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Qu’est devenu l’exotisme ?

Gauthier - copieAprès Peter Doig, Paul Gauguin. La Fondation Beyeler a misé cette année sur deux peintres de l’exotisme. « Ce qui fait le charme et l’attrait de l’Ailleurs, de ce que nous appelons exotisme, ce n’est point tant que la nature y soit plus belle, mais que tout nous y paraît neuf, nous surprend et se présente à notre œil dans une sorte de virginité », notait André Gide dans son journal en 1935. Qu’en est-il de cette notion aujourd’hui ?

Tapez le mot dans Google images, vous n’échapperez pas à la plage de sable fin et aux cocotiers. Notre exotisme se serait-il appauvri au point d’un ressassement perpétuel des mêmes clichés ? En 1883, Gauguin, dans un Paris à l’industrialisation galopante, démissionne d’un emploi lucratif d’agent de change à la bourse. Son objectif : peindre. Il a trente-cinq ans. L’âge où l’on songe plutôt, aujourd’hui, à renforcer sa position sociale. Huit ans plus tard, il quitte femme et enfants et s’embarque pour Tahiti. Son objectif : retrouver l’innocence et l’authenticité à ses yeux déjà définitivement perdues en Europe. Parmi les chefs-d’œuvre qu’il enverra à Paris de son île lointaine, le fameux Quand te maries-tu ? (1892), peint sur une toile grossière, que viendrait d’acquérir l’émir du Qatar. Ironie ? Imaginer ce tableau d’un Français en exil à Tahiti aux enfants à moitié danois dans le coffre-fort d’un richissime oriental a tout d’une version joliment mondialisée d’un conte des Mille et Une Nuits. Un exotisme de société offshore, en quelque sorte, avec cryogénisation de Shéhérazade.

Admirateur de Gauguin, Peter Doig (*1959) a repris dans certains tableaux sa manière stylisée de peindre les contours des ombres, des arbres, et surtout, les audacieuses transitions colorées (du vert émeraude à l’orange vif, au mauve…) qui donnent à ses paysages leur somptueuse étrangeté. Mais son exotisme est différent : né à Edimbourg, élevé à Cuba puis au Canada, vivant aujourd’hui entre Trinidad, Londres et New York, Doig a la mondialisation dans le sang. Il se traduit ensuite, cet exotisme, par une habileté extraordinaire à revisiter certains sujets pour en suspendre la temporalité : scènes de baignades à la Gauguin, chevauchées fantastiques inspirées de Goya, dandy de Daumier dans un cabinet de curiosités grandeur nature et puissamment « colorisé », mais aussi paysages de l’ère postindustrielle, terrains vagues, figures urbaines de la marginalité. Un dépaysement qui procède du collage, mais fascine parce que, justement, tout est (très bien) peint. Et aussi, un peu, parce que ça se passe à Cuba…dont on peut se demander ce qu’il restera de l’exotisme quand les Etats-Unis, comme Obama l’a récemment annoncé, y auront ouvert une ambassade.

La mondialisation a-t-elle remodelé le visage de l’exotisme ? Et si les djihadistes européens, convertis à la hâte avant de partir pour la Syrie, n’avaient pas cédé à une lubie, mais à un besoin d’exotisme aussi authentique que celui de Gauguin, de Jacques Brel ? Pas si simple, prévient Jean-François Staszak, professeur à l’Université de Genève : « Malgré la passion qu’ils suscitent, on ne trouve pas exotiques l’anthropophagie, les sacrifices humains, les mutilations corporelles, etc. – parce que, jusqu’à une date récente en tout cas, on est incapable de les appréhender positivement. » Alors, la guerre sainte comme un Koh-Lanta à destination de gamers auxquels la 3D des écrans ne suffirait plus ? L’exotisme comme un ajout de « dimensions » supplémentaires à un jeu dont la mort constitue une option parmi d’autres ? La question reste ouverte.

image Peter Doigpg_basel_nafea_400x300mm

Huber Gauthier

Journaliste culturel, écrit notamment pour le Kunst-Bulletin et Artpresss

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