Affichage : de nouvelles pratiques d’appels d’offres qui font monter les prix
La nouvelle a surpris le marché : le 2 novembre, la société de transports publics zurichoise VBZ et la ville de Lucerne ont annoncé avoir mis un terme à la coopération de longue date qui les unissait à l’afficheur APG|SGA et avoir confié leurs concessions d’affichage public à Clear Channel Schweiz (CCS) – à un tarif bien plus élevé qu’auparavant. Une analyse met trois tendances en évidence.
Dans le cadre d’un appel d’offres portant sur quatre lots, quelque 300 emplacements d’affichage F4 ainsi que 300 autres formats placés dans l’espace public et aux arrêts de bus ont été adjugés par Lucerne à CCS, et APG|SGA est repartie les mains vides.
La société de transport VBZ (325 millions de passagers annuels) a également lancé un appel d’offres, portant sur 1 200 affiches lumineuses en trois lots, qui ont été majoritairement attribués à CCS à partir de 2017 ; APG|SGA a dû se contenter de la portion congrue.
Ces deux procédures sont intéressantes parce qu’elles révèlent trois nouvelles tendances.
1. CCS à le vent en poupe, sans pour autant affaiblir APG|SGA
Jusqu’à présent, APG|SGA avait généralement remporté les appels d’offres pour l’affichage dans l’espace public. Les cas dans lesquels la CCS était sortie gagnante se comptent sur les doigts de la main. La société américaine ne possédait jusqu’alors que la concession de Bellinzone et, à Zurich, elle n’avait sous contrat que l’affichage sur les murs de chantiers. Mais le vent semble avoir tourné depuis 2014 : à Berne, l’affichage sur les arrêts de bus a été attribué à CCS ainsi que l’affichage public dans le quartier genevois de Meyrin, mandats auxquels se sont ajoutés, en 2015, dix écrans LCD numériques et 20 colonnes d’affichage mobiles à Zurich, et donc maintenant VBZ et Lucerne.
Comment expliquer une telle progression ? Jürg Rötheli, CEO de CCS, invoque deux raisons. Le Surveillant des prix a invité en 2012 les entreprises à procéder, dans la mesure du possible, à des appels d’offres sous forme de lots, un processus qui génère plus de soumissions. Résultat, certaines surfaces publicitaires ont été prises en compte pour la première fois. « De plus, explique Jürg Rötheli, les lots individuels sont souvent bien plus intéressants que les appels d’offres globaux antérieurs. »
La société APG|SGA, dirigée par des acteurs franco-belges, serait-elle en passe de perdre son leadership ? Il est incontestable que le leader du marché a récemment dû encaisser quelques pertes, auxquelles s’ajoute cette année l’aéroport de Genève (15 millions de passagers en 2014), qui est passé au concurrent Neo Advertising. Quoi qu’il en soit, APG|SGA possède encore « plus de 90% des parts de marché » dans l’espace public, comme le concède Jurg Rötheli. Et dans le secteur privé, elle bénéficie d’un positionnement assuré dû à plus de 100 ans de présence en Suisse. Prenons un exemple : même s’il lui a fallu céder à CCS 300 emplacements F4 dans l’espace public lucernois, elle y gère encore plus de 800 panneaux F4 dans le secteur privé ! Sans parler de la présence de APG|SGA dans les gares des CFF. Et force est de constater que cette régie publicitaire continue de décrocher de nouvelles concessions : la Tissot Arena à Bienne par exemple, Shopville (Zurich) et plusieurs sociétés de remontées mécaniques. APG|SGA a donc tout d’une hydre : ce qu’elle perd d’un côté, elle le regagne pratiquement de l’autre.
Et CSS n’est pas abonnée non plus à la victoire : de leur côté, les Américains n’ont pas réussi à obtenir l’aéroport de Genève et ont échoué cette année aussi à Lausanne – qui revient à APG|SGA. CCS a toutefois déposé un recours contre cette décision, l’affaire étant actuellement examinée par le Tribunal fédéral.
2. Les tarifs de concession augmentent à une vitesse effrénée
La situation n’est pas nouvelle : les tarifs exigés par les sociétés attribuant les concessions augmentaient généralement d’appel d’offres en appel d’offres, mais cette progression était infime. Et le fait que la VBZ ait maintenant réussi à multiplier par deux les recettes annuelles (passant à CHF 11 millions) générées par ces attributions crée la surprise : même à l’interne, cette augmentation avait été évaluée à CHF 2 millions. Lucerne a également augmenté ses tarifs de près de 75% : ils peuvent atteindre CHF 2 millions par an, or la ville avait au départ tablé sur une augmentation de 13%. L’on comprend donc que APG|SGA parle de tarifs excessifs. Et Markus Ehrle, CEO d’APG|SGA, de constater : « Nous considérons que la stratégie adoptée par la concurrence en Suisse alémanique, consistant à payer des droits très élevés et des garanties minimales, n’est pas durable ». Jürg Rötheli, CEO de CCS, voit les choses différemment : « Nos tarifs sont équitables et justifiés et nous les calculons, pour chaque cas particulier, avec tout le sérieux requis et dans un objectif de rentabilité. Mais il apparaît que la procédure d’appel d’offres, la formation de lots et la concurrence peuvent générer des recettes plus élevées pour la collectivité. » Nul ne sait quel sera, pour les annonceurs, l’impact sur les prix de la politique prônée par la CCS.
D’un autre côté, on entend régulièrement (notamment en Allemagne) que le calcul des tarifs en vigueur en Suisse est trop juste, et que les communes pourraient en tirer des profits bien plus élevés. Markus Ehrle déclare de son côté ne pas savoir si les tarifs sont trop bas ; il considère au contraire que par le passé, APG|SGA a réussi à faire passer la part (tous médias combinés) de la publicité extérieure à 11%, ce qui est un niveau élevé à l’échelon européen. « Nos partenaires récupèrent ce surplus de recettes sous forme de droits. »
3. Appels d’offres : l’aide des conseillers
En Allemagne, les communes et institutions publiques devant accorder une concession d’affichage consultent de plus en plus fréquemment des conseillers externes pour l’élaboration de l’appel d’offres. Ce que vient de faire également la société VBZ. Andreas von Euw (responsable de projet) a annoncé que son équipe pouvait « compter sur le soutien actif d’Andy Lehmann. Il a travaillé dans mon équipe comme conseiller indépendant pour toutes les questions touchant la publicité extérieure. Grâce à lui, nous avons pu augmenter considérablement notre savoir-faire interne. » Andy Lehmann est loin d’être un inconnu : jusqu’à son départ à la retraite en 2010, cet analyste souvent invité dans les débats et les médias était le CEO de l’agence média Aegis Media Group Schweiz (www.andylehmann.ch). Il semble avoir aidé les transports publics de Zurich à évaluer les emplacements d’affichage sur la base des données d’audience fournies par l’étude SPR+ consacrée à l’affichage.
Chose nouvelle, ce genre de consultation pourrait fort bien faire école en raison du succès rencontré. Lucerne a toutefois préféré renoncer à un conseiller et à l’utilisation des données SPR+. Il y a quatre ans déjà, la ville de Zurich n’avait pas donné suite à l’offre émanant d’un conseiller (allemand).
www.vbz.ch
www.stadtluzern.ch
www.apgsga.ch
www.clearchannel.ch