trouve noyé par l’offre.
Il y a deux typologies d’achats : les réguliers et les occasionnels. Le merchandising consiste justement à concevoir la présentation la plus pertinente pour faciliter l’achat de destination et susciter l’achat d’impulsion. Les magazines hebdomadaires entrent dans cette dernière catégorie, ils sont beaucoup plus sensibles aux sujets des Unes que de nombreux quotidiens. D’où l’importance d’être informé en amont du contenu rédactionnel afin de mieux gérer l’assortiment et de réduire le taux d’invendus.
Cette question des flux aller et retour, comme vous le définissez à l’interne, est un des points d’achoppement avec les éditeurs. Ces derniers vous accusent d’être peu réactifs et transparents.
Nous disposons désormais d’un nouveau logiciel qui nous permet de travailler en temps réel, au lieu de l’insertion manuelle des pointages quotidiens envoyés par chaque point de vente. Cela améliore la qualité de nos réglages, nous permet de mieux affiner le nombre de titres en fonction de l’actualité. Sans compter le temps dégagé pour nos enquêteurs terrain qui vont peu à peu se convertir en conseillers.
Conseillers commerciaux ?
Pas uniquement. Jusqu’à présent, nous nous sommes intéressés au marketing éditeur via des promotions payantes afin d’augmenter la visibilité de leurs titres. Désormais, nous allons nous focaliser sur chaque point de vente et repenser sa mise en scène, son assortiment en fonction de sa clientèle.
Cette nouvelle façon de travailler fait partie d’un programme de « clustorisation » où nous considérons chaque kiosque comme une entité commerciale à potentiel de développement.
Votre « Label de qualité » fait-il partie de ce programme ?
Oui. C’est sous cette appellation que nous nous proposons d’aider les kiosques indépendants en revoyant leur signalétique interne, en adaptant leur assortiment et en investissant dans leur mobilier (50% à la charge du propriétaire et 50% pour Naville). Ce label est octroyé pour une durée de 3 ans.
Nous avons déjà réaménagé quatre d’entre eux durant l’automne 2011 et les résultats ne sont pas fait attendre : une augmentation des ventes de +30%, d’où une amélioration du chiffre d’affaires de 10 à 15%.
Que prévoyez-vous pour les kiosques Naville bénéficiant déjà du savoir-faire de Lagardère Services (détenu à 65% par Naville et à 35% par Tamedia Publications romandes) avec ses Maisons de la presse ?
Nous avons entamé une grande opération de brainstorming impliquant différents types d’acteurs du marché des médias (kiosquiers, éditeurs, presse spécialisée, etc.). L’objectif de ce laboratoire d’idées n’est pas de se focaliser sur la refonte de nos magasins mais bien d’entamer une réflexion plus vaste autour des nouveaux services que Naville pourrait apporter à ses clients.
Une démarche indispensable compte tenu de la digitalisation de la presse écrite qui pousse peu à peu les lecteurs à privilégier, notamment pour des questions de coût et de rapidité, les applications mobiles à l’achat au numéro. En d’autres termes, la fin des kiosques n’est-elle pas déjà programmée ?
Non, je ne le pense pas, de même que le e-commerce ne tuera pas le commerce de proximité pour autant que ce dernier ne reste pas impassible et sûr de ses acquis. Dans notre cas, nous disposons d’éléments en notre faveur : une entité à forte expertise, un réseau d’emplacements stratégiquement situés avec une marque forte « Naville », un outil de distribution rodé, etc. A nous d’être toujours et encore plus inventifs !
A l’instar des « points relay » ?
Exactement. A ce stade, il est encore trop tôt pour divulguer les idées qui sont en train de surgir de notre laboratoire d’idées. Seule certitude, pour reprendre la main nous devrons offrir des services innovants et utiles.
Croyez-vous que le papier restera au cœur de votre activité ?
Sans aucun doute. Sinon comment expliquer que nous ayons reçu, en 2011, quelque 2 100 propositions de nouveautés, principalement des « specials interests » ? L’écrit reste et restera un support dynamique. Je crois également au développement des « mook », des magazines livres, des ouvrages à forte valeur ajoutée.
Quid de 2012 ?
Notre objectif au travers de nos différentes actions est de regagner 2 points par rapport à nos résultats de 2011. Espérons que la conjoncture ne vienne pas contrecarrer nos efforts.
Propos recueillis par Victoria Marchand